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Ilhan Sami Çomak est un poète kurde emprisonné en Turquie depuis vingt-huit ans. Il a été arrêté en 1994, avec d’autres membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) lors d’une rafle dans un café. Il avait alors 21 ans, était étudiant en géographie à l’université d’Istanbul. Dans un premier temps, il a été accusé d’avoir tenté de mettre le feu à une forêt et des aveux lui ont été arrachés au bout de dix-neuf jours de torture. Aveux sur lesquels il est revenu ensuite. Un tribunal militaire l’a alors condamné à mort, puis à la prison à vie. En 2007, la Cour européenne des droits de l’homme, jugeant le procès irrégulier, a demandé sa révision. En 2016, un tribunal civil l’a rejugé. L’accusation d’incendie a été abandonnée mais le tribunal a confirmé la peine de trente-six ans de prison pour « séparatisme ». Il est aujourd’hui l’un des plus anciens prisonniers politiques de Turquie et, sans doute, l’un des plus anciens au monde.
Né en 1973 à Karliova, dans la province de Bingöl, il a passé son enfance à la campagne, au milieu des chèvres et des chevaux, et son imagination a été nourrie de ce contact avec la nature et des histoires que sa mère lui contait le soir, dans leur maison de torchis. En prison, il est devenu poète et a publié neuf recueils. Il a reçu plusieurs prix de poésie dont le prestigieux Sennur Sezer en mars 2022. Son dernier recueil, Hayattahiz Nihayet (Nous sommes toujours vivants) a reçu le prix Metin Altiok, du nom d’un de ses anciens professeurs qui faisait partie des intellectuels, notamment alévis, tués lors de l’incendie criminel de l’hôtel Madimak à Sivas en 1993.
Des écrivains scandinaves et britanniques se sont mobilisés en sa faveur mais son cas, jusqu’à maintenant, était passé sous silence en France.
Un recueil de ses poèmes, Separated from the Sun, traduit par Caroline Stockford et un collectif de traducteurs, vient de paraître en Angleterre, aux éditions Smokestack Books que dirige le poète Andy Croft. J’ai traduit quelques-uns de ses poèmes, à partir de l’anglais, pour commencer à le faire connaître, en attendant que soit faite une traduction à partir de la langue originale (il écrit en turc et en kurde). Ce qui me paraît remarquable dans la poésie de ce prisonnier, c’est sa liberté.

Francis Combes

 

Liberté

Sortez-moi d’ici, il y a tant de choses que j’ai vues
J’ai vu si profondément, si loin. Longtemps, longtemps j’ai été attristé
Le temps est venu pour les torrents de montagne, le vent
qui souffle sur les récoltes, pour le…

Temps de remuer sans fin mes jambes
se dirigeant vers l’horizon quand le jour ouvre grand sa porte
Comprenez-moi par mes racines, pas par mes branches
par mes rêves, pas par la vie que j’ai menée
Peut-être que le miroir est en morceaux
Connaissez-moi par mon rire, pas par ce que le miroir raconte.

Il y a si longtemps que ma rue a été peuplée d’absence
et par l’ascension silencieuse du lierre

Son hirondelle : sombre, lente et toujours à mi-chemin.
Emportez-moi loin de cette stagnation
J’ai tant regardé l’abîme, longtemps, longtemps, je l’ai dévisagé
Ce vide n’est que répétition.

Il est temps pour toi de dire que tu es un oiseau mouillé par la pluie
Il est temps de respirer l’odeur de la terre, de s’en emplir, de grandir avec elle
Connaissez-moi par mon amour, pas par ma solitude.
Comprenez-moi pour ce après quoi je languis, pas pour ce que j’ai perdu
Comprenez-moi par mon enfance, pas par la version présente de ce que je suis.

Je viens pour vous chercher.

(traduction Francis Combes)

Cause commune n° 31 • novembre/décembre 2022