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L’ère Trump a ouvert une nouvelle phase de dérégulation à combattre en s’appuyant sur la dynamique créée par le traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), fruit d’une mobilisation de la société civile.

Les neuf pays(1)– y compris la France – qui détiennent les quinze mille armes nucléaires ont tous programmé de nouveaux développements de leurs arsenaux au moment où se ravivent d’inquiétantes tensions. Les États-Unis de Trump se désengagent systématiquement des accords de désarmement et la conférence de révision du traité de non-prolifération (TNP) de 2020 ne suscite guère d’espoir. À l’opposé, le traité d’interdiction des armes
nucléaires négocié en 2017 à l’ONU crée une
dynamique remarquable, portée par la stigmatisation de ces armes « inhumaines et inacceptables » et l’urgence d’éviter une catastrophe programmée.

Une phase nouvelle de dérégulation
L’ère Trump a inauguré une phase nouvelle de dérégulation qui affecte l’ensemble du fragile système multilatéral. Les menaces du président des états-Unis à l’égard de la Russie, de la Corée du Nord ou de l’Iran rythment l’agenda nucléaire international, tandis qu’il met en place un programme de 1,7 milliard de dollars pour appuyer une posture stratégique plus agressive que jamais. La Russie de Poutine – dont le budget militaire s’est réduit à 1/10e du budget US, soit moins que le budget militaire de la France – développe de nouvelles séries d’armes, dont un missile de portée intermédiaire (500-5 000 km). Ce projet russe sert de prétexte à l’annonce de Trump de se retirer du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) pour lequel des millions d’Européens s’étaient mobilisés dans les années 1980.

« Le traité d’interdiction des armes nucléaires négocié en 2017 à l’ONU crée une dynamique remarquable, portée
par la stigmatisation de ces armes “inhumaines et inacceptables” et l’urgence d’éviter une catastrophe programmée. »

L’Inde et le Pakistan modernisent leurs arsenaux nucléaires, alors même que la guerre au Cachemire et les tensions interreligieuses se poursuivent. L’arsenal nucléaire israélien échappe toujours au radar du droit international à cause du déni de son existence officielle sous protection de la Maison-Blanche. La Corée du Nord, la seule à avoir testé des armes depuis le traité – TICEN – de 1996, est suspectée d’avoir assemblé entre dix et vingt bombes nucléaires. En Europe, les États-Unis veulent renouveler les cent quatre-vingts armes nucléaires et leurs avions porteurs stationnés dans cinq pays, ravivant partout le débat sur cette dangereuse « collaboration ». La Grande-Bretagne se débat avec le budget indécent destiné à renouveler ses sous-marins nucléaires. En France, les parlementaires ont majoritairement voté une augmentation de 60 % des crédits alloués aux armes nucléaires et, si de timides protestations répondent aux attaques de Trump contre le traité FNI ou contre l’accord sur le nucléaire iranien, aucune proposition de désarmement sérieuse n’émane de l’Élysée qui a pris la tête des adversaires du nouveau traité d’interdiction des armes nucléaires, le TIAN.

« En France, les parlementaires ont majoritairement voté une augmentation de 60 % des crédits alloués aux armes nucléaires. »

Le traité d’interdiction des armes nucléaires
En cours de ratification, le TIAN négocié et voté par cent vingt-deux pays en juillet 2017 est le complément indispensable du traité de non-prolifération dont il renforce les contraintes. Il constitue en outre une feuille de route vers l’élimination totale des armes nucléaires. Porté par l’impatience de nombreux pays pour que commencent de « bonne foi » des négociations de désarmement auxquels doivent se plier les pays nucléaires, le TIAN est aussi le fruit d’une mobilisation inédite de la société civile à travers la campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaire (ICAN), ce qui lui a valu le Prix Nobel de la paix 2017. Sous la pression conjuguée de la société civile, de la Croix-Rouge internationale, de l’ONU et des organisations internationales, syndicales, religieuses, féministes ou environnementales, l’entrée en vigueur du TIAN pourrait intervenir d’ici quelques mois, après la ratification de cinquante pays. Soixante et onze l’ont déjà signé et vingt-trois l’ont ratifié. Un appel international des villes pour soutenir le TIAN remporte un grand succès : après Berlin, Washington, Toronto, Oslo, Canberra ou Hiroshima, Paris est la première ville de France à l’avoir rejoint. Pour préserver leurs habitants des milliers de missiles pointés sur les villes, ICAN France appelle toutes les communes de notre pays à rejoindre cet appel.
L’urgence est claire : si la menace climatique est un effet collatéral de modes de production irrationnels, l’apocalypse nucléaire accidentel ou volontaire est programmé. Les nombreux débats qui ont mené aux négociations du TIAN ont démontré que jamais la probabilité d’une telle catastrophe n’avait été si grande.

Arielle Denis a été directrice de Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN) de 2011 à 2016.

1. Armes nucléaires dans le monde : Russie 6 850, États-Unis 6 550, France 300, Chine 280, Grande-Bretagne 215, Pakistan 145, Inde 135, Israël 80, Corée du Nord 15 (estimations SIPRI, 2018).

Cause commune n° 12 • juillet/août 2019