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Trois questions à Guillaume Roubaud-Quashie.

Il existe un secteur Archives et mémoire du PCF. Il y a donc une histoire officielle du PCF ?
La question est redoutable et renvoie à l’articulation entre science et politique ou, si on se méfie des grands mots, aux rapports entre pouvoir politique et production de connaissances.
Précisons d’emblée qu’il n’est pas dans l’intention du PCF de limiter de quelque façon que ce soit la libre recherche sur son histoire. Ses archives, déposées dans les réseaux publics d’archives, sont ouvertes à tous sans qu’il soit besoin de montrer patte blanche (ou rouge). Mieux, fruit d’un processus engagé par Francette Lazard puis Frédérick Genevée notamment, aucun parti autre que le PCF n’a mis à disposition à ce point ses archives.

« Cent ans, c’est peut-être un signe que le communisme n’est pas une mode, une foucade, mais un enjeu historique décidément coriace. »

Pour autant, si nous n’entendons mettre aucune barrière, est-ce à dire que l’histoire appartient aux historiens ? Certainement pas. Les historiens, dans leur variété, ont leurs questions propres, obéissant souvent à des ressorts historiographiques sans rapport nécessaire avec des préoccupations politiques immédiates. Leurs investigations apportent un éclairage incomparable à la compréhension de l’histoire des communistes car ils ont le temps d’amasser et de consulter une documentation considérable, manient des méthodes éprouvées…
Pour autant, leurs questions ne sont pas nécessairement celles que peuvent se poser les militants communistes aujourd’hui. Surtout, les historiens n’apportent pas de réponse normative (faut-il faire ceci ? aurait-il fallu faire cela ? étant donné que nous avons fait ceci, s’agit-il de faire cela ?). Autrement dit, l’indispensable travail politique sur le passé ne peut être délégué aux historiens. L’histoire du PCF (comme de l’ensemble des phénomènes sociaux) appartient, aussi, aux communistes désireux de construire un avenir.

« Cent ans, c’est peut-être un signe que le communisme n’est pas une mode, une foucade, mais un enjeu historique décidément coriace. »

En ce sens, il ne s’agit nullement d’une invitation à la répétition de principe que le parti a toujours raison, ou au décret souverain et définitif sans examen serré que le parti a eu raison à tel moment, tort à tel autre, été en avance ici et en retard là. C’est plutôt une invitation à la réflexion probe, sans conclusion d’avance déterminée, en gardant en tête les mots du grand historien Pierre Vilar : le marxiste « pense rendre service au mouvement en avant de l’humanité dans la mesure où il pense juste historiquement ».

Que va organiser le PCF pour son centième anniversaire ?
Le PCF, ce n’est pas qu’une ligne politique ; c’est l’organisation qu’ont choisi de rejoindre ou de soutenir à un moment ou un autre de leur existence des millions de personnes dans ce pays. Cet anniversaire est enraciné dans l’histoire de notre pays. Ce, d’autant plus que les mobilisations communistes ont contribué à modifier le visage de la France avec des conquêtes sociales et démocratiques de très grande ampleur. Il ne s’agit donc pas d’organiser un anniversaire dans un entre-soi rétréci.
Toute l’année, il s’agira de fêter cet anniversaire en y associant le grand nombre. Le secrétaire national du PCF, lors de ses vœux, donnera le départ de cette année-centenaire, le 13 janvier. Deux grandes expositions se tiendront à l'espace Niemeyer, présentant et rassemblant pour la première fois des documents, des œuvres et des affiches qui dorment dans les archives ou ornent, dispersés, les musées. L'une sera proposée par la Fondation Gabriel-Péri ; l'autre par le PCF. En point d’orgue, dans toute la France, la « semaine du centenaire », du 15 au 21 juin, sera l’occasion d’ouvrir les sièges, de multiplier les initiatives en direction du grand public pour parler de notre monde et de sa si nécessaire transformation révolutionnaire.

« L’histoire du PCF (comme de l’ensemble des phénomènes sociaux) appartient, aussi, aux communistes désireux de construire un avenir. »

De grands débats dans tout le pays ponctueront cet anniversaire car il ne s’agit pas vraiment de célébrer les grandeurs sépia d’un monde d’hier mais de mettre en avant la question communiste pour notre temps. « Cent ans d’avenir » : telle sera la bannière de cet anniversaire.

Finalement, cent ans pour un parti, c’est un atout ou un handicap ?
Évidemment, pour les publicitaires en quête d’étiquettes « nouveau », c’est un sacré handicap ! La droite est spécialiste dans le recyclage périodique : UNR, UDR, RPR, UMP, LR… Cela a l’avantage de faire oublier les scandales qui ternissent ces partis-marques-de-beurre… Et pourtant, les idées de Laurent Wauquiez ont-elles l’âge de son parti ?
Mais nous ne faisons pas de la publicité, mais de la politique. De ce point de vue, avoir cent ans présente bien des atouts… L’heure du « nouveau » est aussi celle de la péremption précoce. Cent ans, c’est peut-être un signe que le communisme n’est pas une mode, une foucade, mais un enjeu historique décidément coriace. J’ajoute que cent ans, quand ce sont les nôtres, ça permet sans doute de convoquer quelques noms qu’il n’est pas si facile au premier guignol venu de traiter par le mépris, de Barbusse à Joliot-Curie en passant par Picasso, Politzer ou Aragon… Mais l’atout le plus essentiel, me semble-t-il, c’est celui de l’expérience cumulée. Notre drame à nous qui sommes le grand nombre, qui créons les richesses, c’est bien celui-ci : comment réfléchir ensemble, agir ensemble autrement qu’en recommençant à chaque fois de zéro comme si aucun prolétaire n’avait jamais pensé ni agi ? Une organisation centenaire a accumulé un grand nombre d’expériences stratégiques, tactiques, politiques, théoriques. Pour aller droit, avancer, ne pas se faire rouler par les premiers manœuvriers venus ou les chants lancinants de l’idéologie dominante, je crois que ce n’est pas du luxe. Évidemment, ceci n’est une chance que sous deux réserves : que cette expérience soit le bien commun des adhérents du PCF (au moins, car on voit bien que cet enjeu mémoriel dépasse nos seuls rangs) et ne se perde pas dans les sables de l’oubli ; que cette expérience ne soit pas mobilisée pour recouvrir un présent qu’on se refuserait à analyser, mais aide au contraire à le mettre en précieuse perspective.
Ce qui distingue le poisson rouge de l’humain n’est-il pas, notamment, la mémoire ? Malheur aux poissons rouges qui partent à l’assaut du ciel…

Guillaume Roubaud-Quashie est responsable du secteur Archives et mémoire du PCF. Membre du comité exécutif national, il coordonne le centenaire du parti communiste.

Entretien réalisé par Pierre Crépel, Baptiste Giron et Élodie Lebeau.

Cause commune n° 14/15 • janvier/février 2020