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Plutôt que d’utiliser le terme « fascistes », il est préférable de parler de « postfascistes » pour qualifier les partis d’extrême droite.

Qu’est-ce qui est fondamentalement problématique lorsque le Rassemblement national ou Fratelli d’Italia sont qualifiés de « fascistes » ? Après tout, en quoi est-il important de savoir s’il faut les qualifier de partis « fascistes » ou « postfascistes » ? Leur filiation ne laisse aucun doute : ils sont issus de partis (le FN ou le MSI) qui comptaient parmi leurs membres fondateurs ou dans leurs rangs d’authentiques « fascistes ». Pourtant, si l’héritage fasciste de ces partis ne peut être nié, il m’a toujours semblé que ce qualificatif était inapproprié autant pour des raisons historiques que pour des raisons stratégiques, d’où ma préférence pour le terme de « postfascisme ».

trajectoire de dépassement
Sur le plan historique, les arguments d’Enzo Traverso me paraissent décisifs (voir Les Nouveaux Visages du fascisme, Textuel, 2017). Si les partis d’extrême droite actuels s’inscrivent bien dans la matrice historique fasciste, ils s’écartent sur bien des points décisifs des partis des années 1920-1930, ce qui conduit l’historien à parler de « postfascisme » pour décrire cette trajectoire de dépassement dont on ignore encore le point d’aboutissement.

« Ne pas parler de “fascisme” pour qualifier ces partis d’extrême droite ne signifie pas qu’il serait illégitime de comparer ce qui se passe aujourd’hui avec les années 1920-1930.»

Soulignons deux différences essentielles. Le discours des partis d’extrême droite n’est plus révolutionnaire : leur programme est réalisable dans le cadre institutionnel actuel. Ces partis entretiennent un nouveau rapport à la violence dans la conquête du pouvoir. Si l’occupation de la rue est centrale dans les fascismes historiques, si la violence organisée visant les partis et les syndicats de gauche était mise en œuvre à grande échelle, on n’observe rien de tel aujourd’hui. La violence individuelle n’a pas disparu bien sûr, ni celle de groupuscules, mais les partis qui peuvent prétendre accéder au pouvoir n’y appellent jamais ni ne la cautionnent.
Sur le plan stratégique, qualifier ces partis de « fascistes » ainsi que leurs électeurs comporte un double risque. Le premier est de s’en tenir à une critique « morale », « fascisme » devenant synonyme de « mal » : puisque « ce sont des fachos », il suffit de brandir son livre d’histoire pour faire « prendre conscience » à ces millions d’électeurs que « c’est mal » de voter pour ces gens-là et que cela peut conduire aux atrocités que l’humanité a connues au XXe siècle. Le second est de s’ériger en nouveau Gramsci ou en nouveau Jean Moulin pour faire la leçon à ces Français ou à ces Italiens qui ne se rendraient pas compte du danger que représente pour leur pays leur programme antisocial, antihomosexuel, raciste et antimigrant. L’expression « fasciste » ne parle pas tant du monde social que de celui qui l’utilise et de sa volonté d’adopter la posture du « résistant ».
Ne pas parler de « fascisme » pour qualifier ces partis d’extrême droite ne signifie pas qu’il serait illégitime de comparer ce qui se passe aujourd’hui avec les années 1920-1930. Utiliser le terme de « postfascisme » conduit à privilégier la recherche de ce qu’il y a de nouveau dans le discours de ces héritiers du fascisme.
Il est donc essentiel de rappeler l’héritage fasciste des différents partis d’extrême droite. Mais les qualifier de « fascistes » pose un problème. Il n’est pas suffisant de taxer de « fascisme » celles et ceux pour qui des millions de Français ont voté pour les en détourner. Identifier ce que ces partis incarnent de nouveau est la condition première pour convaincre ceux qui sont séduits par ces « héritiers du fascisme » et opposer au discours identitaire un discours de classe, afin de montrer que le chômage, les délocalisations, l’insécurité sociale s’inscrivent dans une lutte de classes que les classes populaires sont en train de perdre.

Aurélie Fiorel est philosophe.

Cause commune n° 31 • novembre/décembre 2022