Comment nommer l’alternative ? Ces deux mots de socialisme et de communisme sortent tout aussi meurtris l’un que l’autre de l’histoire mais restent indispensables. Loin de tout modèle, il s’agit désormais de remettre sur le métier la construction collective d’une rupture radicale avec le capitalisme, qui parvienne à élaborer dans le même temps ses moyens et ses finalités.
Une telle relance stratégique implique de relier un projet de sortie du capitalisme, quel que soit son nom de baptême, à ses conditions sociales réelles, c’est-à̀-dire de l’enraciner dans les luttes telles qu’elles existent, dans les organisations existantes et naissantes, hors d’elles aussi, bref partout où̀ se dessine un futur possible.
La pertinence durable des vues de Marx
Sur ce plan, la pertinence durable des vues de Marx frappe. Mentionnant rarement le communisme, l’opposant parfois mais pas toujours au socialisme, il s’agissait moins pour lui d’en dessiner par avance les contours exacts, ni même de repérer les germes de la nouvelle socié́té dans l’ancienne, mais d’analyser les contradictions les plus vives du présent. Les contradictions du capitalisme sont toutes des formes de la lutte de classe et, à ce titre, les hauts lieux de l’intervention politique, révolutionnaire : il s’agit d’unir les exploités et les dominés, hommes et femmes, pour la réappropriation de leurs propres forces sociales contre leur privatisation capitaliste. Cela vaut en particulier pour ces médiations dévoyées en outils d’oppression que sont l’état, le travail et le savoir.
Ainsi, contre la formation d’un état séparé au service des classes dominantes, Marx insistait sur les ressources qu’offre la forme communale traditionnelle ou moderne (la Commune de Paris) en vue de construire une planification démocratique de la production et de la vie sociale. Contre le savoir, que tente de capturer et de formater le capitalisme, il soulignait la tendance à̀ la polyvalence de l’ouvrier moderne et surtout l’aspiration à la réappropriation de soi, qui passe par la reconquête de son temps de vie. Ces aspirations sont plus que jamais les nôtres, elles ont un rôle moteur dans la rupture résolue avec les choix imposés par les classes dominantes, qui sera longue, difficile et hautement conflictuelle.
« C’est la reprise et la réélaboration inventive d’une perspective anticapitaliste commune qui permettra de les arracher au récit des vainqueurs autant qu’à la fatalité de la défaite qu’ils en sont venus à désigner. »
Communisme, socialisme ?
Alors, faut-il encore nommer « communisme » un tel projet, inséparable des luttes de classe existantes et de leur structuration commune, fédératrice, seule source d’une alternative au capitalisme qui ne se conformera à aucun programme prédé́fini ? Certes, le terme de « communisme » dé́signe par excellence une perspective résolument non capitaliste, mais il a le défaut de le résumer à ses finalité́s ultimes, dont la signification se trouve aujourd’hui déchirée entre aspirations mal dé́finies, élans né́o-utopiques, dénonciation de ses usages passés. Quant au terme de « socialisme », il est mort deux fois : il a fini par s’enliser dans la transition ratée des pays qui s’en sont ré́clamés, tandis que les formations sociales-démocrates ralliées au libéralisme ont abandonné toute perspective d’abolition du capitalisme.
Pourtant, c’est ce terme de « socialisme » qui ressurgit aux États-Unis et ailleurs, tandis que le terme d’ « écosocialisme » en renouvelle les contours. Si l’on ajoute que le communisme tend à̀ devenir une thé́matique philosophique à la mode, alors on peut considérer que le terme de « socialisme » met utilement l’accent sur la dimension nécessairement stratégique de la construction d’une société égalitaire et démocratique, féministe, antiraciste, écologique, internationaliste.
« Tout ce vocabulaire fait partie intégrante de l’alternative à reconstruire. »
Bref, si tout ce vocabulaire fait partie inté́grante de l’alternative à̀ reconstruire, il faut se garder de s’enliser dans les querelles de mots. Au lieu de fétichiser ces termes, de les réduire à des labels d’organisations en crise, de les durcir en doctrines éternelles, leur polysémie foncière est un atout : c’est la reprise et la ré́é́laboration inventive d’une perspective anticapitaliste commune qui permettra de les arracher au récit des vainqueurs autant qu’à la fatalité de la dé́faite qu’ils en sont venus à̀ dé́signer.
Isabelle Garo est philosophe. Elle est agrégée et docteure en philosophie de l'université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et enseigne en classes préparatoires au lycée Chaptal.
Cause commune n° 20 • novembre/décembre 2020