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Éric Piette est un poète belge, né à Charleroi en 1983.

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Son œuvre débute en 2011 avec un premier livre, Voz, largement salué par la critique et récompensé par deux prix littéraires, puis un second, L’Impossible Nudité, en 2014. Depuis, le silence, la douleur, la maladie, mais aussi l’engagement politique auprès du PTB (Parti du travail de Belgique). Un silence qu’ont dû peupler aussi les fantômes qui traversent ses deux premiers livres, et qui habiteront peut-être les prochains, car ce silence sera fécond. Voz, non pas pour l’espagnol « voix », mais pour le serbe « train », est un livre écrit comme entre deux gares, où le poète semble toujours en partance depuis quelque ville d’Europe, pour un lieu qui n’a pas vraiment d’importance car il porte avec lui sa solitude, ses déchirements, ses disparu(e)s et la fraternité universelle de l’errant. Qui écrit ? C’est l’émigrant de Landor Road d’Apollinaire. « Nous écoutions Vivaldi la nuit / rêvant de distilleries / que contenaient nos verres / la Charente n’est pas loin / sans voiture nous sommes coincés / nous parlons d’enfance au corps coupé / nous trinquons à notre santé / le Stabat Mater était sans fin. » Si dans L’Impossible Nudité l’errance se poursuit (« tu n’as que ce que tu mérites / à errer seul ce soir / dans les rues d’Amsterdam »), les poèmes se font plus saccadés, plus fragmentaires, comme des notations d’un moment présent, vécu, sur lequel plane la douleur, une mort blanche dans des draps d’hôpital. L’écriture s’y asphyxie, et l’on pense à Michaux, ou au Roubaud de Quelque chose noir. Dans ces vers « s’élabore ce qui / ne rime pas » : le programme est affiché et pourtant, avec ou sans rime, L’Impossible Nudité réussit le pari d’enfermer une tragédie sous la ouate, et on l’entend qui murmure derrière les boules Quies du poème. J’ai découvert Éric Piette au festival de Sète cet été. Ce fut une belle découverte, comme on a peu, au milieu des scènes des pseudo-performeurs braillards : un poète, c’est rare.

Victor Blanc


« je n’y suis pas né
mais j’y ai vécu, longeant
Sambre et Meuse, titubant
parfois – et le rêve d’Istanbul
qui poursuit
les enterrements sont lents
jamais je ne m’étais jeté à l’eau
les ruelles d’une ville vide – silence et tumulte
les cafés repliés où fraternité et lames
sont des mystères
rien à savoir, mais des histoires,
légendes, récits, et ce soleil qui
fout le camp ou se lève derrière la citadelle
alors que l’ami fume une paix maîtrisée
que l’horloge est arrêtée
rue Notre-Dame
il y a si longtemps et j’y reviens
et sur le temps, et sur les lieux
d’un roman, d’un viatique – et l’homme
à la canne qui me disait : fiston, tu verras
qu’ai-je vu ?
hormis la force pénétrante de la mort
et le regard pareil de l’ami
une fois l’aube levée derrière la gare
la poésie dans ses yeux, pas le ciel, rien
d’autre que ses yeux
quelque chose a renversé la ruine de l’aube »

Éric Piette, « Autres séjours », L’Impossible Nudité, Le Taillis Pré, 2014.

Cause commune n° 20 • novembre/décembre 2020