Par

Un vaste tour d’horizon montre la multitude des écrits sur ce sujet au cours des derniers siècles.

Depuis la nuit des temps, la fin du monde est un des thèmes les plus installés de la littérature universelle, avec la Bible (et son arche de Noé), l’épopée de Gilgamesh (et son déluge) ou les Évangiles (et l’apocalypse de Jean). Le roman, à son tour, a décliné ce motif sous de multiples formes, catastrophes naturelles, industrielles, militaires, technologiques, nucléaires (ah ! Malevil de Robert Merle, 1972). Le récit d’épidémie en est une des variantes.

L’épidémie inspire
Depuis longtemps. On retrouve souvent dans ce genre de texte (qui traite de la maladie comme sujet principal ou comme cadre de l’histoire) certains points communs, le même désarroi des autorités devant la soudaineté du malheur, le premier réflexe de minorer (ou censurer) le drame, l’insouciance puis l’affolement des foules, la progressive peur panique de la contamination, l’amertume devant la contingence de l’existence et la finitude.
Dans Œdipe roi de Sophocle, Thèbes est la proie de la peste. C’est également la peste à Florence (1348) que Boccace décrit dans le Décameron  : « Combien de vaillants hommes, que de belles dames, combien de gracieux jouvenceaux, que non seulement n’importe qui, mais Galien, Hippocrate ou Esculape auraient jugés en parfaite santé, dînèrent le matin avec leurs parents, compagnons et amis, et le soir venu soupèrent en l’autre monde avec leurs trépassés. »
Plus près de nous, Mary Shelley rédige, huit ans après son Frankenstein, Le Dernier Homme (1826), lequel a survécu à une épidémie de peste, encore (on serait en 2100). Deux des Nouvelles extraordinaires d’Edgar Poe (à ma connaissance) traitent du sujet, « Le masque de la mort rouge » (1842) et « Conversation » (1843) : dans la première nouvelle, les survivants d’une épidémie se réfugient dans une abbaye ; la seconde décrit la maladie qui extermine l’espèce (suite à une collision avec un météore). Poe, dit-on, influença Matthew Phipps Shiel, auteur (britannique) du Nuage pourpre (1901), ouvrage un peu oublié mais toujours sur ce thème du dernier homme (qui s’appelle ici Adam…).

Jack London, un précurseur
Ces productions sont nombreuses, de qualité, mais j’avoue un faible pour La Peste écarlate (1912) du grand Jack London. L’auteur de Martin Eden et du Talon de fer a 36 ans lorsqu’il compose cet opus. Quand l’histoire commence, on est en 2073 : un grand-père accompagné de son petit-fils suivent les traces d’une voie ferrée, inutilisée depuis des lustres, et progressivement reconquise par la nature ; ces deux personnages, vêtus de peaux de bête, ont l’allure d’hommes de la préhistoire. L’ancien raconte, lui qui fut professeur de littérature à l’université de Berkeley dans un autre temps. Il s’appelait alors James Howard Smith ; il explique à l’enfant l’épidémie survenue soixante ans plus tôt, en 2013 donc. Le monde d’abord censura la nouvelle puis se montra incrédule mais la peste frappa vite et fort, semant la terreur. Un sérum, paraît-il, avait été trouvé dans la lointaine Allemagne mais trop tardivement. La contagion fut foudroyante. Très vite la défiance se généralisa : « (un ami) me tendit la main, je reculais avec effroi. » Les cœurs s’endurcirent. « Le temps n’était plus où l’on se dévouait pour les autres. Chacun luttait pour soi. » L’épidémie ravagea New York, Chicago, puis la Californie, elle raya San Francisco de la carte dans un gigantesque incendie. Les liens avec le reste du monde s’interrompirent : « La race humaine s’enfonce dans une nuit primitive. » Les riches tentèrent de s’en sortir, mais en vain. « Ce fut un écroulement total, absolu. Dix mille années de culture et de civilisation s’évaporèrent comme l’écume, en un clin d’œil. » Tout retourna à l’état sauvage. L’aïeul erra seul plusieurs années avant de reprendre contact avec de rares survivants, qui avaient reformé de minuscules tribus, violentes.
Alors qu’il déroule son histoire, le patriarche mesure que l’enfant a du mal à le comprendre, des mots lui échappent, des idées lui sont totalement étrangères : l’ancien de Berkeley fait face à un jeune barbare.
Il y a dans ce court roman la matrice des romans de la littérature dite « postapocalyptique » qui va suivre. Mentionnons La terre demeure de l’Américain George Stewart (1949), dans lequel un étudiant en écologie descend des montagnes après plusieurs semaines d’isolement et se rend compte (vite) que l’humanité a quasi disparu, emportée par la pandémie ; Je suis une légende de Richard Matheson (1954), livre culte comme on dit ; l’incontournable Stephen King avec Le Fléau (1978) sur une très radicale pandémie de grippe. On signalera encore Les Années fléaux de Norman Spinrad (1990) sans oublier Les Yeux des ténèbres de Dean Koontz qui évoque (en 1981) un virus chinois (de Wuhan) d’origine bactériologique… ou Pandémia de l’écrivain de polar nordiste Franck Thilliez (2015). Nombre de ces œuvres ont fait l’objet d’une adaptation cinématographique.

Des récits d’épidémie, de confinement, d’enfermement
Si l’on revient au récit d’épidémie plus « classique », les incontournables sont La Peste d’Albert Camus (1947) où l’on pense beaucoup à la peste brune du nazisme ; Le Hussard sur le toit de Jean Giono (1951) ; Les Pestiférés de Marcel Pagnol (1977) sur la peste de Marseille de 1720 ; La Quarantaine de Jean-Marie Le Clézio (1995) ; En un monde parfait de Laura Kasischke (2009) ; et enfin Némésis de Philippe Roth (2010).
Le thème du confinement est bien sûr présent dans ces romans, chez Le Clézio par exemple. Il constitue cependant un thème en soi pour nombre d’auteurs. Les histoires, ici, sont peut-être moins aventureuses mais elles ont donné lieu à de très belles œuvres, où on goûte souvent une bonne dose d’humour noir. Le père du genre est certainement Xavier de Maistre (1794) avec son Voyage autour de ma chambre. L’auteur, qui a alors 27 ans, raconte la mésaventure d’un officier, à Turin, obligé de garder sa chambre quarante-deux jours, suite à une affaire de duel : « J’étais dans ma chambre avec tout le plaisir et l’agrément possible mais hélas je n’étais pas le maître d’en sortir à ma volonté. » Le narrateur va nous parler de son lit, de son chien, de ses meubles, de sa bibliothèque ; peu à peu on le sent de plus en plus sensible à l’imagination, tant et si bien qu’au dernier jour de sa claustration, s’il se sent en état de penser le monde (« l’immensité et l’éternité sont à mes ordres »), il redoute un peu de sortir de sa chambre et de retomber dans l’âpre réalité de la vie quotidienne.
Outre la chambre, le confinement peut se passer dans un hôtel isolé du monde : on pense à Shining de Stephen King (1977) ; on retrouve le thème du chalet avec Jean Joubert dans Les Enfants de Noé (1987) : une famille perdue dans un chalet de haute montagne en 2036 tente de survivre alors que l’univers est enseveli (définitivement ?) sous la neige.
Il peut aussi s’agir de l’enfermement dans un corps : dans Le Scaphandre et le papillon, Jean-Dominique Bauby (1997) évoque son traumatisme de LIS (locked-in syndrome), un corps qui ne répond plus à l’esprit.
Des auteurs comme Stefan Zweig (Le Joueur d’échecs, 1943), Jean-Paul Sartre (Huis clos, 1943), Michel Tournier (Vendredi ou les limbes du Pacifique, 1967) ont alimenté cette veine.
Dans la catégorie polar, enfin, le thème de l’île, du bateau, du train, lieux clos, permettent souvent de construire des intrigues efficaces sur le confinement : on pense à Mort sur le Nil (1937) ou Dix petits nègres (1939) d’Agatha Christie.

Gérard Streiff est journaliste, essayiste et romancier.

 



Plusieurs ouvrages évoqués ici, dont les deux livres « fondateurs », La Peste écarlate de Jack London et Voyage autour de ma chambre  de Xavier de Maistre, sont dans le domaine public et consultables sur Internet ; avis aux amateurs pour le prochain confinement.

Cause commune n° 21 • janvier/février 2021