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La France compte de nombreux déserts médicaux (8 % de la population y serait confrontée), c’est-à-dire des territoires où l’offre médicale est insuffisante pour répondre aux besoins. Vieillissement de la population et chronicisation des pathologies se cumulent avec des offres de soins lacunaires, inégalement répartis.

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En zone rurale, plus d’un habitant sur deux (56 %) est exclu des soins de santé essentiels selon l’Organisation internationale du travail (OIT) contre 22 % en région urbaine (pour rappel, 38 % de la population mondiale n’est pas protégée par un système d’assurance sociale). L’accès au soin est d’autant plus difficile dans les départements ruraux qui voient leur population décliner de décennie en décennie (Indre, Creuse, Cher, Cantal, etc.). Prendre un rendez-vous médical se fait alors soit dans le cas d’une visite de contrôle, soit pour un examen par un spécialiste. Dans ce dernier cas, le délai est souvent très long (jusqu’à un an pour un ophtalmologiste, dermatologue, gynécologue, etc.) ou nécessite de parcourir une cinquantaine de kilomètres vers le département voisin. Si on prend l’exemple de l’Aude, recourir à un cardiologue ou à un chirurgien nécessite d’aller à Perpignan, Montpellier ou Toulouse.

Une répartition inégale des spécialistes et généralistes, y compris intrarégionale
La moyenne nationale des médecins cache ainsi une répartition inégale des spécialistes et généralistes, y compris intrarégionale. Selon le conseil national de l’Ordre des médecins, en 2016 le Languedoc-Roussillon comptait par exemple 314 médecins pour 100 000 habitants (+ 2 % en neuf ans), alors que l’Aude en comptait 248 – 6 %. Par ailleurs, les médecins généralistes sont plus présents dans des zones à densité moyenne (le littoral, une partie du Minervois et des Corbières) que dans des zones à densité faible (à savoir tout le reste du département de l’Aude). Ce déséquilibre touche aussi des petites villes comme Narbonne où sur 40 généralistes, aucun n’exerce dans le quartier ouest qui compte pourtant 7 000 habitants.

« Si le nombre total de médecins n’a jamais été aussi important, le nombre de médecins généralistes continue de diminuer et leur répartition sur le territoire est de plus en plus inégale. »

Le phénomène s’explique par trois séries de raisons. Tout d’abord, les médecins prenant leur retraite éprouvent les plus grandes difficultés à trouver un successeur (d’autant plus avec le nombre toujours insuffisant d’étudiants du fait du numerus clausus). Les jeunes médecins tendent à privilégier des régions dynamiques, à l’instar de l’Île-de-France, Rhône-Alpes (plus que sa moitié auvergnate) ou encore la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ensuite, la déconcentration de la politique de santé au niveau des agences régionales de santé et l’application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) se traduisent mécaniquement par des fermetures d’hôpitaux réputés coûteux ou peu performants au profit de grands établissements de santé en milieu urbain. Jusqu’aux premières lois de décentralisation en 1986, la médecine relevait conjointement des politiques de santé et d’aménagement du territoire. Aujourd’hui, avec une tendance du politique et de l’administratif à se spécialiser et à segmenter les grands dossiers de l’action publique, la médecine est passée tout naturellement sous le giron des seules politiques de santé, avec l’impératif de devenir rentable.

« Une juste répartition des ressources humaines sur le territoire suppose de prendre en considération les caractéristiques propres aux populations rurales, notamment du fort taux de pauvreté et du caractère informel du travail. »

Si le nombre total de médecins n’a jamais été aussi important, le nombre de médecins généralistes continue de diminuer et leur répartition sur le territoire est de plus en plus inégale. À cela s’ajoute la fermeture des hôpitaux de proximité qui aggrave la situation. De plus, le système de la médecine libérale, avec la liberté d’installation et la rémunération à l’acte, est arrivé en bout de course et ne permet pas de répondre aux besoins de la population et aux aspirations des jeunes médecins qui privilégient de plus en plus le salariat et les activités mixtes.

Nécessité d’un réseau de centres de santé rattachés aux hôpitaux de proximité
La CGT propose de développer un réseau de centres de santé rattachés aux hôpitaux de proximité (avec notamment la médicalisation des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes [EHPAD]) avec des médecins et personnels salariés. Ces structures auraient la mission d’assurer la permanence des soins, ce qui éviterait un recours par défaut aux urgences par les patients qui ne trouvent pas d’autre solution. Une juste répartition des ressources humaines sur le territoire suppose de prendre en considération les caractéristiques propres aux populations rurales, notamment du fort taux de pauvreté et du caractère informel du travail. Ceci signifie passer de la charité aux droits, offrir aux personnels de santé des conditions de travail décentes qui améliorent leur productivité, et réduire les paiements directs des patients, via la fin des dépassements d’honoraires et la généralisation du tiers payant. Le développement des systèmes de santé et de protection sociale en est aussi une condition préalable. C’est une autre vision de la société où l’éducation et la création d’emplois décents font également partie des solutions pour réduire les inégalités d’accès à la santé. n

Barbara Filhol est secrétaire générale des EHPAD publics du Val-de-Marne. Elle est membre de la direction fédérale CGT Santé action sociale.

Cause commune n° 5 - mai/juin 2018