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Il a paru ces jours-ci chez Arfuyen, éditeur tant de l’œuvre poétique de Jean de la Croix que des poèmes rauques de Jacques Pautard, une belle traduction, par Jean Pavans, des poèmes de la romancière américaine Edith Wharton (1862-1937), restée dans les mémoires comme la première femme de lettres à recevoir le prix Pullitzer. Elle eut comme premier mentor Henry James, qui l’introduisit dans cette génération intermédiaire, hétéroclite si ce n’était pour les mondanités, des Cocteau, Gide, Anna de Noailles ou Rachilde qu’elle retrouva à Paris, où elle s’installa dès 1907. De fait, elle semble détonner un peu au milieu de tous ces personnages, par son bilinguisme, sa pratique littéraire des deux langues et l’autotraduction. Ce qui touche, dans ses poèmes, est l’extrême simplicité de ses vers, sans extravagances, mais qui se déploient amplement, sans renoncer à aller jusqu’au bout d’une image, à rendre transparent ce qui était opaque. Edith Wharton est simplement et modestement lyrique. Ici deux poèmes, l’un de deuil, l’autre d’une rupture amoureuse envisagée, qui sont à rapprocher. Deux mêmes choses, en fin de compte. Comme si Edith Wharton voulait nous dire qu’il n’y a pas autre chose que l’amour derrière la mort, et la mort derrière l’amour. Cette vieille idée d’Eros et Thanatos, rendue à sa première simplicité, sans orgue ni sanglot. Mallarmé : « Un peu profond ruisseau calomnié la mort ». Edith Wharton s’est rendue dans le ruisseau pour nous montrer la transparence du temps, des souvenirs, laver son nom des calomnies ou exagérations et pointer du doigt le fond tout proche : c’est le limon, c’est l’amour.

Victor Blanc

 

« Je dirai, non pas que tu es mort, mais que tu es répandu
Comme les graines le sont par la brise d’automne,
Pour renouveler la vie là où tout semblait verrouillé et désolé.
Si bien que cette terre, cette terre sans signification, peut encore
Retrouver un sens pour moi, parce qu’une parole
Que tu as prononcée en passant vibre dans le jet
De la frêle fontaine de l’enclos de mon jardin,
Et parce que tu t’es arrêté un jour devant ce rosier,
Ou bien je peux t’entendre dans cet oiseau migrateur
Qui lance son cri d’adieu au long de l’allée de tilleuls,
Et sentir ta main dans la mienne, et respirer un moment. »

« Quand je serai partie, souviens-toi de mes cheveux,
Non tels que je les fais éclaircir,
Mais parce que tes doigts, en s’y enchevêtrant,
Les ont rajeunis d’une blondeur dorée.
Souviens-toi de mes mains, qui n’avaient aucune douceur
Ou blancheur ou finesse ineffables,
Avant de s’être si longtemps et souvent abandonnées
À la chaleur et à la fermeté de ton emprise.
Souviens-toi de mes yeux, qui étaient trompeurs
Comme des étangs opaques jonchés des épaves de l’été.
Tu en as chassé les débris, mais dans leur ciel
Tu n’as pas suspendu d’autre image que la tienne.
Souviens-toi de ma bouche, qui ignorait
Qu’un baiser pût s’y nicher et prendre son envol,
Mais qui a frémi au contact de tes lèvres
Comme un buisson peuplé d’oiseaux à l’appel du printemps. »

Edith Wharton, « Jardin d’adieu » et « Quand je serai partie », in Terminus et autres poèmes intimes,
traduction de Jean Pavans, Arfuyen, 2024.

Cause commune n° 41 • novembre/décembre 2024