À l’occasion du centenaire du Parti communiste, il semblait important de revenir sur une part importante de la population dans la majorité des années de ce centenaire : les paysans et les habitants des territoires ruraux.
Entre 1920 et aujourd’hui, la part des travailleurs de l’agriculture (paysans comme salariés) dans la société française a été divisée par vingt au minimum et se cantonne à environ 3% de la population actuelle. Parler du PCF et des paysans, c’est évoquer des figures importantes, des territoires clés mais aussi le bilan concret du parti dans son action et sa volonté de représentation et de mobilisation. Beaucoup d’universitaires s’y sont frottés : Jean Vigreux, Julian Mischi, Marcel Faure ou Philippe Gratton. Leurs travaux sont accessibles pour certains sur Internet, et cet article n’a pas pour objet d’en faire une recension mais propose un point de vue, après un débat à plusieurs, de cette histoire militante du PCF ; un point de vue situé au XXIe siècle, après la chute de l’URSS et des kolkhozes, après la réorganisation administrative et territoriale française (cantons, fusion de communes, désindustrialisation, etc.), et après l’installation de la politique agricole commune (PAC) comme sujet central du débat sur les politiques publiques en France.
Avant 1917
Dans l’imaginaire socialiste et/ou marxiste français comme international, les paysans ne sont clairement pas vus comme la classe dirigeante à l’avant-garde de la révolution prolétarienne. Ils sont même décrits par Marx comme des « sacs de pommes de terre » ; Trotsky ou Vaillant-Couturier s’en méfient et certains militants ont à l’esprit le soutien de nombreux paysans à Louis-Napoléon Bonaparte lors de l’élection présidentielle de 1848 comme après la Commune de Paris. L’anecdote vaut d’être rappelée mais lors de la grande manifestation sur le Larzac en 1973, le syndicaliste paysan Bernard Lambert, pour montrer la force de la lutte des paysans contre l’armée, s’exclama : « Jamais plus les paysans ne seront des versaillais. »
« Le PCF ne s’est pas implanté partout de la même façon, il existait des terreaux fertiles à la diffusion de son message, à sa réappropriation par des notables locaux et à son enracinement auprès des paysans. »
Les dirigeants socialistes dans de nombreux pays n’étaient pas issus de la paysannerie ; ils en avaient une certaine méconnaissance et pouvaient partager certains préjugés dans une vision où le paysan est un arriéré et l’ouvrier l’homme moderne. Image renforcée dès l’après-guerre dans les années 1950, où les jeunes paysans décidèrent de se faire appeler à travers leur syndicat « Jeunes agriculteurs ».
Les créateurs du PCF vont construire le parti avec certains de ces préjugés, en oubliant parfois que beaucoup de votes issus du monde rural aidèrent à faire basculer le congrès de Tours.
Le cheminement des paysans vers le PCF
Le Parti communiste a été créé au lendemain de la Première Guerre mondiale, dans une France majoritairement rurale (jusqu’en 1934). Les militants paysans de l’après 1920 sont des républicains convaincus, issus de familles républicaines, radicales ou radicales-socialistes et souvent issus de territoires ciblés par Emmanuel Todd comme étant en avance sur la Révolution française, notamment sur la question de l’héritage familial, où l’égalité prévalait dans le sud et l’est de la France, contrairement au nord-ouest catholique. La IIIe République s’est construite sur la séduction des paysans via l’accès et la protection de leur petite propriété familiale, tout en ne s’attaquant pas aux grandes concentrations terriennes, laissant des milliers de familles vivre sous la coupe d’un propriétaire pouvant les faire partir du jour au lendemain. Cette promesse de la propriété pour tous n’a pas été tenue et c’est un premier point qui amènera des paysans du républicanisme au communisme.
Un autre facteur à prendre en compte est la violence de la Première Guerre mondiale : les paysans ont été envoyés en nombre à la boucherie, certains bataillons de départements très ruraux mis en première ligne (Lozère, Bretagne, Alpes-de-Haute-Provence) et beaucoup en revinrent avec l’amertume d’avoir été dupés, d’avoir été manipulés par les décideurs politiques, sans compter ceux, dont Renaud Jean, qui sont revenus avec des handicaps. Cela engendra un fort antimilitarisme que l’ARAC (Association républicaine des anciens combattants) d’Henri Barbusse sut accueillir, à l’opposé des ligues d’extrême droite qui captèrent le mécontentement et le désir de vengeance (les chemises vertes d’Henri Dorgères par exemple). Les socialistes restant dans la vieille maison en 1920 ayant été, pour beaucoup, favorables à l’Union sacrée durant la guerre, il devint logique pour certains paysans que le parti contre la guerre était le PCF (c’était de surcroît un mot d’ordre de Lenine en Russie).
Le PCF ne s’est pas implanté partout de la même façon. Il existait des terreaux fertiles à la diffusion de son message, à sa réappropriation par des notables locaux et à son implantation auprès des paysans. Dans ces territoires peuvent se superposer la Révolution française, le refus du coup d’État de 1851, un certain anticléricalisme et une histoire positive de luttes menées et gagnées. C’est pour cela que les terres du centre de la France (Allier, Cher, Nièvre), du sud-ouest du Massif central (Limousin, Dordogne, Lot-et-Garonne), d’une partie du Midi rouge où la constitution de coopératives viticoles communistes après l’encouragement de Jaurès fut une réalité, d’une partie des Alpes du sud et du centre de la Bretagne ont été davantage perméables à l’action du PCF. Le parti s’est appuyé en réalité sur des réseaux le précédant, sur l’histoire orale, transmise de génération en génération (comme les ouvriers savaient aussi le faire en se passant la mémoire de 1789, 1830, 1848 et 1871), et sur la capacité de certains leaders paysans à comprendre la situation que vivait le monde rural et faire la preuve de leur utilité. Ainsi l’action du PCF se confondait avec l’action de la CGT-paysans, éphémère création d’avant 1940, comme elle a pu s’appuyer sur la crédibilité des résistants communistes paysans après la guerre.
« Le premier programme agricole date du congrès de Marseille de 1921. »
La conjugaison de ces facteurs a permis de voir émerger sur certains territoires des leaders qui participèrent à la construction du Parti communiste français : Renaud Jean, premier député communiste en 1920 et paysan (ce qui est toujours important à rappeler dans le récit communiste), Marius Vazeilles, député de Corrèze, Albert Boccagny, député de Haute-Savoie, Waldeck Rochet, secrétaire général du PCF dans les années 1960, ou André Lajoinie, candidat à l’élection présidentielle en 1988, pour les plus importants.
Le PCF et les paysans : un programme ou un réseau ?
Qu’importent leur production, leur situation (fermiers, propriétaires ou ouvriers), le PCF souhaite organiser les paysans, presque comme une classe en soi. Le premier programme agricole date du congrès de Marseille de 1921. Ce « programme agraire », rédigé par Renaud Jean après des remarques de Lénine notamment, se centre sur les questions de propriété. En voici les six principaux points, réajustés après-guerre au congrès de Gennevilliers (1950) et dans un ouvrage de Waldeck Rochet, Vers l’émancipation paysanne (éditions sociales, 1952) :
• Expropriation des grands propriétaires fonciers et des terres arables et en friche mises en valeur par des fermiers et métayers ;
• Consécration absolue des petits et moyens propriétaires exploitants à la jouissance continue et héréditaire des terres qu’ils travaillent ;
• Remise des terres expropriées et des biens qui en dépendent aux paysans travailleurs : petits fermiers, métayers, ouvriers agricoles, ou petits propriétaires-exploitants disposant d’une superficie insuffisante ;
• Une fois la réforme agraire réalisée, interdiction de la vente et de l’achat des terres afin de conserver la terre à ceux qui la travaillent et d’empêcher qu’elle ne passe à nouveau aux mains des capitalistes et des spéculateurs ;
• Aide de l’État en vue du développement de la production agricole et de l’amélioration des conditions de vie à la campagne ;
• Appui général et financier à la coopération agricole sous toutes ses formes, y compris aux coopératives de production, lesquelles en se développant sur la base du libre consentement des paysans-travailleurs ouvriront la voie vers une agriculture socialiste moderne.
On a souligné ce rapport à la propriété hérité des luttes de la Révolution française, des exemples soviétiques et de l’idéologie de la IIIe République. Le PCF a toujours essayé de concilier la collectivisation des grands domaines et la sacralité des petites propriétés, grâce à un mot d’ordre clair : « La terre à ceux qui la travaillent ». Ce slogan permet de s’adresser à ceux qui utilisent depuis des siècles les terres communales non privatisées à la Révolution, ceux qui sont liés par fermage et métayage à de grands seigneurs ou bourgeois et ceux qui sont propriétaires de leurs vergers ou de leurs terres à blé.
« Dès 1953, dix-huit syndicats départementaux se réunissent et créent le comité de Guéret, en opposition à la direction nationale de la FNSEA. »
Autour des années 1930, Maurice Thorez s’engage dans la réflexion programmatique, en lien avec le Krestintern (sorte d’Internationale des paysans inféodée à Moscou), avec une démarche plus proche du modèle soviétique. En 1937, après la victoire du Front populaire et l’arrivée de jeunes militants dont Waldeck Rochet, la « commission agraire » reprend le travail idéologique et stratégique. La Terre, hebdomadaire dédié aux paysans, est créé. Ce périodique disparaît en 2015 un peu brutalement et sans stratégie alternative, nous privant ainsi d’expression en direction du monde rural. Le journal tirera jusqu’à 300 000 exemplaires après-guerre, traitera l’actualité du point de vue des campagnes et sera dirigé par des responsables du PCF issus de ces mêmes campagnes (les dirigeants de La Terre étaient des militants ruraux promus à Paris et en banlieue par le parti, dont Waldeck Rochet en premier lieu, député de Nanterre).
Du syndicalisme unitaire à l’émergence du Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF)
Au sortir de la guerre, le PCF est renforcé par l’adhésion de paysans issus en particulier des réseaux de résistance, paysans qui sauront s’attirer le vote de populations rurales en recherche de nouveaux représentants, hier disqualifiés par la collaboration ou l’adhésion au régime de Vichy. Le PCF va soutenir la création du statut du fermage en 1946, initiée par un ministre socialiste, paysan et résistant, François Tanguy-Prigent, protégeant le locataire des terres face à son propriétaire.
Rapidement, les paysans vont se constituer en syndicat, notamment avec la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Les communistes y prendront leur part, ne relanceront pas la CGT-paysans, et seront à la direction de certains syndicats départementaux. Néanmoins, dès 1953, dix-huit syndicats départementaux se réunissent et créent le comité de Guéret, en opposition à la direction nationale de la FNSEA. Le PCF avait été hostile au plan Marshall qui avait des conséquences sur l’agriculture française. Une agriculture qui subit des transformations très rapides sous l’influence de la politique agricole commune, avec laquelle les dirigeants du PCF ne sont pas d’accord ; ils voient d’un mauvais œil la restructuration de l’agriculture, les transferts de ses travailleurs vers l’industrie, les primes au départ pour encourager les vieux travailleurs à vendre leurs terrains à ceux qui en ont déjà. En 1959, c’en est trop, le MODEF (Mouvement de défense des exploitants familiaux) est créé regroupant des paysans communistes, socialistes, voire anarchistes. Certains communistes resteront dans la FDSEA (Allier par exemple), et le MODEF sera donc le seul syndicat d’opposition jusqu’à la fin des années 1970 et la scission de la gauche catholique de la FNSEA qui débouchera en 1987 sur la création de la Confédération paysanne. Entre-temps, les jeunes paysans seront encouragés au modernisme sous l’influence du Syndicat des jeunes agriculteurs, issu du milieu catholique en partie, et mettant en œuvre des formations techniques à destination de jeunes ayant arrêté l’école tôt.
Quand le rôle du syndicalisme dépasse celui d’un parti politique
Ce virage de la formation notamment technique comme rôle du syndicalisme affaiblit dans l’organisation des paysans le PCF centré sur des revendications, sur l’action législative et les questions de propriété. Avec la création des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) regroupant banques, mutuelles, syndicat, État, la propriété est davantage garantie et utilisée en faveur des jeunes, même si en réalité les terres sont de plus en plus concentrées dans une vision industrialiste de l’agriculture.
« En 1959, le Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF) regroupe des paysans communistes, socialistes, voire anarchistes. »
De plus, le réseau syndical déployé par la FNSEA avec ses moyens et ses antennes permet de répondre à des besoins de représentation, de trouver des solutions beaucoup plus concrètement qu’un parti politique. D’ailleurs, l’action de Renaud Jean ou de Marius Vazeilles avait été structurée grâce à l’action syndicale, de même que l’organisation des viticulteurs dans le Midi. Lors de la libération de la Corse, en 1943, des militants communistes tentèrent de créer une sorte de kohlkoze (à Pietra Corbara), mais rapidement la direction nationale du PCF, sur insistance de l’URSS, condamna l’initiative, par peur d’effrayer le futur électorat paysan. Si avant-guerre la division du travail politique entre syndicat, coopérative et parti n’était pas claire, elle le sera bien davantage après, comme dans le mouvement ouvrier, comme dans nombre de luttes. L’agriculture et les paysans ne sont pas à part dans la société.
Si le MODEF a pu initier des luttes d’envergure dans les années 1960, il est clair que son influence a décru en même temps que celle du PCF dans la société et également parce que ses territoires de force, ses secteurs de production étaient eux-mêmes en déclin, parfois les plus soumis à la concurrence européenne héritée de la PAC. Quand la FNSEA était dirigée par des producteurs de lait ou de céréales, le MODEF l’était par des producteurs de viande, de fruits et légumes ou des viticulteurs. Et son origine communiste ne permit pas d’attirer les paysans en rupture avec la FNSEA, souvent emplis de préjugés envers les communistes, d’origine catholique pour beaucoup, ou étant proches des milieux d’extrême gauche pour d’autres. La Confédération paysanne est donc le syndicat qui a su se développer et représenter les paysans, parfois en aidant le Parti socialiste à s’ancrer, parfois en lien avec les Verts. Fondamentalement, la Confédération paysanne ne fut jamais en opposition avec l’existence même de la PAC, contrairement au PCF.
La prédominance des questions agricoles
Avec moins de 3% d’agriculteurs dans la population active française, il semble donc logique qu’aujourd’hui il y ait également moins de paysans parmi les adhérents du PCF ; il se trouve même que ce sont des professeurs de l’enseignement agricole, des techniciens ou des comptables, voire des ingénieurs agronomes qui se sont investis dans le positionnement agricole du PCF ces vingt dernières années, avec un enjeu : passer de l’organisation d’une masse de paysans à l’organisation d’une parole sur l’agriculture (prix, PAC, quotas, environnement, retraites). Aujourd’hui, ce sont les questions agricoles qui sont traitées, et non la manière de rassembler des adhérents-paysans.
À cela s’ajoute la montée en puissance du discours entrepreneurial chez les agriculteurs ; de droite comme de gauche, en circuit court comme en circuit long, en conventionnel comme en bio, la mentalité du « Je suis patron chez moi et responsable de ce qui m’arrive » s’est diffusée et va à l’encontre des luttes proposées par le PCF sur des revendications générales et collectives. C’est d’ailleurs au prix d’une immense contorsion que la FNSEA et la Confédération paysanne parviennent à maintenir leur unité, tout en voyant certaines productions les fuir (viticulture, maraîchage…). Quel rôle alors pour le PCF ? Rassembler les ouvriers agricoles tout en souhaitant qu’ils ne deviennent pas propriétaires de leurs moyens de production ? Difficile perspective.
Il semble cependant que le PCF s’est décentré de l’unique question de la propriété (qui fait figure d’utopie) pour aller vers des réflexions plus qualitatives sur le rôle de l’agriculture. Dans une société française où les coopératives agricoles sont des monstres industriels, où la concentration des terres n’a jamais été aussi forte, où certains syndicats agricoles travaillent au repli sur soi et à la victimisation des paysans, le PCF reste néanmoins un espace où paysans et non-paysans peuvent discuter et se rencontrer dans les sections et départements ruraux.
Mieux, grâce à son réseau, le PCF pourrait permettre de faire le chemin inverse de celui des quarante dernières années : faire se rencontrer des personnes de la ville et leur donner envie de venir s’installer en rural, afin de développer une autre vision de l’agriculture, un autre rapport au travail et à la marchandise. Pour que le slogan « Pour une terre commune » d’André Chassaigne ne soit pas une incantation mais devienne une réalité dans une société où de moins en moins de gens veulent travailler la terre mais où de plus en plus ont des exigences sur la façon dont les autres doivent la travailler.
Pierrick Monnet est ouvrier agricole et membre du comité de rédaction de Cause commune.
Cause commune n° 14/15 • janvier/février 2020