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Die Linke organise au printemps 2018 plusieurs forums régionaux sur le thème « Un parti en mouvement ». Gros plan sur les débats internes qui traversent la formation politique allemande.

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Qu’il s’agisse de Podemos, de Corbyn ou de Sanders, les mouvements de gauche ont développé des approches qui ont donné lieu à des succès électoraux et à des adhésions massives. Au sein de Die Linke, si tout le monde s’accorde à dire que ces évolutions interrogent l’essence même de Die Linke, les désaccords pointent leur nez lorsque l’on pose la question de savoir ce qu’est un « mouvement » qui prend la forme d’un parti. Ce faisant, selon les interprétations des uns et des autres, différents points font l’objet de discussions :
1. la rupture avec la troisième voie de la social-démocratie ;
2. l’ambition de rassemblement ;
3. les formes de discours populiste de gauche ;
4. l’interaction avec les mouvements sociaux ;
5. l’ambition de diriger un gouvernement ;
6. les éléments de démocratie directe ;
7. les cotisations faibles/inexistantes.
La prise en considération de tous ces facteurs permet de dégager de « nouvelles règles du jeu ». Celui qui souhaite obtenir la majorité dans une organisation dont les cotisations sont faibles ou inexistantes, dans le cadre d’un processus de démocratie directe large, doit être en mesure, en tant que personne, de rallier à son projet un grand nombre de gens. L’expérience du Parti travailliste britannique montre que le fait de disposer d’un réseau interne de responsables du parti n’est pas nécessairement d’un grand secours mais qu’il faut surtout être capable de s’adresser directement à tous ceux qui sont moins fortement politisés, qui ne peuvent pas consacrer beaucoup de temps à la politique, qui ne visent ni responsabilité, ni mandat, mais qui veulent néanmoins faire entendre leur voix. Avant de revenir à ces « nouvelles règles du jeu », nous nous pencherons d’abord sur les débats qui agitent Die Linke sur ces différents points, ce qui nous permettra, ce faisant, de présenter le parti.

« Sous le mot d’ordre “Un parti en mouvement” sont prises des mesures visant d’une part à soutenir les mouvements sociaux, d’autre part à attirer des acteurs des mouvements sociaux. »

Les débats qui agitent Die Linke
Die Linke est une traduction organisationnelle de la rupture avec la troisième voie de la social-démocratie. Elle s’est constituée sous sa forme actuelle avec une ambition de rassemblement en réaction à la politique néolibérale de l’« Agenda 2010 » du chancelier social-démocrate Gerhard Schröder. Elle est la fusion du Parti du socialisme démocratique (PDS), qui avait pris la suite du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED), le parti d’État de la République démocratique allemande (RDA), et de l’Alternative électorale pour le travail et la justice sociale (WASG), qui avait été créée par des personnalités du mouvement social et syndical et par d’anciens membres du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) dans le sillage des luttes contre l’Agenda 2010.
Les protagonistes du débat actuel dans le parti, Sahra Wagenknecht et Katja Kipping, se réfèrent toutes les deux de manière positive au concept de populisme de gauche. Les différences entre les deux approches reflètent les points de clivage qui agitent actuellement le parti. D’un côté, une forme plutôt traditionnelle de populisme de gauche, représentée notamment par Sahra Wagenknecht, la présidente du groupe parlementaire, qui place la question sociale au centre du débat et qui s’adresse aux travailleurs, aux chômeurs mais aussi aux petites et moyennes entreprises, et dont l’ambition est de toucher aussi bien les villes que les campagnes. Face à elle, la présidente du parti, Katja Kipping, incarne plutôt une orientation écologiste libertaire. Elle entend notamment s’adresser à une population jeune, diplômée et urbaine en mettant en avant les questions de genre, d’origine et d’orientation sexuelle. Cette discussion croise et complète un autre débat traditionnel dans le parti, qui porte sur le rapport au SPD et la possibilité de participer au gouvernement ; ce débat trouve sa manifestation institutionnelle dans la confrontation entre, d’un côté, les présidents du parti, Katja Kipping et Bernd Riexinger, et, d’un autre, les présidents du groupe parlementaire, Sahra Wagenknecht et Dietmar Bartsch.

« Être capable de s’adresser directement à tous ceux qui sont moins fortement politisés, qui ne peuvent pas consacrer beaucoup de temps à la politique, qui ne visent ni responsabilité, ni mandat, mais qui veulent néanmoins faire entendre leur voix. »

Du côté des présidents du parti, le débat sur le mouvement est pensé sous l’angle de l’interaction avec les mouvements sociaux. Sous le mot d’ordre « Un parti en mouvement » sont prises des mesures visant d’une part à soutenir les mouvements sociaux, d’autre part à attirer des acteurs des mouvements sociaux. Ces efforts sont complétés par des mesures de renforcement et d’intégration des adhérents, des campagnes plus fréquentes, ainsi que l’organisation de « congrès d’avenir », qui doivent servir à débattre des possibles réformes du parti.
L’ambition de diriger un gouvernement n’est pas présente chez tout le monde dans le parti. Toutefois, le débat a été ravivé par la proposition de l’ancien président du parti, Oskar Lafontaine, de fonder un nouveau mouvement de rassemblement de la gauche. Celui-ci a vocation à rassembler des sociaux-démocrates et des verts, mais aussi des personnalités du monde de la culture, des syndicalistes ou encore des scientifiques. Ce rassemblement doit constituer la base d’une majorité de gauche et rendre crédible l’ambition de diriger le gouvernement. Les critiques qui s’expriment posent notamment la question de savoir si les bases pour une telle majorité existent ou non en Allemagne.
Les statuts du parti Die Linke incluent des formes de démocratie permettant la participation directe des adhérents. Récemment, cette option a fait l’objet d’une discussion lors de la désignation des têtes de liste pour les élections législatives de 2017. Mais, finalement, il n’y a pas eu de recours à un vote de la base, et Sahra Wagenknecht et Dietmar Bartsch l’ont emporté, contre l’avis des présidents du parti, qui souhaitaient une tête de liste à quatre. Le courant des réformateurs « Forum du socialisme démocratique » avait proposé l’élection directe du président fédéral, par Die Linke, le SPD, les verts et les pirates. Étant donné les rapports de force au sein de l’assemblée fédérale chargée d’élire le président, ce vote aurait été décisif dans le processus de désignation du président fédéral, mais le SPD n’a pas accepté cette proposition.
La question du montant ou de l’absence de cotisations est explosive au sein de Die Linke. Car Die Linke a, de loin, les cotisations les plus élevées de tous les partis allemands et constitue également une exception notable dans le paysage européen. Statutairement, la cotisa­tion d’un salarié moyen (1 700 euros) est de 55 euros par mois, c’est-à-dire bien 50 euros de plus, par exemple, que le Parti travailliste britannique.

L’ambition de rassemblement
En Allemagne, le débat porte sur différentes définitions de ce qui constitue un mouvement. Les présidents du parti, en parallèle de leurs efforts pour interagir avec les mouvements sociaux, soulignent le fait que, par son histoire, Die Linke est déjà un mouvement de rassemblement. L’ambition de rassemblement implique pour eux la nécessité de représenter de façon équilibrée les différents milieux et groupes d’intérêts de la gauche sociale dans la direction du parti. Sahra Wagenknecht semble vouloir prendre en considération d’autres facteurs, qui résultent des « nouvelles règles du jeu » évoquées plus haut. Ses détracteurs craignent qu’elle se serve de sa (possible) majorité parmi les adhérents pour prétendre à un pouvoir plus étendu. Dans la mesure où les groupes cibles de Katja Kipping – urbains, jeunes et diplômés – ont davantage la possibilité et l’envie de s’investir activement à l’intérieur du parti que les groupes cibles de Sahra Wagenknecht, le débat peut prendre de l’ampleur.

Kaspar Scholemann est ancien secrétaire national de la Linksjugend Solid, l’organisation de jeunesse de Die Linke.

Traduit de l’allemand par Jean Quétier

Cause commune n° 4 - mars/avril 2018