Par

Face aux défis planétaires en cours ou à venir, la question énergétique est centrale. Les positions et propositions de la CGT à cet égard.

Est-ce qu’on s’achemine vers une crise énergétique majeure ?
Je dirais plutôt que la question énergétique est majeure. C’est toujours par l’énergie qu’on a pu se développer, augmenter la production, créer des infrastructures, avoir accès à l’eau potable, à la santé, à l’éducation. Aux XIXe et XXe siècles, il s’agissait du charbon, du pétrole, puis du gaz. Ces sources ont émis des gaz à effet de serre, il faut passer à autre chose, le GIEC nous le rappelle de façon toujours plus brûlante.
Certaines sources d’énergie vont devenir plus rares, les prix de l’énergie augmentent. Mais un autre aspect est insuffisamment souligné : les catastrophes climatiques, la précarité énergétique ne touchent de la même façon ni tous les gens d’une même nation, ni les divers peuples, ce sont les plus pauvres et les anciens pays colonisés qui souffrent le plus. Il y a une prise de conscience, mais les mesures prises ne sont ni assez cohérentes, ni assez contraignantes.

À quels défis s’attaque la CGT dans le domaine de l’énergie ?
C’est une équation compliquée : répondre aux besoins des populations en France, où il y a treize millions de précaires énergétiques, et dans le monde où deux milliards de personnes n’ont pas accès à l’énergie, tout en limitant de manière drastique les émissions de gaz à effet de serre.
Les ressources énergétiques doivent donc être considérées comme des biens publics mondiaux. Il est anormal qu’elles soient gérées comme elles le sont par des multinationales ou par l’Arabie saoudite et les émirats ; il faudrait des organismes mondiaux, mais justes et non dominés par les grands pays capitalistes. En d’autres termes, ces ressources ne doivent pas être soumises aux compétitions agressives mais au contraire être l’objet de coopérations en vue de dégager partout les solutions les moins émettrices de gaz à effet de serre et les plus équitables du point de vue social. La loi dite du marché a montré son incapacité à régler ces problèmes, il faut donc un nouveau mode de développement, une économie circulaire pour une meilleure efficacité énergétique (produire mieux avec une même quantité d’énergie), des circuits courts pour des objets réparables, durables.

« Il faut agir sur plusieurs registres : la recherche (y compris en sciences humaines et sociales) ; le travail (finalité et méthodes de la production, démocratie dans l’entreprise) ; la vie politique nationale et internationale. »

C’est une autre organisation du territoire qui est nécessaire. Par exemple, diminuer les émissions de gaz à effet de serre et la consommation énergétique dans le transport, c’est non seulement basculer de la route vers le rail, mais aussi permettre d’habiter près de son lieu de travail (prix des loyers, étalement urbain), et modifier le temps de travail (moins d’horaires fractionnés, moins de retours à la maison à des heures où il n’y a plus de transports en commun).
Il faut donc agir sur plusieurs registres : la recherche (y compris en sciences humaines et sociales) ; le travail (finalité et méthodes de la production, démocratie dans l’entreprise) ; la vie politique nationale et internationale.

Certains disent qu’il est déjà trop tard…
Il n’est jamais « trop tard » et, de toute façon, si on ne fait rien, ce sera pire. Au contraire, il y a beaucoup de réformes à entreprendre, sinon c’est subir : la crise sanitaire nous l’a rappelé de façon éclatante, si un maillon rompt, ce sont des morts. C’est aussi la dépendance : la France a été désindustrialisée, de nombreux produits indispensables ne sont plus fabriqués chez nous, ni même dans les pays voisins, on l’a vu pour les masques, les vaccins. Les grands capitalistes ont délocalisé les activités là où ils pouvaient s’affranchir des normes sociales et environnementales, afin d’augmenter leurs profits. La plupart des objets que nous achetons ont fait trois fois le tour du monde, leur bilan carbone est lamentable, mais cela n’est pas comptabilisé dans les coûts et dégâts écologiques des multinationales et des pays occidentaux. Une mesure importante serait d’incorporer tous ces coûts dans le prix de chaque produit arrivant aux consommateurs, pour rendre plus attractives les productions plus respectueuses de l’homme et de la planète. Il faut obtenir l’harmonisation par le haut des normes sociales et environnementales.

On parle souvent d’adaptation…
Les dégâts sont déjà en cours ; il faut à la fois traiter les problèmes à la racine et diminuer les souffrances subies par les peuples dans le monde entier. Les syndicats agissent toujours dans ces deux directions, pour défendre les travailleurs dans toutes les situations concrètes.
Mais il y a aussi nécessité d’adapter les mesures de façon différenciée dans les divers pays. Par exemple, du point de vue énergétique, au Québec, il y a beaucoup d’hydraulique, donc du 100 % renouvelable qui se stocke, situation très différente de celle d’autres pays. La part de l’électrique va augmenter partout, il y aura des transferts d’usage, notamment avec le passage de véhicules à essence aux véhicules électriques (même s’il ne s’agit pas d’une panacée) ; les nouvelles technologies, en particulier numériques, sont très consommatrices en électricité, contrairement à ce qu’on croit souvent. En France, on a une énergie électrique très décarbonée (avec le nucléaire et l’hydraulique), ce qui n’est pas le cas en Allemagne. Enfin, le solaire ou l’éolien n’ont pas la même efficacité selon le climat local.

« Une équation compliquée : répondre aux besoins des populations en France, où il y a treize millions de précaires énergétiques, et dans le monde où deux milliards de personnes n’ont pas accès à l’énergie, tout en limitant de manière drastique les émissions de gaz à effet de serre. »

Dans tous les cas, il faut faire évoluer le mix énergétique. L’objectif de la transition énergétique est de remplacer des énergies carbonées par des énergies bas carbone. En France cela signifie un mix électrique composé d’énergie nucléaire et d’énergie renouvelable (dont l’hydraulique).
Un point à prendre en compte concerne l’approvisionnement en terres rares et en métaux stratégiques, présents dans toutes les nouvelles technologies et dans la production d’énergie renouvelable, ce qui est source de tensions internationales.

Les grandes entreprises et les gouvernements qui les soutiennent ou les promeuvent ne l’entendent peut-être pas de cette oreille…
Dans les secteurs stratégiques, on ne peut pas laisser le marché régler les problèmes essentiels. Une appropriation sociale est nécessaire, il ne s’agit pas seulement de nationalisations, il faut aller plus loin, en particulier en donnant de nouveaux droits aux travailleurs dans les entreprises, ce sont eux qui savent le mieux comment elles fonctionnent, qui sont donc les mieux à même de penser à ce qu’ils produisent et comment ils le produisent. C’est le sens et la finalité de leur travail. Les élus, les collectivités locales, les usagers doivent aussi avoir leur mot à dire. Il y a là un verrou très difficile à faire sauter : les patrons acceptent à peu près (certes trop peu et souvent en s’opposant) de discuter des questions sociales (salaires, conditions de travail), mais ils refusent systématiquement de laisser les salariés et leurs représentants syndicaux s’exprimer sur les aspects économiques, sur les choix stratégiques et l’avenir des entreprises. D’autre part, l’État est affaibli et a souvent perdu les compétences qu’il avait encore il y a vingt ans ; les entreprises ont de grandes responsabilités vis-à-vis de l’ensemble de la société, il est indispensable que les citoyens interviennent dans les politiques qu’elles mènent.

« Les entreprises ont de grandes responsabilités vis-à-vis de l’ensemble de la société, il est indispensable que les citoyens interviennent dans les politiques qu’elles mènent. »

Pour prendre une autre voie, il va falloir rassembler des gens assez divers. Comment procéder ?
La CGT a toujours essayé de travailler avec d’autres, syndicats bien entendu, mais aussi associations, ONG, partis politiques, tout en restant elle-même. C’est le cas, par exemple, avec la fondation abbé Pierre à propos de la pauvreté énergétique. Ce principe est acquis, mais les conditions concrètes des actions communes ne sont pas toujours simples. L’aspect social est parfois oublié ou négligé, alors qu’il traverse toute la société, comme l’aspect environnemental. Il peut y avoir tendance, au vu de la faiblesse actuelle du rapport de force dans l’entreprise, à contourner la difficulté, à vouloir sortir de l’entreprise qui pourtant est le lieu d’affrontement entre le capital et le travail, et à compenser cette faiblesse en se lançant de façon plus ou moins exclusive sur les questions dites sociétales.

Marie-Claire Cailletaud est coresponsable du secteur Industrie à la CGT.

 



Le sommet Planète Terre de Rio (1992)

La conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de Rio de Janeiro, en 1992, en présence des représentants de cent soixante-dix-neuf pays, avait comme objectif principal de réconcilier l’effet des activités socio-économiques humaines sur l’environnement.
Ce sommet a donné naissance à trois conventions consacrées à l’environnement et aux effets des activités humaines : 1) sur la diversité biologique ; 2) sur la lutte contre la désertification ; 3) sur les changements climatiques.
La convention des Nations unies sur les changements climatiques est la plus connue de ces trois conventions. Elle a bénéficié dès sa création des avis scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont l’établissement en 1988 a précédé celui de cette convention sur le climat. Les scientifiques du GIEC ont, au cours des trente-trois années de leur existence, fourni, de manière régulière, à cette convention, des rapports d’évaluation synthétisant l’ensemble des connaissances sur le réchauffement climatique, son effet sur l’environnement, et les options pour s’y adapter et l’atténuer. Ils ont ainsi pu établir de manière certaine l’origine humaine du changement climatique, et fourni une base scientifique solide aux travaux de la convention sur le climat.
La convention sur la diversité biologique est née des inquiétudes croissantes de la communauté scientifique dans les années 1980 alertant sur la disparition d’espèces végétales et animales causée par la destruction de leurs habitats. Il a cependant fallu que cette convention attende environ vingt ans pour qu’un mécanisme similaire au GIEC, mais dédié à la biodiversité, voit le jour. Ce fut chose faite à Panama en 2012, avec l’établissement par une centaine de pays de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).

Cause commune • novembre/décembre 2021