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Le système carcéral de punition, d’ores et déjà décrié par l’Observatoire international des prisons, a été rendu plus punitif. Les fautes disciplinaires sont la colonne vertébrale et la principale arme du système répressif interne au milieu carcéral. Édictées par simple décret, elles rythment le quotidien des détenus. Les recours envisageables sont souvent hors de leur portée.

Les taux d’occupation des prisons et des maisons d’arrêt n’avaient jamais été aussi élevés qu’aux prémices de la crise sanitaire. Fort heureusement, pour des raisons évidentes de santé publique – qui n’avaient pas été entendues par le ministère de la Justice auparavant – plus de 13 000 détenus ont pu sortir de détention, dont la moitié en libération anticipée.

Un système répressif violent
La machine judiciaire a doucement repris son travail et elle s’attelle, forte d’une ardeur régulière, à renforcer de nouveau les effectifs des populations carcérales et à dresser les corps et les esprits. Pour les près de 60 000 détenus restant, la vie interne à la prison continue et les sanctions afférentes également. Classées selon l’intensité de la sanction encourue, les fautes disciplinaires sont la colonne vertébrale et la principale arme du système répressif interne au milieu carcéral. Édictées par simple décret, elles rythment le quotidien des détenus. Le pouvoir exécutif peut alors – sans aucun contrôle de la part législative du système – fixer les limites de la vie communautaire en détention. Le dernier décret en date est celui de février 2019, traducteur de la volonté de rigidifier les règles et de punir plus sévèrement les déviants.

« La Chancellerie a poursuivi son implantation d’une politique violente de répression dans les prisons, permettant d’envoyer “au trou” pendant trente jours un prisonnier pour une insulte proférée à l’égard d’un codétenu ou d’un membre du personnel pénitentiaire.»

Organisé en trois degrés selon l’intensité de la faute et de la sanction qui y est liée, le système carcéral de punition, d’ores et déjà décrié par l’Observatoire international des prisons, a été rendu plus punitif. Rehaussement des sanctions, ajout de nouvelles catégories de fautes, la Chancellerie a poursuivi son implantation d’une politique violente de répression dans les prisons, permettant d’envoyer « au trou » pendant trente jours un prisonnier pour une insulte proférée à l’égard d’un codétenu ou d’un membre du personnel pénitentiaire.

« L’administration ne souhaite pas se voir imposer des obligations de traitement de ses détenus. Aussi, elle applique le strict minimum légal.»

Le but des procédures disciplinaires est simple : maintenir l’ordre dans la prison, coûte que coûte. Avec un taux d’occupation grimpant honteusement jusqu’à 140 % de la capacité d’accueil dans certains établissements, les détenus sont entassés. Dormant à huit dans des chambres prévues pour quatre, n’ayant pas de commodités suffisantes pour assurer la propreté de leur environnement, envahis par les rats, les puces ou les cafards, les esprits s’échauffent. Les corps aussi sont soumis à la chaleur : absence de ventilation, barreaux en fer bouillant au soleil et manque d’accès à une hydratation suffisante, la canicule de cet été a fait vivre un véritable enfer aux détenus. Inévitablement les frictions se créent et les tensions éclatent. Alors, pour contenir des êtres humains auxquels on refuse le maintien de la dignité, les sanctions sont durcies, tout en étant appliquées avec toujours moins de rigueur.

Un vocabulaire d’érudits rendant difficilement le droit accessible
Le système même de la sanction disciplinaire n’est pas fondé sur les mêmes logiques que celui de la loi pénale. Ici, le principe de légalité des délits et des peines ne s’applique pas, ce qui explique notamment le vocable utilisé par la Chancellerie. L’administration ne souhaite pas se voir imposer des obligations de traitement de ses détenus. Aussi, elle applique le strict minimum légal (souvent imposé par des décisions européennes) : une explication sommaire lors de la première incarcération (souvent omise lors des arrivées qui y succèdent), des règles de vie commune à la prison. Le condamné se retrouve face à un système totalement nouveau pour lui : on encadre l’intégralité de sa vie, et on lui redéfinit l’intégralité des processus qui rythmaient son quotidien. Comment laver son linge ? Comment faire un café ? Quand et comment se laver ? Cette explication donnée par l’administration amène bien souvent une grande quantité d’information à traiter en un temps réduit. Par la suite, la loi impose aux prisons de donner accès à l’information juridique et aux différents règlements qui influencent la vie carcérale. Le vocabulaire qui y prédomine est celui de juristes érudits avec des codes grammaticaux spécifiques et plus animés par les logiques de l’entre-soi que par la volonté de rendre le droit accessible. De plus, les 17 000 détenus étrangers se retrouvent souvent en difficulté avec la maîtrise de la langue, même à un niveau basique : une barrière de plus à leur intégration dans un système singulier.

« En prison, la faute n’a pas à être prouvée par le surveillant, qui sous couvert d’avoir prêté serment, ne voit pas sa parole remise en question. »

Une illusion de procédure
En dehors de la prison, la charge de la preuve est une des caractéristiques essentielles du déroulement d’un procès. Lorsqu’un fait ou une charge sont versés au dossier, ils doivent être fondés et prouvés. La traçabilité de l’information est rendue possible par les pièces à conviction et les preuves que les parties (ou le ministère public) apportent. En prison, la faute n’a pas à être prouvée par le surveillant, qui sous couvert d’avoir prêté serment, ne voit pas sa parole remise en question. Le constat est fait sur une simple déclaration, alors même que les fautes sont d’ores et déjà compliquées à tracer. Assortie d’une sanction allant jusqu’à trente jours « au trou » l’insulte sur gardien ne peut être contestée. Même le plus performant des systèmes de surveillance vidéo ne peut arriver à capter les injures précisément et lisiblement. Les jeux de pouvoir et de revanches prennent le pas sur la réalité et la vérité est difficile à déceler. La parole du prisonnier est opposée à celle du gardien, et par un jeu de pouvoir rendant le présumé fautif incapable de se défendre, le couperet tombe aisément.

« Le placement en cellule disciplinaire ne requiert aucune décision et peut durer jusqu’à quatre jours dans les faits si le détenu avait eu le malheur d’être accusé de faute en fin de semaine. »

Il s’abat d’autant plus facilement que le juge est éditeur des règles. L’administration pénitentiaire rend une décision disciplinaire, sur des règles qu’elle a elle-même soufflées à l’oreille des politiques en place à la Chancellerie. L’accusation est arbitraire, à la fois juge, régulateur et partie. Bien évidemment, une procédure a été mise en place pour garantir un maximum de droits au prisonnier. Les supérieurs hiérarchiques sont en charge de la rédaction de rapports d’enquête sur les incidents, rapports très souvent bâclés : la surcharge de travail, le manque de moyens et les délais réduits auront raison de la qualité de l’enquête. On entend le détenu tout de même, après lui avoir laissé a minima 24 heures avant d’être placé devant la commission, un délai trop bref pour organiser une quelconque défense au fond. L’illusion d’une procédure équitable est mise en place pour satisfaire aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. Le détenu a même droit d’être assisté par un avocat : un professionnel qu’il ne rencontre en pratique que quelques minutes avant l’audience et pas toujours dans des conditions permettant d’assurer la confidentialité de l’entretien. La présence d’un avocat n’est pas obligatoire, contrairement à la saisine du bâtonnier. Néanmoins, si aucun avocat n’est présent à l’audience, le Conseil d’État ne considère pas la procédure comme étant irrégulière.

« Les notions de violence, d’injure, ou de compromission de la sécurité et de l’ordre sont vastes et l’administration peut les utiliser à son gré.»

L’administration n’a pas de soucis à se faire : les recours envisageables sont souvent hors de la portée des détenus. La soumission en prison est totale. Les fautes énumérées de l’article R. 57-7-1 à l’article R. 57-7-3 du code de procédure pénale permettent à l’administration de fonder sa décision sur un attirail modulable de fautes. Les notions de violence, d’injure, ou de compromission de la sécurité et de l’ordre sont vastes et l’administration peut les utiliser à son gré. L’objectif premier n’est pas de rendre justice : il est de rétablir un ordre fragile qui est présumé avoir été déstabilisé. D’ailleurs, le placement en cellule disciplinaire ne requiert aucune décision et peut durer jusqu’à quatre jours dans les faits si le détenu avait eu le malheur d’être accusé de faute en fin de semaine.

« Condamnations européennes et sonnette d’alarme tirée par les associations ne suffisent pas à remettre en question un système répressif violent, qui aboutit chaque année au suicide de dix-huit détenus au mitard.»

Les associations de soutien des détenus et d’accès à l’information juridique, bien que fournissant un travail intense, ne peuvent suffire à effacer les règles injustes d’un système qui les dépasse. Le recours en référé, bien que plus rapide, est difficile à fonder, et sans un avocat performant, il ne sera pas reçu. Le recours pour excès de pouvoir, pouvant être dirigé contre l’arbitraire de l’administration en la personne d’un surveillant, est plus long. Les sanctions maximales étant de 20 à 30 jours d’isolement, les détenus n’ont pas intérêt à entamer une procédure contre une décision pour laquelle l’appel n’est pas suspensif. Cela signifie tout bonnement que la décision rendue à l’encontre du prisonnier lui portera potentiellement atteinte, sans aucun fondement, et que le recours contre cette atteinte ne peut en rien mettre fin au grief. De surcroît, une telle procédure expose le détenu à des représailles de la part du personnel pénitentiaire, et nécessite le concours d’un avocat, dont l’accès en principe garanti n’est pas toujours si automatique. Les détenus laissent le plus souvent passer la sanction, mais les séquelles des décisions arbitraires sont lourdes à porter par l’administration. Condamnations européennes et sonnette d’alarme tirée par les associations ne suffisent pas à remettre en question un système répressif violent, qui aboutit chaque année au suicide de dix-huit détenus au mitard.

Lou Simon est étudiante à Sciences po Paris.

Cause commune n°19 • septembre/octobre 2020