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Si le PCF a parfois sous-estimé certains enjeux écologiques, il a aussi multiplié des actions originales et importantes sur le terrain, alliant, parfois seul, la lutte pour l’environnement à celle contre le capitalisme.
Entretien avec Sylvie Mayer

Avant 1970, les questions relatives à l’écologie et à l’environnement étaient peu présentes dans les discours des hommes politiques. Qu’en était-il au PCF ?
Le Parti communiste ne s’exprimait pas explicitement sur ces questions dans les années 1960 (les autres rarement non plus), mais il intervenait dans l’action de terrain, comme le montre par exemple la lecture de L’Humanité : pollution atmosphérique, pollution des eaux, boues rouges de Péchiney en Méditerranée, catastrophe à la raffinerie de Feyzin… Il fait des propositions concrètes sur le chauffage urbain, la désulfuration du charbon, contre les constructions et infrastructures à proximité des sites dangereux, etc. Ses élus interviennent dans les instances locales (Le Havre, Givors...) et nationales. Dans les textes de congrès, il n’y a alors que des allusions générales à la qualité de la vie, mais cela change progressivement à partir du début des années 1970, tant dans les publications du parti que dans les documents de référence.

Lorsque l’écologie est devenue « à la mode », dans les années 1970-1980, le PCF a-t-il estimé que c’était une question secondaire, voire une diversion pour occulter le combat de classe principal ?
Le défi, c’est d’articuler les combats pour l’environnement à la lutte contre le capitalisme et à son dépassement. Or beaucoup d’associations ou de partis écologistes esquivent ou nient la remise en cause de ce capitalisme, par le « ni droite ni gauche », par une approche technique ou moralisatrice. De nombreux politiciens utilisent aussi la défense de la nature pour s’attaquer aux revendications ouvrières et populaires. À diverses époques, ces attitudes ont fait sous-estimer l’importance du sujet par le parti. Le PCF devait (et doit) se battre sur plusieurs fronts : agir concrètement pour l’environnement, éclairer sur les causes, proposer de nouveaux critères. Il y a eu des moments cruciaux en ce sens : la publication aux Éditions sociales du livre de Guy Biolat, Marxisme et environnement en 1973, le rapport de Pierre Juquin « Les communistes et le cadre de vie » en 1976. Il ne faut pas oublier les réflexions de Paul Boccara et de la section économique pour une « nouvelle croissance », pour de « nouveaux critères de gestion », notamment autour de la participation au gouvernement d’union de la gauche. Le véritable tournant a lieu au XXVIe congrès en 1987, quand la direction décide d’intégrer cette dimension dans son activité permanente. En particulier, les secteurs Cadre de vie et Environnement deviennent distincts, le second étant traité comme un problème « du quotidien au planétaire ».

« Notre position a été, face au capitalisme prédateur, de faire le lien entre social, environnement et démocratie, rejoignant en cela les objectifs du développement durable. »

On dit souvent que le PCF a toujours été scientiste, productiviste et pronucléaire, au nom des revendications concernant le pouvoir d’achat des ouvriers. Est-ce vrai ? Quelles ont été les évolutions et quand ont-elles eu lieu ?
Il y a d’abord deux contradictions historiques et idéologiques. Au lendemain de la guerre, le pays est dévasté, il faut le reconstruire, notamment par l’industrie lourde, c’est le combat principal avec celui du niveau de vie des travailleurs. à cette époque, rares sont les partis et mouvements qui s’inquiètent de l’écologie : le niveau de connaissance des phénomènes de pollution et de dégradation de la nature est faible. Pour le PCF, à cette époque, le « socialisme scientifique » soviétique devait apporter naturellement le bien-être et un meilleur environnement. Ce furent des handicaps, mais il est erroné de se limiter à ce seul côté de la question. Le PCF a toujours combattu ceux qui prétendaient que les luttes populaires étaient superflues parce que la science apporterait beaucoup mieux les solutions. Il a contesté la propagande ultra-consumériste de l’american way of life qui accompagnait le plan Marshall. Quant au nucléaire, il s’est élevé dès le début contre la bombe atomique et, s’il a approuvé le nucléaire civil, c’était toujours avec de fortes exigences vis-à-vis de la sûreté des installations, passant par un statut public de la production et de la distribution de l’énergie, avec un contrôle accru des travailleurs du secteur, de l’État et des collectivités locales.

« Le défi, c’est d’articuler les combats pour l’environnement à la lutte contre le capitalisme et à son dépassement. »

À partir de 1987, qu’est-ce qui a distingué la politique du PCF en matière d’environnement de celle des divers mouvements écologistes et pourquoi l’image négative lui reste-t-elle encore souvent attachée ?
Commençons par l’image négative : le nucléaire, la production industrielle et même… la chasse !
Mais nous nous sommes battus ardemment contre la privatisation d’EDF, avec le souci de la sécurité, et dans ces années nous avons travaillé sur les possibilités de lier environnement et productions utiles. Par exemple, avec les ouvriers de l’arsenal de Bourges pour utiliser leurs compétences à rendre plus sûrs les trains après la catastrophe de la gare de Lyon. Autre exemple : le travail qui a été accompli après l’explosion d’AZF en 2001. Nous avions alors réuni des salariés des usines Seveso et publié un mémorandum pour une politique de sécurité industrielle. Nous avons aussi fait de multiples propositions sur l’eau, et rédigé une loi (1999) qui alliait protection, préservation de la ressource et démocratisation des instances, face aux grands groupes, Veolia, Vivendi et consorts. Nous défendions déjà la gratuité de l’accès à la ressource, l’opposant au gaspillage. Sur les OGM, nous avons eu une position originale. Nous avons plutôt critiqué la production de PGM (plantes génétiquement modifiées) posant les questions suivantes : qui les produit, pourquoi, pour quel usage ? Nous avons mis en avant l’exploitation qu’impose aux paysans du monde la production de ces plantes par dix firmes, dont Monsanto et Aventis, et les enjeux considérables que représente leur production : scientifiques et technologiques, sanitaires, sociaux, environnementaux, économiques, éthiques et politiques.
En bref, notre position a été, face au capitalisme prédateur, de faire le lien entre social, environnement et démocratie, rejoignant en cela les objectifs du développement durable. Ainsi, en juin 1992, lors du sommet de la terre à Rio, nous avons publié un manifeste dans lequel nous posions la question : « Sera-t-il possible de substituer à la course au profit immédiat et au gâchis des ressources naturelles, matérielles et humaines, une logique toute différente, centrée sur le développement des hommes, fondée sur la coopération et assurant une croissance nouvelle, économe ? »
Depuis lors, les réflexions se sont beaucoup approfondies, en particulier avec la bataille contre le réchauffement climatique.

Sylvie Mayer a été responsable nationale du PCF à l’Écologie et auteure du livre Quelle planète léguerons-nous ?, Éditions sociales, 1996.

Cause commune n° 14/15 • janvier/février 2020