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Si les géants du Web peuvent contribuer à un certain partage des œuvres, cela ne doit pas se faire à n’importe quel prix en matière de qualité et de rémunération des artistes.

Depuis les années 2010, on a vu l’accès libre aux musées se multiplier grâce à la mise en ligne de plateformes numériques qui leur permettent de diffuser leurs œuvres d’art. Ainsi, la Bibliothèque nationale (BNF) ouvre Gallica pour permettre la lecture des archives en ligne, les musées rendent possible l’accès aux tableaux les plus classiques, les opéras diffusent des spectacles afin que personne ne soit laissé dans l’ignorance. Le numérique rime avec joie et avec accessibilité. En effet, il offre de nouvelles possibilités et permet à bon escient de lier l’art et l’éducation populaire, ne serait-ce que par la communication par les ré­seaux sociaux en stimulant les échanges autour des pratiques artistiques. Cependant, tout cela pose des questions de consommation et d’appropriation de cette démocratisation.

La marchandisation de la culture par les géants de la toile
Les GAFAM et les NATU, comme on les appelle, ont changé le rapport à la culture en s’emparant des usages du numérique. Les utilisateurs des plateformes de flux (streaming) cherchent avant tout la qualité et sont prêts à payer une somme raisonnable pour suivre l’actualité des séries et des films sans coupure publicitaire, que ce soit sur Netflix ou sur Amazon Prime, de la même manière que le propose Deezer pour la musique avec un algorithme qui choisit à votre place et, selon vos goûts, vous redirige vers les mêmes catégories. La plateforme appâte et tend à la démocratisation culturelle – un abonnement possible à plusieurs qui encourage le « partage », la découverte permanente de la nouveauté – et touche tous les publics ; on peut passer du film grand public aux classiques oubliés.

« L’accès aux plateformes numériques pose des questions de consommation et d’appropriation de cette forme de démocratisation. »

Les partenariats avec les réalisateurs connus, les jeunes talents mais aussi les écoles de cinéma sont multiples. Netflix s’assure une présence grandissante en France depuis son retour en janvier 2020 et son entrée dans les écoles de cinéma – comme à l’école de l’image Gobelins où le géant du flux contribue au programme d’égalité des chances, et à l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son (FEMIS), où il soutient financièrement le programme de résidence d’artistes. La préoccupation de la filiale en France est de produire plus de contenus français et de nouer des partenariats afin d’orienter les jeunes réalisatrices et réalisateurs vers cette nouvelle industrie du numérique. De la même manière, Mediapart dénonce le geste douteux de solidarité du P.-D.G. pendant la covid-19 (https://www.mediapart.fr/journal/ culture-idees/270420), le versement d’une aide financière, aide qui servira de fonds pour les intermittents ; quel sera donc le prix de la reconnaissance en dehors du non-paiement des impôts déjà depuis quelques années ? Que devront les intermittents à ces plateformes alors que par ailleurs on ne compte plus les licenciements chez Disney ?

Rémunération du numérique
L’ère du temps a aussi permis à ces géants d’opérer un grand coup de communication et de dépendance à ses plateformes sans poser la question de la rémunération de l’artiste qui devait encore il y a deux ans abandonner ses droits d’auteur en signant avec les plateformes de vidéo à la demande. Un gros chèque était signé au départ et puis plus rien, le reste étant dans les poches de la plateforme.

« Netflix s’assure une présence grandissante en France depuis son retour en janvier 2020 et son entrée dans les écoles de cinéma. »

À noter une belle initiative pour contrer ce système, celle du syndicat des artistes suédois, qui a proposé un accord avec trois niveaux de rémunération au lieu d’un unique à la signature du contrat. Ainsi des royalties sont versées à l’artiste de manière proportionnelle au nombre de fois où la série est visionnée sans limitation dans le temps et non plus au début du contrat. Un progrès qui pourrait avoir une visée européenne. Par ailleurs, les artistes ne sont pas les seuls à avoir souffert de vice de forme dans leurs contrats puisque la rémunération des sous-titrages à 17 euros de l’heure avait été dénoncée en 2017. En fonction des accords dans les pays, les traducteurs étaient parfois payés à la minute. n

Laura Isnard est docteure en littérature.

Cause commune n° 18 • juillet/août 2020