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En proposant une organisation démocratique reposant sur le soviet, les bolcheviks entendaient instaurer une nouvelle manière de délibérer politiquement. Le besoin de démocratie vivante reste aujourd’hui au cœur des préoccupations des communistes, comme en témoigne le combat pour une VIe République.

 

Beaucoup a été écrit sur la Révolution russe d’octobre 1917. L’occasion du centenaire permet de revisiter cet événement aux multiples influences, souvent caricaturé, à l’aune de la situation politique nationale et internationale d’aujourd’hui.

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Les soviets, une avancée démocratique en théorie
L’idée même de révolution a été détournée, on l’a affublée des pires infamies pour attiser la peur d’un changement profond et éteindre toute possibilité d’alternative au système actuel. Pour œuvrer à la mise en place d’institutions démocratiques, les bolcheviks ont proposé une organisation reposant sur le soviet. Sans en référer à ce qui ne peut constituer un modèle, tentons ici d’analyser nos propositions visant à favoriser l’intervention citoyenne dans la vie publique et la gestion de la « cité ». Pas de modèle car « les révolutions ne s’exportent pas et ne peuvent être fomentées du dehors, ensuite parce que le PCF a abandonné depuis longtemps l’idée même de modèle », comme l’écrivait Georges Cogniot dans La Révolution d’Octobre et la France (éditions sociales) lors du cinquantième anniversaire en 1967. En revanche, il est intéressant de bien identifier pour la Russie en 1917, comme en 1789 et 1871 en France, que « tous ces événements ont un point commun : le délitement de l’État entraîne des formes d’auto-organisation de la vie sociale au sein desquelles les dominés construisent leur existence politique, avec comme enjeu de créer une démocratie par l’insurrection, c’est-à-dire le refus de la captation du pouvoir » (Norbert Lenoir, « Georges Politzer, “La révolution la plus profonde de l’histoire” », La Pensée n° 390, 2017).

« Nous avons besoin de droits nouveaux pour permettre une véritable participation citoyenne et ainsi rompre avec la délégation de pouvoir à tous les niveaux. »

Georges Politzer affirmait également par ailleurs : « Les soviets, “l’organisation unanime des pauvres”, c’est la nouvelle forme que le génie créateur des masses a trouvée […] ; celle qui peut briser l’ancien État bourgeois ; remplacer la démocratie bourgeoise par la démocratie prolétarienne et devenir la base de l’État prolétarien. » Il ne s’agit pas, pour la démocratie prolétarienne, de se substituer à celle de la bourgeoisie par une conquête au sein des organisations parlementaires, mais par la création d’une autre organisation du pouvoir : les soviets instaurent une nouvelle manière de décider et de délibérer politiquement. Mais si les « soviets » ont constitué une avancée démocratique en théorie, ils ont été contournés en pratique par une avant-garde au pouvoir qui s’est résolue en une organisation pyramidale et étatiste, dans un pays qui n’avait jamais connu la moindre approche d’un système démocratique, mais seulement des régimes autoritaires.

Aujourd’hui le besoin d’une action consciente des citoyennes et citoyens
Nous avons besoin, pour une démocratie vivante, permanente et évolutive, d’une organisation plus horizontale et globale, basée sur l’égalité des droits humains et l’émancipation humaine par l’éducation populaire et la culture. Et, à l’opposé de ceux qui veulent la conquête du pouvoir par et pour un changement par le haut, notre conception réside dans l’action consciente des citoyennes et des citoyens pour la transformation sociale.

« L’idée même de révolution a été détournée, on l’a affublée des pires infamies pour attiser la peur d’un changement profond et éteindre toute possibilité d’alternative au système actuel. »

Les crises que traversent toutes les grandes « démocraties » sont multiples : sociale, démocratique, politique, de représentation, etc. Nous sommes face à une confiscation grandissante de la démocratie par les multinationales et les marchés financiers au profit de quelques familles prédatrices de tous les pans d’activité. Tous ceux-là constituent une alliance de classe qui ne veut pas que les peuples s’en mêlent. Les relais protéiformes de l’ultralibéralisme s’attachent à détourner les citoyennes et les citoyens de la chose publique, de l’intérêt général et des biens communs. Les dirigeants poli­ti­ques au pouvoir renvoient volontairement et en alternance un sentiment d’impuissance, ayant eux-mêmes abdiqué devant l’économie financiarisée et s’en rendant complices. Les multiples reculs affectent ainsi la capacité à comprendre le monde avec un esprit critique pour se libérer du capitalisme. Ce sont les peurs nées de l’ignorance, renforcées par les coups de boutoir du terrorisme, qui entraînent une montée des nationalismes, d’une pensée discriminante et une demande invraisemblable d’autoritarisme et de repli identitaire.

« Les relais protéiformes de l’ultralibéralisme s’attachent à détourner les citoyennes et les citoyens de la chose publique, de l’intérêt général et des biens communs. »

La crise de la démocratie représentative est abyssale. Le présidentialisme est à son paroxysme. Pas seulement avec le président de la République, mais avec des collectivités monarchiques de plus en plus éloignées des populations et de leurs attentes, telles les métropoles, ou vidées de leurs prérogatives comme les communes, creusets de la démocratie. Les institutions de la Ve République ont fait leur temps. Nous avons besoin de droits nouveaux pour permettre une véritable participation citoyenne et ainsi rompre avec la délégation de pouvoir à tous les niveaux. La démocratie doit entrer dans un nouvel âge : plus ouverte sur la société et le monde du réel, plus active en matière de sollicitation des citoyens.

Oser une révolution démocratique
Pour cela, nous voulons construire un nouveau pacte républicain qui place en son cœur l’égalité de droits pour en finir avec toutes les discriminations. Un pacte qui change la politique et ses pratiques, pour reprendre le pouvoir sur la finance et partager les richesses, pour en finir avec un présidentialisme tout puissant, pour sortir de l’austérité anesthésiante, pour une France solidaire qui protège et incite à l’engagement, pour produire autrement en protégeant l’humain et l’environnement, pour changer l’Europe… Nous devons ainsi oser une révolution démocratique pour construire une VIe République transformatrice de la société tout entière jusque dans l’entreprise, au moment où le pouvoir en place vise la démolition de tous les droits, garanties et sécurités des travailleurs.
Nous devons insuffler un vaste débat citoyen qui, sous des formes à définir (assemblées populaires, états généraux, forums citoyens, assemblée constituante…), réunissant citoyens et organisations sociales et politiques, permette que la souveraineté populaire s’affirme à tous les niveaux. Un défi à relever en construisant un communisme du XXIe siècle, qui tire les enseignements de toutes les expériences et de tous les modèles communistes du siècle précédent. Un communisme qui recréé de l’« en-commun » pour répondre aux attentes fortes de liberté, d’égalité, de fraternité et de paix. 

*Jean-Marc Coppola est membre du Conseil national du PCF. Il coordonne le pôle Révolutionner la République pour une France de liberté, d'égalité et de fraternité.