Par

Proposer un numéro sur l’histoire du PCF est, pour une revue de ce parti, un défi. Comment se situer entre la commémoration hagiographique et l’éclectisme distant ? Comment relire notre histoire au prisme de la critique comprise non pas comme condamnation des faits passés mais comme tentative de compréhension des stratégies politiques, parfois contradictoires, dans un siècle qui a connu des évolutions rapides et profondes ?

En 1964, sortait aux Éditions sociales une Histoire du Parti communiste français (manuel) de 774 pages : « Ce manuel a été élaboré par la commission d’histoire auprès du comité central du Parti communiste français. Ont participé à sa rédaction, sous la direction de Jacques Duclos et François Billoux [...]. » Il s’agissait donc d’un ouvrage politique édifiant publié sous le regard de deux des principaux dirigeants, avec la participation d’autres dirigeants et de quelques historiens, membres du parti. Bien entendu, ce livre est à la gloire du parti, même s’il fustige certains de ses acteurs (le groupe Barbé-Célor à la fin des années 1920, les exclus, les « renégats », etc.) et s’il formule quelques réserves sur des moments d’hésitation. Toutefois, on aurait tort de s’en moquer : il y a là un gros travail, où sont fournis beaucoup de faits toujours occultés dans les média dominants. En plus, l’ouvrage est très pédagogique, lisible, chronologique, bien structuré en quinze chapitres, avec des résumés clairs, des annexes (les congrès et leurs ordres du jour, des notices biographiques), un sommaire détaillé…

« Des documents autrefois secrets ou du moins non publics sont devenus consultables. »

Rappelons qu’en 1964, la plupart des adhérents étaient des ouvriers ayant peu fréquenté les études. Un « manuel » était pour eux un vrai moyen d’apprentissage. Certes, à bien des endroits, le ton adopté nous choque, les auteurs jugent tout le temps sans complaisance et en fonction de ce qu’est la ligne du moment. Mais chacun ne procédait-il pas de la même façon alors (et peut-être encore aujourd’hui) ? L’Histoire de France d’Ernest Lavisse qu’on a fait entrer dans la tête de millions d’enfants était aussi unilatérale et dogmatique.

Une histoire retrouvée
En ce qui concerne l’histoire du PCF, la situation aujourd’hui est très différente de celle de 1964. Il existe une foule de travaux d’historiens communistes, d’historiens anticommunistes, d’autres historiens ayant ou non pignon sur rue, d’historiens amateurs. Des militants ou anciens militants très nombreux (de haut en bas du parti) ont donné des témoignages, écrit leurs mémoires, publié des biographies. Ces articles ou livres portent sur des sujets très divers concernant toutes les époques du parti. Par ailleurs, des documents autrefois secrets ou du moins non publics sont devenus consultables : les archives centrales du PCF déposées aux archives départementales de la Seine-Saint-Denis, celles de certaines fédérations et sections, les archives personnelles de militants un peu partout en France, celles de l’Internationale ; mais aussi les archives policières ou des ministères, des préfectures, etc. Le PCF n’est plus « monolithique » et ses adhérents parlent librement. Cela dit, toutes les sources mentent d’une certaine manière, à des titres différents néanmoins. Elles donnent toujours une image privilégiée de l’institution ou de l’organisation qui les produit. Elles biaisent en faveur des dominants, des dirigeants, des ambitieux, des bavards, de ceux qui maîtrisent le discours (qu’ils soient amis ou adversaires). Et l’esprit critique de l’historien, même perspicace, peut être pris en défaut.

« Penser le passé, c’est aussi penser le présent et l’avenir. »

Dans les années 1960 et 1970, on entendait souvent que « le communisme » (définition certes un peu floue) était en train de conqué­rir le monde. On s’en réjouissait, ou on s’en lamen­tait, c’était apparemment une idée du présent, voire encore de l’avenir. Aujourd’hui, l’opinion très majoritaire l’inscrit au contraire dans un temps passé. Une énergie considérable a été dépensée par des historiens, des sociologues, des économistes, des philosophes pour présenter les partis communistes comme désuets, archaïques, enfermés dans une perspective « ouvriériste ». Alors, est-il vrai que le PCF, surtout après ses deux apogées (1946 puis 1978-1979), a raté les tournants historiques des combats liés au féminisme, aux questions « postcoloniales », aux aspirations européennes, à la démocratie participative, à l’écologie ou encore aux combats identitaires dans toute leur diversité ?

Affronter le nouveau à la lumière du passé
Penser le passé, c’est aussi penser le présent et l’avenir. Si les démocraties libérales occidentales se félicitent d’avoir inauguré la fin des « grands récits » suite à la chute du mur de Berlin, cette prétention à la fin des idéologies est elle-même un pur concentré idéologique. La résolution « Importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe »1, récemment adoptée par le parlement européen, est un bon exemple d’une vision unilatérale de l’histoire qui se permet de faire l’économie de faits majeurs et de toute réserve scientifique, nous faisant craindre un retour en puissance des mythes et des récits mémoriels acritiques. C’est ce que nous ne voulons surtout pas faire ici. Le procès intenté à l’histoire du communisme par les institutions officielles est d’autant plus problématique et hypocrite que ces dernières opèrent, en parallèle, à la réhabilitation de courants politiques que l’on pensait condamnés par les faits. Il ne faut pas être dupe, l’inquisition mémorielle anticommuniste est utile pour faciliter le retour du nationalisme belliqueux. Les propos élogieux de Macron à l’égard de Pétain, la proposition de célébrer les cent cinquante ans de la naissance de Charles Maurras par le haut comité aux commémorations nationales ou encore l’apologie des crimes commis pendant la colonisation de l’Algérie par des éditorialistes d’extrême droite sur des chaînes d’information en continu sont autant d’exemples criants. Tout ceci est au service d’une stratégie politique qui vise à privilégier une certaine écriture de l’histoire en vue de désarmer le peuple face au joug actuel du capitalisme tardif.

« Il ne faut pas être dupe, l’inquisition mémorielle anticommuniste est utile pour faciliter le retour du nationalisme belliqueux. »

Face à cette offensive idéologique, l’affaiblissement de la pensée critique, y compris au sein des organisations politiques dites « progressistes », doit nous interroger dans nos pratiques militantes. Le PCF, et plus largement le communisme au sens large, est trop souvent vu comme le bouc-émissaire, celui qui doit porter sur son dos toutes les erreurs – voire les horreurs – du XXe siècle. Pourtant, c’est peut-être bien celui qui est le plus humble vis-à-vis de son histoire, celui qui n’a pas peur de se confronter à son passé, celui qui n’a pas changé d’étiquette au gré du vent, celui qui s’inscrit dans une continuité historique par conviction philosophique et sincérité politique. De cette manière, il n’est pas question ici de tomber dans la mélancolie (Enzo Traverso, 2018) ou l’autosuffisance stériles (Jodi Dean, 2012) mais bel et bien de se ressaisir du pouvoir de la critique pour se lancer dans l’aventure politique présente et à venir, sans crainte du passé.

Une incitation à l’esprit critique et à la lecture de travaux complémentaires
L’ambition de ce dossier est de proposer d’autres versions de l’histoire. Comme un « essai », il présente des approches critiques, diversifiées, mais également des opinions personnelles forgées par l’expérience militante, de base comme de direction – n’oublions pas que nous sommes « embarqués », comme disait Pascal. Ces pages sont d’abord destinées aux communistes et à toutes celles et tous ceux qui partagent une bonne partie de leurs valeurs. Elles doivent donc être un outil pour la réflexion, le débat et l’action, pour analyser la société, pour savoir se tourner vers le nouveau à la lumière du passé. C’est pourquoi nous avons sollicité des historiens, des anciens dirigeants du PCF, des adhérents dits de base ou intermédiaires, comme des sympathisants. Les articles et entretiens n’engagent qu’eux, mais évidemment les choix et équilibres globaux nous engagent, nous, en tant que coordinateurs.
Nous avons structuré l’ensemble de façon assez classique, dans une volonté didactique : une moitié chronologique, une autre thématique. Comme chez Pagnol, il y a une troisième moitié composée de repères, de tableaux, d’extraits, d’encadrés, d’indices bibliographiques posés là, aux quatre coins des pages, pour alimenter la curiosité du lecteur ; et enfin un entretien conclusif abordant des questions transversales.
La partie chronologique de notre dossier revêt la forme usuelle : les idées communistes avant la création du PCF, le congrès de Tours en 1920, les débuts, le Front populaire, la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide, mai 68, l’Union de la gauche, et ainsi de suite. Pour les périodes récentes, nous avons donné la parole à des acteurs et témoins, dans une certaine diversité. Nous avons alterné les contributions de synthèse et les encadrés, repères ou extraits. Il n’y a pas de prétention à l’exhaustivité et nous renvoyons aux ouvrages et articles de qualité qui sont accessibles par ailleurs dans la bibliographie en fin de dossier.
La partie thématique est nécessairement plus subjective. Elle tente de voir comment le PCF s’est comporté, soit vis-à-vis de certaines classes, couches ou catégories (ouvriers, paysans, femmes…), soit sur de grands sujets (culture, colonies, vie internationale, écologie...). On aurait pu en choisir d’autres. Et est-il pertinent d’étudier le Parti communiste français en se contentant de n’évoquer les autres partis communistes (italien, espagnol, allemand, soviétique, vietnamien...) qu’au passage ? Le dossier n’est pas clos, ce n’est pas un catéchisme, il se veut davantage une incitation à l’esprit critique et à la lecture de travaux complémentaires. Ici encore, nous avons essayé de présenter des points de vue avec au moins un peu de diversité. Nous espérons que le lecteur complétera.

Pierre Crépel, Baptiste Giron et Élodie Lebeau sont responsables respectivement des rubriques Sciences, Histoire et Regard de Cause commune. Ils ont coordonné ce dossier.

1. La résolution, adoptée le 19 septembre 2019 à Strasbourg par la majorité des eurodéputés, présente le pacte Molotov-Ribbentrop, pacte de non-agression germano-soviétique signé le 23 août 1939, comme la cause principale du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Aucune mention n’est faite aux conséquences du traité de Versailles ou de la non-intervention des puissances européennes dans la guerre d’Espagne, ni aux accords de Munich, ni au refus du Royaume-Uni et de la France de signer un accord avec l’URSS pour combattre l’Allemagne nazie.

Cause commune n° 14/15 • janvier/février 2020