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Entretien avec Marie-George Buffet.

Après la dissolution de l’Assemblée nationale, en 1997, les communistes retrouvent le chemin du gouvernement pour la première fois depuis près de quinze ans. Peux-tu revenir sur les motivations qui ont poussé les communistes à s’engager dans cette démarche ? 
Le positionnement du parti, avec Robert Hue, et l’attitude de Lionel Jospin qui dirigeait le Parti socialiste font qu’un rapprochement s’opère assez facilement entre ces deux forces. Mais il faut rappeler que la victoire de la gauche après la dissolution de l’assemblée est une énorme surprise. Rien n’est prêt. Aux élections législatives, je suis au deuxième tour, au Blanc-Mesnil. Les deux dirigeants venus me soutenir se rencontrent là et, très vite, trouvent une base d’accord. Dans la soirée, les négociations se sont poursuivies sur le nombre de ministres. Ça a dû durer tard : j’étais quasiment rentrée chez moi quand Robert me dit de repartir vers la place du Colonel-Fabien…

« Il y avait une complicité populaire. Malgré cette campagne énorme qu’ils ont faite pour contrer le NON, les gens n’ont pas baissé la tête. »

Pour les communistes, c’était « comme en 1981 » : il y avait de nouveau des ministres communistes. C’est ça qui était vu en premier : on avait des ministres.

Tu fais partie des ministres qui ont participé à ce gouvernement de « gauche plurielle ». Quel bilan en tires-tu ?
J’ai envie de dire : « rebelote » de 1981, si tu me permets l’expression. C’est un peu le même scénario. On fait un début de quinquennat avec des signes forts : les 35 heures… Et, petit à petit, le discours s’étiole, jusqu’à la fameuse phrase de Lionel Jospin pour Renault-Vilvorde : « L’État ne peut pas tout… » Pendant la dernière partie de mandat, on a un Premier ministre qui est ailleurs : il est déjà entièrement tourné vers l’élection présidentielle et la préparation de son duel avec le président d’alors. De premières alarmes surgissent. Une réunion des ministres informelle se tient après les municipales de 2001. Plusieurs ministres, y compris socialistes, prennent la paro­le pour dire que s’est exprimé un profond mécontentement par rapport à la politique sociale du gouvernement. À ce moment-là, on a le sentiment, qui est aussi partagé par plusieurs ministres socialistes, que le Premier ministre ne veut pas entendre. Avec le résultat qu’on connaît à la présidentielle…
Au total, je crois qu’on a le même cheminement qu’en 1981 : on arrive, on a un accord, quelques mesures phares et petit à petit, de recul en recul, l’Europe, le déficit budgétaire… Comme on ne fait pas les grandes réformes nécessaires pour faire rentrer l’argent, c’est la déception.

Après des élections municipales marquées (en dehors de Paris) par bien des déconvenues à gauche et pour le PCF, tu deviens secrétaire nationale et Robert Hue président. En 2002, Robert Hue ne franchit pas la barre des 5 % à l’élection présidentielle et la gauche est éliminée du second tour. Peux-tu revenir sur cette dure période 2001-2003 qui marque tes premières années comme secrétaire nationale du PCF ?
Je pense que je n’aurais pas dû accepter ce duo ; je ne suis vraiment pas sûre que ce soit viable comme fonctionnement. Ça n’aide pas à une clarté d’orientation. J’étais encore ministre. Robert était dans la visée de cette candidature à l’élection présidentielle.
Au printemps 2002, avec le comité national qui suit la présidentielle, une incompréhension s’installe entre une partie des communistes et Robert Hue. Évidemment, Robert n’était pas responsable, seul, de son score. Mais avec son premier discours au CN, les camarades ont le sentiment que les responsabilités de la direction ne sont pas assumées, qu’on ne pose pas les questions de fond, toujours difficiles : quelles transformations profondes le parti a-t-il besoin d’opérer pour retrouver une dynamique ? Il y a une colère contre la direction, qui ne résout pas le problème de fond, bien sûr, mais… Suit un congrès en 2003, dur, violent même, à l’issue duquel Robert part.

« Au total, je crois qu’on a le même cheminement qu’en 1981 : on arrive, on a un accord, quelques mesures phares et petit à petit, de recul en recul, l’Europe, le déficit budgétaire… Comme on ne fait pas les grandes réformes nécessaires pour faire rentrer l’argent, c’est la déception. »

On a beaucoup parlé d’échec de la mutation. L’idée que Robert Hue avait eue, c’était certainement une belle idée à l’origine. Le problème, c’est qu’elle s’est incarnée dans des choses qui sont apparues superficielles : on avait mis quelques personnalités non communistes à la direction… Comme ça apparaissait superficiel – ça l’était pour une part – et pas sur le fond, cette idée de mutation est apparue comme responsable de notre échec.

On sent que tu cherches à donner une impulsion nouvelle au PCF à partir de 2003-2004. Comment cela se traduit-il ?
Je vais être extrêmement modeste : on a un parti qui a pris une claque, qui s’est un peu refermé… J’ai essayé de redonner du contenu et un peu d’envie. Aux régionales, on décide de faire une liste qui soit vraiment une liste d’ouverture, pas bling bling, avec des dirigeants associatifs, Claire Villiers, Mouloud Aounit et d’autres. On a une liste vraiment diverse et on obtient des résultats qui ne sont pas absolument merveilleux mais, quand même, nous dépassons les 7 %.

Pour beaucoup de militants communistes qui ont adhéré dans les dernières années, le référendum de 2005 n’est pas toujours bien connu. C’est pourtant un événement marquant. Comment le PCF s’engage-t-il dans cette bataille ?
Le grand choc, c’est vraiment 2005. On peut dire, sans que personne nous traite de menteurs, que c’est le parti qui est à l’origine. Francis Wurtz est alors député au parlement européen ; il mesure la gravité de ce projet, nous alerte. On tient une première réunion d’explication avec les journalistes parce que certains, à ce moment-là, disaient : oui, un traité, encore un traité… Le texte était très peu connu. Très rapidement, je prends la décision de me tourner vers les autres forces de gauche. Dès qu’on a obtenu de Jacques Chirac l’organisation d’un référendum, on leur donne la possibilité d’utiliser notre temps officiel.
Il y a vraiment deux choses qui sont extraordinaires avec ce référendum. D’abord, le parti retrouve profondément une démarche d’éducation populaire. On explique les contenus. Je verrai toujours Francis à la tribune avec deux cents feuillets : les gens apprenaient ce qu’était le traité. Et puis tout ça était nourri avec le début d’Internet.
Le deuxième aspect fort, c’est qu’on est capables d’être tous sur la même tribune. Des meetings qui n’en finissaient pas… Je me souviens d’un journaliste du Nouvel Obs maintenant à France Inter, Claude Askolovitch. Il me suivait pour un meeting à Toulouse. Je monte à la tribune : la salle m’applaudit. Il me dit : je ne comprends plus rien à rien, comment une dirigeante communiste peut se faire applaudir comme ça par une salle avec tant de gauchistes ? La Ligue, LO, les militants qui étaient avec Lienemann, Mélenchon… ils nous étaient sincèrement reconnaissants d’avoir permis ça.
On avait pourtant commencé difficilement la campagne au théâtre des Champs-Élysées. On nous disait : il y a le camp du NON, du FN au PCF. Du matin au soir, Duhamel, Elkabbach, etc. : il y avait les manants du NON et les gens responsables de l’autre. Quelque part, le peuple leur a fichu une claque inverse. En même temps, on avait de vrais arguments. J’ai affronté Thierry Breton, ministre de l’économie, je me souviens bien : je l’ai claqué… et je voyais les techniciens derrière qui disaient : « oui ! oui ! ». Il y avait une complicité populaire. Malgré cette campagne énorme qu’ils ont faite pour contrer le NON, les gens n’ont pas baissé la tête. Il n’y a qu’un moment où j’ai été inquiète, c’est quand Jospin s’est prononcé pour la Constitution, un peu avant le 1er Mai. Et puis on a repris la main. Et ça a été les 55 %.

Après cette grande victoire, s’ouvre une séquence qui est aujourd’hui encore l’objet d’appréciations diverses, mais qui a compté : la période des collectifs antilibéraux, les élections présidentielle et législatives de 2007, le lancement du Front de gauche. Quel regard portes-tu sur ce moment politique ?
Après 2005, nous n’avons pas été capables de faire vivre cette dynamique, ce rassemblement, cette qualité de contenu. Chacun est reparti chez soi. On a essayé de faire les collectifs antilibéraux, il y avait certainement une idée intéressante, mais, en fait, chacun est venu, y compris nous, en disant que l’issue pour la présidentielle, ça devait être lui. Ces collectifs qui se sont terminés dans une journée très triste, ça a laissé des traces chez les camarades et chez les non-communistes du collectif. Ils nous en voulaient. Si, peut-être, nous avions été capables, très vite après le NON, de nous mettre tous autour de la table et de poursuivre une campagne… Nous n’en avons pas été capables. La forme ne convenait sans doute pas : faire des collectifs qui ne visent que la présidentielle, nous avons, nous-mêmes, été pris dans le piège de la présidentialisation.
En 2007, il y a eu mon score, plus cuisant que celui de Robert, mais c’est vrai que dans mon rapport aux camarades, je n’ai pas ressenti la même tension. J’ai quand même pensé démissionner tout de suite, mais on m’a raisonnée et je suis restée, le temps de lancer l’idée des fronts. Transformer le Parti communiste en une nouvelle formation, je pensais que nous n’étions pas capables de le faire car il y a une culture, un attachement, une richesse. Il fallait que chacun garde cette richesse mais qu’on puisse avancer ensemble, faire front commun. L’échec des collectifs a bien sûr rendu la chose un peu difficile mais on est y arrivés avec le Front de gauche.
En 2012, on a cette belle candidature commune avec un discours qui misait sur l’intelligence, qui créait beaucoup de fierté. Ce qu’on ne mesure pas assez, c’est qu’on suscite de l’espoir et les gens, d’un seul coup, se retournent et se disent : mais pourquoi ne sont-ils plus ensemble ? On crée alors du désespoir.
Il reste bien sûr cette question : les intérêts partisans, et je ne parle pas que pour les communistes, font que nous avons beaucoup de mal, hors des périodes électorales – et encore – à travailler les questions du rassemblement et de l’union.

Marie-George Buffet est députée de Seine-Saint-Denis. Elle a été ministre de la Jeunesse et des Sports (1997-2002) et secrétaire nationale du PCF (2001-2010).

Propos recueillis par Guillaume Roubaud-Quashie.

Cause commune n° 14/15 • janvier/février 2020