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Le PCF a mis en place depuis deux ans une coordination nationale « Amazon ». Son animation a été confiée à Jacques Maréchal, secrétaire départemental de la Moselle, un lieu emblématique de la « forestation amazonienne » du territoire par les méga entrepôts de cette multinationale.

Amazon a défrayé la chronique par ses pratiques d’évasion fiscale. L’implantation de ses dépôts a suscité de fortes mobilisations qui ont pu parfois gagner comme dans le Gard. Il peut sembler utile d’analyser plus largement l’ensemble du modèle économique de Amazon. Une première tribune collective de dirigeants communistes a été publiée par l’Humanité en novembre 2021. Nous tenterons ici de prolonger et d’approfondir cette déclaration. Si nous affirmons l’humain et la planète d’abord, il est alors impératif d’approfondir notre capacité à combattre ce géant. Son modèle économique excelle dans sa capacité à accélérer la circulation de la marchandise pour son plus grand profit. La marchandise étant payée avant même d’avoir quitté son dépôt.
La multinationale compte cent soixante-quinze centres de distribution dans le monde et plus de 1,6 million de salariés, un chiffre d’affaires de 470 milliards de dollars et 33 milliards de profits. Et cela avec une progression annuelle de 20 % par an. Amazon annonce 25 millions de clients dans l’hexagone. Amazon diversifie également ses activités : en particulier, production de livres mais avec la mise en place d’un réseau de satellites, Amazon se dit prêt à investir 10 milliards d’euros pour pénétrer dans ce marché avec la volonté d’y asseoir son hégémonie.

Le méga-dépôt d’Augny (Moselle)
Amazon a ouvert son plus grand dépôt en France à Augny en août 2021, sur une ancienne base aérienne dans la banlieue messine, à proximité de l’Allemagne, du Luxembourg et de la Belgique. La multinationale n’est pas propriétaire du site, tout a été négocié par Argan, une société spécialisée dans l’immobilier d’entrepôts. Les deux partenaires sont liés par un contrat de quinze ans. L’implantation a été contestée, dès son annonce, par un large collectif animé par les communistes. 185 000 m2 de surfaces sur quatre étages permettent de traiter plus de 500 000 colis par jour. Trois mille salariés permanents opèrent sur le site. Les manutentionnaires travaillent sur des postes de douze heures et doivent traiter deux cent cinquante colis par heure.

« Le capitalisme a engendré le consumérisme total, nous devons lui opposer un nouveau mode de satisfaction des besoins qui fasse du commerce un bien commun, un commerce générateur de lien social, d’emploi et d’économie relocalisée. »

La question du travail
Il nous semble nécessaire de se soucier en premier lieu de la question du travail et de ses conditions au sein des entrepôts géants. La presse et l’Humanité en particulier ont révélé les conditions d’exploitation des salariés. Il y a des accidents mortels et une organisation du travail conçue pour optimiser le traitement des colis et leurs expéditions. Un chiffre qui parle de lui-même : Amazon est en France depuis vingt-deux ans, compte plus de seize mille CDI, mais à peine cinq cents ont dix ans d’ancienneté ou plus ! Les démissions de salariés sont nombreuses, elles témoignent de conditions de travail difficiles (troubles musculosquelettiques) mais aussi d’absence de perspectives d’avancement et de promotion. Il y a également lieu de s’intéresser à la situation de l’ensemble des travailleurs (salariés ou non) participant à l’approvisionnement des entrepôts comme à la livraison des colis.
La presse locale en Moselle a rendu compte de conditions d’attente précaires des dizaines de chauffeurs venant livrer le méga-dépôt d’Augny, ils parcourent plusieurs centaines de kilomètres à travers l’Europe pour livrer le dépôt ainsi que les clients. Amazon choisit d’utiliser des véhicules utilitaires de moins de 3,5 tonnes pour échapper à la réglementation régissant les temps de conduite des chauffeurs de poids lourds : les conducteurs des véhicules de moins de 3,5 tonnes ne sont en effet pas soumis au contrôle du temps de conduite et de pause. Selon un syndicaliste des transports, ces chauffeurs sont majoritairement issus des ex-pays de l’Est. Ils peuvent être contraints à circuler sept jours sur sept dans des camionnettes surchargées. Les services de l’État (Direction régionale et interdépartementale de l’environnement) n’ont pas les moyens d’effectuer des contrôles suffisants et ceux-ci sanctionnent les conducteurs et non le donneur d’ordres. La circulation de ces centaines de véhicules (poids lourds et utilitaires) par jour a des effets sur le cadre de vie des riverains et contribue également fortement au réchauffement climatique.

« Par sa taille et sa stratégie agressive, la plateforme Amazon est un acteur qui tire vers le bas les prix des secteurs où elle s’implante. »

Peu d’éléments sont connus sur la situation des livreurs. Leur statut d’autoentrepreneurs dit beaucoup de la précarité de leur situation. Le film de Ken Loach Sorry we missed you en 2019 dénonce les dérives de l’ubérisation. Amazon sait parfaitement utiliser les législations françaises comme européennes pour maximiser ses profits. En difficulté en Allemagne suite à des grèves, elle délocalise ses entrepôts en Pologne.

Un capitalisme particulièrement prédateur
Toute la chaîne d’Amazon est conçue pour « satisfaire le client » en réduisant les délais entre la commande en ligne et la livraison, qui s’effectue désormais sept jours sur sept. Nous sommes face à un modèle commercial de diffusion de marchandises qui réduit et fait disparaître les temps d’interaction sociale. Nous sommes loin du commerce, lieu de vente et vecteur de vie sociale. En cela on pourrait parler d’un consumérisme total, consommer sans entrave (peu importe quoi) pour la plus grande satisfaction d’Amazon. Par sa taille et sa stratégie agressive, cette plateforme est un acteur qui tire vers le bas les prix des secteurs où elle s’implante. Les industriels du textile confirment le rôle de la multinationale comme une des causes principales de la baisse artificielle des prix des vêtements ces dernières années. Le modèle économique d’Amazon repose, depuis sa création, sur le dumping. D’importants moyens financiers et un non-respect des droits humains permettent alors de compenser l’absence relative de marge de l’entreprise.

« La contribution d’Amazon au réchauffement climatique est considérable. Son activité de stockage aurait généré 55,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre en 2018, soit l’équivalent des émissions du Portugal ! »

Amazon affirme une volonté hégémonique depuis sa création en 1997, expliquant que sa réussite viendra de sa capacité à être leader sur le marché : « Plus notre leadership sur le marché est fort, plus notre modèle économique est puissant […] Nous continuerons à prendre des décisions d’investissement en tenant compte des considérations de leadership du marché à long terme plutôt que des considérations de rentabilité à court terme […]. Nous avons choisi de prioriser la croissance parce que nous croyons que l’échelle est au cœur de la réalisation du potentiel de notre business model ». Cette stratégie est plébiscitée par les marchés financiers puisque Amazon est la première capitalisation boursière au monde… alors qu’elle ne distribue pas de dividendes à ses actionnaires ! Cette stratégie lui permet de réaliser les investissements nécessaires pour conquérir les marchés : entrepôts, réseaux de livraison. Amazon compense également cette apparente modicité de profit par le développement d’une activité lucrative dans le stockage de données. Amazon Web Service s’est désormais imposé comme un acteur incontournable de l’hébergement de sites et stocke même les données de l’Éducation nationale française.

Le modèle d’excellence de l’e-commerce !
Aucun dépôt d’Amazon n’est connecté au réseau ferroviaire. L’utilisation du rail serait un frein à la circulation des colis. La noria des camions, circulant en amont comme en aval des dépôts, apparaît comme une réelle nuisance y compris pour des élus locaux qui soutenaient l’implantation. La contribution d’Amazon au réchauffement climatique est considérable. À elle seule, son activité de stockage aurait généré 55,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre en 2018, soit l’équivalent des émissions du Portugal ! Il faudrait calculer l’empreinte carbone pour l’ensemble de la chaîne, données que l’entreprise refuse de fournir.

Le colis, cette marchandise magique
La dégradation du service public postal et la disparition des commerces de proximité contraignent une partie de la population à se tourner vers l’achat en ligne. Il devient nettement plus aisé de passer par Amazon pour acheter un article de quincaillerie que de faire quarante ou cinquante kilomètres pour se rendre dans une grande surface spécialisée. On peut même commander sur un site autre et découvrir lors de la réception du colis que celui-ci a transité par la multinationale. La livraison express des produits à domicile, indissociable de l’e-commerce, dite du « dernier kilomètre », est particulièrement néfaste. Elle contraint des travailleurs à être disponibles sept jours sur sept et met également en circulation une noria de véhicules circulant souvent à moitié vides.

« Un rapport de 2019 précisait que la multinationale dissimulait 57 % de son chiffre d’affaires réalisé en France. »

En facilitant ainsi la consommation sans entrave sur simple clic, Amazon alimente une production de biens, sans cesse renouvelée. Produits à bas coûts, ces biens (utiles ou non) sont ensuite revendus avec une marge confortable, liée au libéralisme sans entrave et sans frontière. L’individualisation de l’acte de consommation impose une augmentation exponentielle des volumes de colis qui suppose également un conditionnement spécifique écocide. Cette déterritorialisation de la consommation est lourde en conséquences sociale et économique.

Concurrence déloyale, évasion fiscale : les répercussions économiques
Amazon s’impose comme un concurrent redoutable pour l’ensemble du commerce habituel. La multinationale peut imposer des offres commerciales redoutables pour ses concurrents grâce à son modèle économique. Impossible également de ne pas évoquer les stratégies d’évitement et de fraude fiscale. Un rapport publié en 2019 précisait que la multinationale dissimulait 57 % de son chiffre d’affaires réalisé en France. Ces aspects ont été largement médiatisés par les parlementaires communistes. La collecte de données par ce géant du numérique pose des questions démocratiques fortes que les États refusent de traiter pour le moment. Amazon entend créer un écosystème complet avec des maisons connectées, des e-books, de la musique, des séries, des films… pour générer toujours plus de commandes de ses produits à bas prix.

Un modèle économique non soutenable
Amazon impose son modèle économique à travers le monde, mais partout celui-ci est contesté. Sans remise en cause du principe de la libre concurrence, il sera difficile de lutter contre lui. Amazon est le symbole de ce capitalisme qui peut mener l’humanité à sa perte : la consommation sans entrave n’est pas soutenable. L’exigence d’un autre modèle de production et de consommation est une aspiration majoritaire. Montrer les faces cachées de ce monstre économique fait naître l’exigence de régulations et en premier lieu pour le transport des colis. Il faut dépasser la logique capitaliste et mettre en œuvre une maîtrise collective et démocratique des processus de production, de distribution et de consommation. Des législations plus contraignantes pour limiter le recours au tout camion peuvent constituer un premier frein à cette expansion. Il conviendra également de recréer un grand service public de la distribution du colis assurant égalité de traitement et efficacité écologique et sociale. La mise en place de la sécurité sociale professionnelle permettra de garantir le droit à l’emploi des salariés. Le capitalisme a engendré le consumérisme total, nous devons lui opposer un nouveau mode de satisfaction des besoins qui fasse du commerce un bien commun permettant de consommer mieux. Un commerce générateur de lien social, d’emploi et d’économie relocalisée.

Jacques Maréchal est membre du Conseil national du PCF.


« Nous sommes face à un véritable conflit entre les multinationales et les États. Ceux-ci ne sont plus maîtres de leurs décisions fondamentales, politiques, économiques et militaires à cause de multinationales qui ne dépendent d'aucun État.
Elles opèrent sans assumer leurs responsabilités et ne sont contrôlées par aucun parlement ni par aucune instance représentative de l'intérêt général. En un mot, c'est la structure politique du monde qui est ébranlée.
Les grandes entreprises multinationales nuisent aux intérêts des pays en voie de développement.
Leurs activités asservissantes et incontrôlées ­nuisent aussi aux pays industrialisés où elles s’installent. Notre confiance en nous-mêmes renforce notre foi dans les grandes valeurs de l’humanité et nous assure que ces valeurs doivent prévaloir. Elles ne pourront être détruites ! »

Extrait du discours de Salvador Allende à l’ONU, 4 décembre 1972

Cause commune n° 33 • mars/avril 2023