Le contenu de cet article est tiré des rapports scientifiques de la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), produits par la communauté scientifique internationale et approuvés par les presque cent quarante gouvernements membres de l’IPBES.
L’IPBES est un mécanisme similaire, de par son fonctionnement et ses objectifs, au GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Il évalue, au moyen de rapports produits par la communauté scientifique mondiale, l’état des connaissances sur la biodiversité et les services écosystémiques en réponse aux demandes des gouvernements et des acteurs de la société civile.
La France a joué un rôle de tout premier plan en soutenant son établissement. L’IPBES compte actuellement cent trente-sept gouvernements comme membres ainsi que de nombreux acteurs de la société civile, tels que des organisations non gouvernementales scientifiques, des peuples autochtones et des communautés locales ou bien des entreprises. Son premier rapport d’évaluation approuvé à Kuala Lumpur (Malaisie) en 2016 a porté sur la biodiversité et les services écosystémiques concernant « les pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaire ». La première « évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques » a été approuvée par les gouvernements à Paris, en 2019.
Premier rapport de l’IPBES : les pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaire
La pollinisation correspond au transport du pollen, c’est-à-dire des organes de reproduction mâle de la fleur (étamines) vers le ou les organes de reproduction femelle (pistil). Ceci va permettre la reproduction sexuée des plantes, et la production de fruits et de graines – qui donneront de nouvelles plantes – que l’on va pouvoir récolter. Ce transport peut être effectué par des animaux pollinisateurs, tels que des insectes, les plus connus étant les abeilles, mais également des oiseaux et des chauves-souris. La pollinisation peut également être effectuée par le vent ou l’eau.
« L’espèce humaine a une influence dominante sur la vie sur terre, et est à l’origine d’un déclin des écosystèmes naturels terrestres, marins et d’eau douce. »
Ce rapport a mis en évidence les faits suivants :
• près de 90 % des plantes sauvages à fleurs dépendent, au moins en partie, du transfert de pollen par les animaux pour leur reproduction ;
• plus de 75 % des principales catégories de cultures vivrières mondiales dépendent dans une certaine mesure de la pollinisation animale pour ce qui est du rendement et/ou de la qualité ;
• les pollinisateurs permettent la production annuelle de cultures pour une somme qui se situe entre 235 et 577 milliards de dollars.
Il a également mis l’accent sur la gravité de la disparition des pollinisateurs, ainsi que sur ses causes.
Les évaluations de la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) indiquent que 16,5 % des pollinisateurs vertébrés sont menacés d’extinction au niveau mondial (ce chiffre atteignant 30 % pour les espèces insulaires), et qu’en Europe 9 % des espèces d’abeilles et de papillons sont menacées : les populations diminuent pour 37 % des abeilles et 31 % des papillons.
Les menaces évaluées dans le rapport incluent les changements d’usage des terres, l’agriculture intensive et l’utilisation de pesticides, la pollution de l’environnement, les espèces exotiques envahissantes, les agents pathogènes et les changements climatiques.
« La nature et ses contributions vitales aux populations se détériorent dans le monde entier, à une échelle et à une vitesse sans précédents dans l’histoire de l’humanité. »
Enfin, ce rapport d’évaluation s’est attaché à évaluer les nombreuses mesures pouvant être mises en œuvre au bénéfice des pollinisateurs sauvages et domestiques et de la pollinisation, incluant la diminution de l’utilisation des pesticides (néonicotinoïdes), la diversification du paysage agricole, par le rétablissement de taillis et de haies pour fournir habitat et nourriture aux pollinisateurs, l’ensemencement des infrastructures linéaires de transport (bords des routes, couloirs des lignes à haute tension) avec des plantes pour les pollinisateurs.
Première évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques
Ce rapport constitue la première évaluation mondiale de la biodiversité jamais produite, en réponse à une demande formelle des gouvernements de la planète. Les conclusions de ce rapport produit par environ cinq cents chercheurs, basé sur l’analyse d’environ quinze mille publications scientifiques et sur les savoirs traditionnels et locaux, ont été approuvées par les cent trente-deux gouvernements réunis en séance plénière à l’UNESCO à Paris en mai 2019. Il a conclu que :
• l’espèce humaine a une influence dominante sur la vie sur terre, et est à l’origine d’un déclin des écosystèmes naturels terrestres, marins et d’eau douce ;
• la nature et ses contributions vitales aux populations se détériorent dans le monde entier, à une échelle et à une vitesse sans précédents dans l’histoire de l’humanité.
Quelques chiffres :
• les trois quarts de la surface terrestre sont dégradés ;
• 85 % des zones humides ont disparu ;
• seulement 3 % de l’océan (surface) est libre de toute influence humaine ;
• un million d’espèces de plantes et d’animaux sont en voie d’extinction sur un total estimé de 8 millions ;
• les vitesses d’extinction sont des dizaines à des centaines de fois plus rapides que la normale des dix derniers millions d’années ;
• plus de 40 % des espèces d’amphibiens figurent parmi les espèces menacées ;
• 33 % de nos stocks de poissons marins sont surexploités, et plus de la moitié de l’océan est exploitée par la pêche industrielle ;
• seules 13 % des mille sept cents zones humides existent encore.
Cette dégradation de la nature a un impact important sur notre propre vie et notre bien-être. Les contributions (ou services) que les humains tirent de la nature et dont ils ont besoin pour assurer leur survie sur cette planète ont dans leur grande majorité chuté au cours des cinquante dernières années, comme la capacité des écosystèmes à :
• polliniser les cultures (dont dépendent 75 % des cultures vivrières au niveau mondial) ;
• réguler le climat ;
• réguler la qualité de l’air et de l’eau ;
• contrôler les inondations et l’érosion ;
• contrôler l’émergence des maladies infectieuses ;
• contrôler certaines formes de pollution.
Les causes de cette perte de biodiversité et de services écosystémiques sont connues et se sont intensifiées au cours des cinquante dernières années.
Les cinq causes directes comprennent, par ordre décroissant d’importance : la destruction ou la dégradation des habitats (déforestation ou étalement urbain), la surexploitation des organismes (surpêche), le changement climatique, la pollution (plastiques, métaux lourds), les espèces exotiques envahissantes.
Ces causes directes résultent de causes sociétales profondes qui peuvent être démographiques (dynamique des populations humaines), socioculturelles (mode de consommation), économiques (commerce), ou en rapport avec les institutions, la gouvernance, les conflits et les épidémies. Il s’agit des facteurs indirects, qui sont eux-mêmes sous-tendus par des comportements et des valeurs d’ordre sociétal.
Aucun des vingt grands objectifs mondiaux pour la biodiversité, que les gouvernements s’étaient fixés à Nagoya (Japon) à la COP 10 en 2010, n’a été atteint en 2020 au niveau global. En outre, les trajectoires actuelles ne permettront pas d’atteindre les objectifs de développement durable pour 2030. Seul un changement en profondeur (en anglais transformative change), correspondant à une réorganisation en profondeur à l’échelle du système, de l’ensemble des facteurs technologiques, économiques et sociaux, y compris des paradigmes, des objectifs et des valeurs, le permettra.
Anne Larigauderie est secrétaire exécutive de l’IPBES.
Biodiversité : les solutions proposées par l’IPBES
Des solutions existent, il est encore temps d’agir, il faut faire vite.
Dans son rapport de 2019 présentant la première évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques, l'IPBES a dégagé les solutions suivantes :
• conserver et protéger ce qui n’a pas été dégradé, en renforçant les objectifs de conservation et les moyens qui y sont alloués. À cet égard, la COP 15 de la convention sur la diversité biologique, en Chine en 2022, sera invitée à approuver un objectif ambitieux de 30 % des terres et des océans protégés d’ici 2030 ;
• intégrer systématiquement la biodiversité au sein de tous les secteurs d’activité, tels que l’agriculture, la pêche, le tourisme, l’extraction minière, l’économie et la finance ;
• pour l’agriculture, utiliser moins de pesticides (grâce à la lutte intégrée contre les parasites) et moins d’engrais (avoir davantage recours à des engrais verts, au compost), mieux traiter les sols : sélectionner des variétés qui sont adaptées localement, pour limiter le recours aux engrais, à l’arrosage excessif et utiliser des variétés et des races locales, adaptées aux conditions locales, enfin, rediversifier le paysage agricole (haies, taillis) ;
• concernant les océans, éliminer la surpêche et la pollution, y compris par les plastiques (qui a été multipliée par dix depuis 1980), engrais, métaux lourds et autres déchets ;
• supprimer les subventions néfastes et encourager par des mesures incitatives les actions en faveur de la biodiversité. Chaque année, dans le monde, environ 100 milliards de dollars sont dépensés pour les subventions agricoles (engrais et pesticides) qui nuisent à la biodiversité. C'est plus que le total estimé des dépenses consacrées à la conservation (80-90 milliards de dollars public/privé, national/international) ;
• au niveau international, développer de nouveaux instruments pour tenir compte de l'impact à longue distance. Des modèles alternatifs, tels que la comptabilité inclusive de la richesse, la comptabilité du capital naturel ou les modèles de décroissance sont des approches possibles pour équilibrer la croissance économique et la conservation de la nature ;
• pour le citoyen, agir en consommateur responsable, en modifiant les habitudes de consommation des plus aisés, en s’informant sur l’origine des produits, en réduisant le gaspillage, la consommation de viande, et en préférant les produits locaux et de saison.
Les décideurs disposent donc d’une gamme d’options et d’outils pour améliorer la durabilité des systèmes économiques et financiers. Pour parvenir à une économie durable, il est essentiel de procéder à des réformes fondamentales des systèmes économiques et financiers et de s’attaquer à la pauvreté et aux inégalités, composantes essentielles de la durabilité.
L'abrégé ci-dessus indique les grandes orientations. Une version plus développée est accessible en français sur le site :
https://ipbes.net/sites/default/files/2020-02/ipbes_ global_assessment_report_summary_for_policymakers_fr.pdf
Cause commune • novembre/décembre 2021