Par

Dossier : Libérons la culture ! ne nous laissons pas voler notre imaginaire (présentation)

 

Comme dit l’adage, la culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié. En détournant la formule, on pourrait se demander si la culture ne serait pas, pour nous communistes, ce qu’il nous reste mais que l’on aurait peut-être un peu oublié. Même nos adversaires sont obligés de concéder que le communisme a bel et bien laissé son empreinte sur la société française (entre autres), à savoir un imaginaire d’émancipation collective, de luttes et de conquêtes sociales et de solidarités, qui concurrence toujours celui, dominant, du néolibéralisme qui préfère célébrer la compétition marchande, les « premiers de cordée » et la charité condescendante.

La culture, un instrument de la lutte
C’est ainsi que le Parti communiste français et ses représentantes et représentants ont toujours défendu une vision à la fois exigeante et démocratique de la culture que résume bien le mot d’ordre de « l’élitaire pour tous » lancé en son temps par Antoine Vitez. Une vision qui ne fait pas de la sphère culturelle un simple sous-produit de l’infrastructure matérielle, comme le voudrait une lecture réductrice de Marx. Tout au contraire, la culture représente d’emblée pour les communistes tout à la fois un enjeu et un instrument de la lutte. Il s’agit ainsi d’arracher à la bourgeoisie son monopole (de définition) de la culture légitime, des pratiques et des œuvres qui seraient les seules à valoir ce nom. Ainsi, à travers les canaux de l’éducation populaire ou des politiques nationales et locales, les communistes avec d’autres, tels que les associations des Francas, Culture et liberté, Travail et culture ou encore Liberté et travail, se sont simultanément employés à favoriser la conquête par les classes laborieuses des lieux et des savoirs réservés à « l’élite », tout en promouvant l’égale dignité des expressions culturelles attachées à ces dernières et qu’elles développent dans des temps et des lieux parfois insoupçonnés, comme le travail ou la rue. Il a bien été montré combien la culture constituait un « capital » crucial à côté de l’économique dans la constitution et la reproduction des classes sociales, l’école étant biaisée en faveur des ressources possédées par la classe dominante en ce domaine : manières de parler, œuvres de référence, etc. Dès lors, deux solutions s’imposaient pour combattre ces inégalités pernicieuses : favoriser l’appropriation de cette culture légitime par tous ou en changer le contenu pour y intégrer les pratiques et goûts des milieux populaires.

« Le communisme a bel et bien laissé son empreinte sur la société française, à savoir un imaginaire d’émancipation collective, de luttes et de conquêtes sociales et de solidarités, qui concurrence toujours celui, dominant, du néolibéralisme. »

De par sa polysémie, le mot « culture » est cependant un mot qui divise. Considéré comme un facteur de conflit et d’exclusion par les uns ou au contraire comme un motif de rassemblement et de cohésion par les autres, il est régulièrement brandi par l’extrême droite pour justifier le rejet de l’autre au nom de la défense (et plus ou moins la supériorité) de la culture d’un groupe supposé « ethniquement » pur. Pour feu le Front national jouant sur des associations fallacieuses comme culture et nation, la culture est présentée comme quelque chose d’inné et d’immuable et pour laquelle tout contact avec une autre présenterait un risque de contagion par un mal incurable.
Rien de plus trompeur, mais cet imaginaire n’en est pas moins mobilisateur pour certains. La petite-fille de Le Pen ne s’y est d’ailleurs pas trompé, et a démontré « sa » culture, en réactivant le terme de « métapolitique » forgé par le réactionnaire Joseph de Maistre pour désigner le combat pour le contrôle de la culture dominante et la création de sa haute école de fachos à Lyon. Antonio Gramsci parlait pour sa part d’hégémonie et de l’importance de la formation d’une nouvelle culture au sein de la classe ouvrière pour y diffuser les représentations marxistes et la conscience de classe. Nous y sommes.

« Les cultures, comme les langues impliquent une “volonté collective” pour en faire un instrument d’émancipation et de revendication et non de domination au service des dominants. »

Des conflits culturels
Les conflits d’aujourd’hui semblent devenus en effet culturels, faisant jouer les appartenances des uns et des unes contre celles des autres : religions, origines nationales, voire régionales supposées, etc. Le conflit arrive lorsque deux cultures ne se comprennent plus, lorsque l’on brandit contre une communauté l’argument de différence culturelle comme raison du conflit, ne donnant pas d’espoir à la communauté d’y avoir un accès de quelque manière que ce soit. La classe dominée n’en peut plus et finit par commettre des actes de barbarie alors qu’elle est conditionnée pour la commettre. La classe dominante justifiera les actes de barbarie encore plus horribles par cet argument d’incompréhension des cultures. D’une autre manière, on peut aussi appeler cela la violence des opprimés. Le tout occultant dès lors la lutte des classes et invitant la nation à communier aux obsèques d’un milliardaire héritier et ploutocrate comme Serge Dassault, mais aussi d’acteurs du star système adepte des montages fiscaux. Ces luttes éminemment sociales, quoique apparemment secondaires, ne sont pas sans soulever toute une série de questions, mais doivent aussi nous pousser à sortir des oppositions convenues pour en saisir les enjeux.

« La culture représente d’emblée pour les communistes tout à la fois un enjeu et un instrument de la lutte. »

La démocratisation culturelle et l’éducation populaire, enjeux largement portés notamment par le PCF depuis des décennies, ne feraient-ils pas le jeu des dominants en cherchant à diffuser leurs propres goûts artistiques assimilés à la « haute culture » auprès des classes laborieuses ? Tout dépend en fait de la manière dont elles sont menées – verticale ou horizontale – et surtout de ce qui se transmet. De même, faut-il redouter une mondialisation culturelle que d’aucuns dépeignent souvent comme une uniformisation Made in USA ou un néocolonialisme européen, ou au contraire y voir une chance d’enrichissement et de brassage ? Autant de questions qui se posent avec acuité à l’heure où l’essor des technologies numériques paraît mettre une quantité infinie de contenus à portée de main mais crée aussi de nouvelles inégalités quand les outils permettant de se les approprier ne sont eux pas aussi bien partagés. Ce qui est sûr, c’est que les cultures sont, comme les langues qui en sont des vecteurs privilégiés, des réalités vivantes, en mouvement et en brassage permanent, et qu’elles impliquent une « volonté collective », comme disait encore Gramsci, pour en faire un instrument d’émancipation et de revendication et non de domination au service des dominants. D’où l’importance de politiques ambitieuses en la matière, ouvertes et non autoritaires, mais aussi animées par un sens qui paraît plus que jamais faire défaut. Ce sont quelques-uns de ces enjeux que nous souhaitons partager dans ce dossier sur ce qu’il faut bien appeler une culture communiste !

Sabrina Royer et Igor Martinache sont membres comité de rédaction de la revue. Ils ont coordonné ce dossier.

Cause commune n° 6 - juillet/août 2018