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Plusieurs décennies de blocus n’ont pas empêché Cuba de développer l’un des systèmes de santé les plus efficaces au monde. Comment a-t-elle affronté la pandémie ?

Le 23 janvier 2022, cinquante médecins et infirmiers cubains atterrissent aux Bahamas. Quarante-deux femmes et huit hommes. C’est la cinquante-huitième brigade médicale que la petite île des Caraïbes envoie depuis le début de la pandémie de covid en 2020. Vieille de près de soixante ans, cette coopération est l’une des expressions de la solidarité internationale développée depuis la révolution de 1959. Et pourtant, après six décennies de blocus, le système de santé cubain est sévèrement affecté par la guerre économique que mènent les états-Unis à son encontre. Mais les innovations de la recherche médicale cubaine, l’efficacité de son système de santé public et la solidarité médicale internationale de ce petit pays de 11 millions d’habitants n’en finissent pas de surprendre.

Importations de matériels et équipements médicaux bloqués
Mars 2020, alors que la pandémie de covid fait rage à travers le monde, les pays s’emploient à se fournir en matériel de protection (masques, réactifs pour les tests de dépistage…) pour faire face à ce virus encore quasi inconnu. Pour Cuba, la bataille est bien plus difficile car il faut pouvoir importer les produits et matériels médicaux qui ne sont pas produits sur place, tout en subissant les contraintes exorbitantes que représente le blocus américain.

« Cuba est parvenu à produire cinq vaccins depuis le début de la pandémie : les vaccins Soberana (Soberana 01, Soberana 02 et Soberana Plus), le vaccin Abdala et le vaccin Mambisa, injecté par voie nasale. »

Dans les premiers mois de 2020, deux entreprises suisses, IMT Médical AG et Acutronic Medical Systems AG, qui livraient des respirateurs à Cuba, décident de stopper leurs livraisons après leur rachat par un fonds américain. Les Cubains doivent alors se débrouiller sans. Ils se mettent à développer leurs propres respirateurs mais les difficultés subsistent car il faut importer des pièces venant de l’autre bout du monde. Les coûts et les délais d’approvisionnement en sont rallongés d’autant.
En avril 2020, une cargaison de masques, de kits de tests et de respirateurs, offerte par le fondateur du groupe chinois Alibaba ne parvient pas jusqu’à Cuba, car le transporteur américain redoute les sanctions états-uniennes. Ce ne sont que quelques exemples des difficultés auxquelles le secteur cubain de la santé s’est heurté durant la pandémie. Chaque fois la logique est la même : les entreprises étrangères refusent de commercer avec Cuba par peur des mesures de rétorsion de la Maison-Blanche.

Soixante ans de blocus
Instauré en 1962, le blocus américain ne s’est jamais assoupli depuis. Si Cuba a pu échanger facilement avec les pays socialistes du temps de la guerre froide, la situation s’est compliquée dès le début des années 1990. Privés de leurs anciens partenaires économiques, les Cubains se sont retrouvés isolés sur la scène internationale et ont dû affronter la dénommée « période spéciale en temps de paix », pendant laquelle les approvisionnements se faisaient plus rares et les privations plus intenses.
Durant la décennie 1990, les États-Unis ont même durci leurs sanctions. En 1996, Bill Clinton promulgue la loi Helms-Burton. Parmi les nombreuses dispositions qu’elle contient, son chapitre III interdit à toute entreprise mondiale d’exporter vers Cuba un produit contenant au moins 10 % de composants d’origine états-unienne.

« La mortalité infantile y est de 4 pour 1 000 naissances et l’espérance de vie de 79 ans, soit des indicateurs similaires aux pays les plus développés. »

Malgré une légère ouverture diplomatique sous la présidence de Barack Obama, des banques se sont vu infliger des amendes par les autorités états-uniennes pour avoir effectué des transactions avec Cuba. Ainsi la banque française BNP Paribas a écopé, en 2014, d’une amende de 9 milliards de dollars.

L’offensive de Trump aggrave les difficultés pendant la pandémie
Donald Trump reste sans doute le dernier président américain en exercice à n’avoir jamais cessé de multiplier les sanctions contre Cuba. En janvier 2021, il va jusqu’à placer ce dernier sur la liste des pays accusés de soutenir le terrorisme. Les conséquences en matière d’approvisionnement pour le secteur de la santé cubain ont été brutales. Ainsi en 2021, Cuba passe commande d’écouvillons, utilisés pour les tests de dépistage, auprès d’une entreprise allemande. Tout semble bon jusqu’à ce que cette entreprise se rétracte finalement en raison de la décision du président des États-Unis.
Aux difficultés provoquées par le blocus, on peut ajouter l’arrêt des revenus touristiques dû aux nombreuses restrictions aux voyages pendant la pandémie. En temps normal, avec environ 4 millions de touristes par an, le revenu généré par cette activité s’élève à environ 3,3 milliards de dollars par an.

« Le système de santé cubain est fondé autour des trois principes suivants : gratuité, universalité et prévention. »

Entre difficultés d’approvisionnement et difficultés économiques, des pénuries ont affecté les pharmacies cubaines. Sur les 619 médicaments de base disponibles, 58 % sont produits sur l’île. Le reste doit être importé.
Le président américain en exercice depuis 2021 Joe Biden n’a nullement allégé le blocus. Tout juste a-t-il décidé, début mars 2022, d’une réouverture progressive de l’ambassade américaine à La Havane que son prédécesseur avait fermée. Comme le stipulait une note du département d’État nord-américain en 1960, l’objectif du blocus est de provoquer « la faim, la désespérance et le renversement du régime ». Plus de soixante ans après, les États-Unis espèrent toujours arriver à leurs fins.

Un système de santé modèle
Toutefois, les décennies de blocus n’ont pas empêché Cuba de développer l’un des systèmes de santé les plus efficaces au monde. La mortalité infantile y est de 4 pour 1 000 naissances et l’espérance de vie de 79 ans, soit des indicateurs similaires aux pays les plus développés (données Banque mondiale).

« L’île dispose du nombre de médecins par habitant le plus élevé de la planète avec 8,4 médecins pour 1 000 habitants, alors que la France n’en compte que 3,3 pour 1 000 habitants. »

Le système de santé cubain est fondé autour des trois principes suivants : gratuité, universalité et prévention. Cette dernière est assurée par un réseau de médecins réparti sur l’ensemble du territoire, au plus près des populations, des quartiers des grandes villes aux campagnes les plus reculées. L’île dispose du nombre de médecins par habitant le plus élevé de la planète avec 8,4 médecins pour 1 000 habitants, alors que la France n’en compte que 3,3 pour 1 000 habitants (données de la Banque mondiale 2018).

Innovations biotechnologiques : entre excellence et souveraineté
À cela il faut ajouter le développement de la recherche médicale devenue l’un des points forts du pays caribéen. En 1981, Fidel Castro lance le plan Frente biológico (Front biologique) qui aboutira à la création du consortium étatique BioCubaFarma. Cette entité est aujourd’hui composée de pas moins de soixante et un sites dédiés à la recherche et à la fabrication de médicaments. Les succès de la recherche médicale cubaine sont déjà nombreux. Cuba a ainsi été le premier pays au monde à avoir su bloquer la transmission du VIH de la mère à l’enfant chez les femmes enceintes, le premier à développer un vaccin thérapeutique contre le cancer du poumon (CimaVAX), aujourd’hui à l’étude aux États-Unis et en Europe, et nombre de ses médicaments s’exportent – la vente de médicaments représentent pour Cuba le deuxième revenu d’exportation après le nickel.
Dès février 2020, plusieurs composantes du consortium BioCubaFarma se sont concentrées sur le développement de vaccins contre la covid. Cuba est ainsi parvenu à produire cinq vaccins depuis le début de la pandémie : les vaccins Soberana (Soberana 01, Soberana 02 et Soberana Plus), le vaccin Abdala et le vaccin Mambisa, injecté par voie nasale. Les taux d’efficacité des vaccins cubains sont similaires à ceux développés chez les laboratoires pharmaceutiques des grandes puissances occidentales. Abdala enregistre ainsi une efficacité de 92 % et Soberana de 91 %. La combinaison de différents vaccins donne même des résultats encore plus concluants selon les scientifiques cubains. Mais au moment de développer leur production à grande échelle, Cuba se confronte encore aux entraves du blocus.

Le blocus, frein à la production à grande échelle des vaccins cubains contre la covid-19
Initialement les services de santé cubains prévoyaient de vacciner la population essentiellement avec le vaccin Soberana. Cependant, pour produire un vaccin, il faut compter environ neuf cents composants différents et, dans le cas de Soberana, tous ces composants n’étaient pas disponibles sur place. Cuba s’est ainsi heurtée à des retards dans sa production en raison des difficultés d’importation de certains ingrédients. À l’inverse, la plupart des composants du vaccin Abdala étant présents, le gouvernement cubain a finalement décidé d’administrer ce dernier aux populations.
En combinant Soberana et Abdala, Cuba pensait pouvoir s’acheminer vers une couverture quasi totale de la population dès juillet 2021. Mais les retards induits dans la production des vaccins Soberana n’ont pas permis de tenir ces délais. C’est d’ailleurs en juin 2021 que le pays a connu un pic de contaminations et de décès avec l’arrivée du variant Delta. Il ne fait guère de doute qu’avec un taux de vaccination plus avancé dans la population, ce dernier aurait été moins mortifère.
Depuis février 2022, Abdala et Soberana 02 sont étudiés par l’Organisation mondiale de la santé. Leur homologation par cette dernière ouvrirait la voie à leur diffusion internationale, signe d’un nouveau succès pour la médecine cubaine.

Olivier Le Roy est président de l’association Résistance et solidarité.


Résistance et solidarité

Résistance et solidarité est une association progressiste qui mène des projets de solidarité dans le domaine de la santé à Cuba et en Palestine. Aux côtés du comité France-Cuba de Paris et du Comité Amérique latine de Caen, Résistance et solidarité est membre de Medicuba-France. Cette dernière est la branche française du réseau Medicuba-Europe qui initie de grandes campagnes d’appui aux capacités médicales cubaines depuis les années 1990.

Cause commune • été 2022