Par

Gilets jaunes. La révolte des budgets contraints
de Pierre Blavier

Les Frères Bonneff, reporters du travail.
de Nicolas Hatzfeld

La Croisade de Robert Ménard. Une bataille culturelle d’extrême droite.
de Richard Vassakos

Énergie et communisme. Une vision d’avenir
de Valérie Gonçalvès et Éric Le Lann

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Gilets jaunes. La révolte des budgets contraints

Presses Universitaires de France, 2021
Pierre Blavier

par Kevin Guillas-Cavan
Les forces progressistes organisées sont d’abord apparues sidérées par le mouvement des gilets jaunes, incapables de prendre une position unitaire sur un mouvement hétérogène et difficile à saisir, émergeant soudainement hors des grandes agglomérations. Le livre de Pierre Blavier fait œuvre utile en offrant une analyse synthétique convaincante par la richesse des matériaux mobilisés. L’auteur replace ainsi ses analyses qualitatives faites sur les sept ronds-points occupés d’un département de la région Centre dans un cadre plus large nourri par une enquête nationale par questionnaires.
Si la diversité du mouvement est un lieu commun, Pierre Blavier montre que celle-ci est peut-être plus limitée qu’on ne l’a dit, au-delà de quelques cas extrêmes montés en épingle. Répondant à deux visions extrêmes, l’ensemble des données montre que la majorité des gilets jaunes n’est pas composée de petits patrons poujadistes et de leurs artisans ni des franges les plus déstabilisées du prolétariat. Le mouvement apparaît dominé par des salariés en CDI des métiers de la route, de la logistique, des ouvriers qualifiés de l’industrie, des professions de la santé et des services à domicile. Gagnant en moyenne plus de la médiane, ils sont aussi caractérisés par une forte présence de syndiqués (20 % des gilets jaunes interrogés, dont la moitié à la CGT).
S’il s’agit des franges les plus stables du prolétariat, pourquoi celles-ci se rebellent-elles aujourd’hui ? Pour répondre à cette question, Pierre Blavier se livre dans la seconde partie de l’ouvrage à un exercice d’ethnocomptabilité qui met en lumière la très forte croissance des dépenses contraintes : énergie, alimentation, mais surtout crédits immobiliers et automobiles d’un côté, dépenses d’assurance et de mutuelle de l’autre. La conclusion de Pierre Blavier est on ne peut plus claire : les gilets jaunes ne sont pas une nouvelle jacquerie mais une « crise de reproduction sociale » qui « pointe l’insécurité non pas “culturelle” mais bien budgétaire » de ménages qui survivent mais ne peuvent « s’écarter » (le terme revient souvent dans les entretiens) et sont à la merci d’un coup du sort ou d’une décision du gouvernement qui les ruineraient, comme le durcissement des normes du contrôle technique, beaucoup plus central qu’on n’a pu le dire…
Dans le contexte actuel d’inflation où le gouvernement semble anxieux d’une redite et multiplie les chèques énergie, carburant, etc., un lectorat marxiste trouvera donc dans ce livre des éléments pour une analyse matérialiste du mouvement des gilets jaunes, qui apparaît ainsi comme un véritable mouvement de classe, quoique brouillon dans ses méthodes (la concentration sur quelques ronds-points pour des raisons affinitaires plutôt que le blocage méthodique des axes principaux) et se trompant parfois de cibles en concentrant ses critiques sur l’État taxateur plutôt que sur le capital précarisant et détruisant les services publics et la Sécurité sociale. 

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Les Frères Bonneff, reporters du travail

Articles publiés dans L’Humanité de 1908 à 1914
Éditions Classiques
Garnier, 2021
Nicolas Hatzfeld

par Raphaël Charlet
Le portrait saisissant du monde du travail à la veille de la Première Guerre mondiale : c’est là ce que s’emploient à dresser méticuleusement les frères Bonneff tout au long de leur vie de journalistes.
Arrivé de Belfort à Paris en 1898, Léon Bonneff, le plus âgé des deux, commence à écrire quelques années plus tard pour le tout nouveau journal socialiste, L’Humanité, dont Jean Jaurès assure la direction. Maurice, lui, publie dans La Dépêche de Toulouse. Pourtant, comme le rappelle Nicolas Hatzfeld dans la préface de la présente compilation, chaque article publié individuellement par chacun des frères se voit signé des deux noms des Bonneff. Au total, ce sont trois cent soixante et onze articles qui vont naître sous leur plume durant les six années qui précèdent la guerre, dont 71 % sont publiés dans L’Humanité.
Le présent travail consiste en une sélection de cent des deux cent soixante-neuf travaux publiés dans le quotidien socialiste ; ils nous dépeignent le visage de cette France du travail du début du XXe siècle avec netteté, dans toute sa complexité, avec un soin tout particulier accordé aux descriptions et aux faits. Le style des frères Bonneff se révèle, en effet, extrêmement direct et plonge le lecteur de leurs articles au cœur des conditions de labeur des travailleurs de tous les secteurs, n’hésitant pas à rappeler la dureté de celles-ci. Ainsi, alors qu’ils s’intéressent à la grève des briquetiers de Villejuif de 1910, les Bonneff se livrent à une description de la précarité des conditions de travail des défosseurs, lesquels officient « les pieds dans l’eau, le visage sali de la boue que projette la tailleuse, [allant] jusqu’au fond de la fosse arracher [leurs] pelletées de mastic résistant », pesant chacune « entre 20 et 25 kg ».
Ce qui rend possible une aussi grande précision du travail des Bonneff sur un nombre de corps de métiers aussi vaste, ce sont notamment des méthodes de journalisme d’investigation qui leur permettent d’observer de l’intérieur les milieux qu’ils décrivent. Dans la préface de l’ouvrage sont ainsi rapportés les propos de Pierre Desclaux qui relate les méthodes d’infiltration et la détermination des frères Bonneff, lesquels n’hésitent pas à descendre au plus profond des mines du Nord pour constater par eux-mêmes les « conditions d’hygiène déplorables dans le travail » et le « boisage insuffisant et trop hâtif des percées nouvelles », qui mettent en danger la vie des mineurs.
C’est donc un ouvrage particulièrement important que proposent les éditions Garnier ; car, au fil des articles des frères Bonneff, c’est toute l’histoire des travailleurs français qui s’écrit peu à peu. 

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La Croisade de Robert Ménard. Une bataille culturelle d’extrême droite

Libertalia, 2021
Richard Vassakos

par Yvette Lucas
Dans un ouvrage d’une remarquable rigueur, l’historien Richard Vassakos décortique le montage démagogique avec lequel Robert Ménard, maire ultradroite de Béziers, s’emploie à pervertir l’histoire.
Béziers, historiquement classée à gauche, cité industrielle sinistrée, a glissé depuis les années 2000 vers une droite de plus en plus dure, au point d’élire comme maire en 2014, puis de réélire au premier tour en 2020, Robert Ménard, clairement marqué à l’extrême droite. Béziers est ainsi devenue pour ce politicien manipulateur un véritable terrain d’expérimentation. Il y dispose en effet de tous les moyens : possibilité de prendre la parole où il veut, quand il veut, presse municipale et autres moyens de publication, action pour transformer les lieux, célébrations multiples… Il en use pour mettre en place un système qui instrumentalise l’histoire dans un cadre idéologique ultraréactionnaire. Journaliste formé par Reporters sans frontières, essayiste, il utilise l’histoire en tant qu’outil.
Adepte, comme malheureusement quelques autres, de la thèse du grand remplacement et de la vision de la France comme une nation exclusivement chrétienne, il use avec délectation de simplifications, caricatures, déformations, omissions, allant jusqu’à utiliser en les détournant de leur vérité des figures aussi emblématiques que Jean Jaurès ou Jean Moulin. Ne considérant l’histoire que pour servir sa vision politique, il n’hésite pas à vilipender les historiens dont c’est le métier et qui fondent leur action sur d’authentiques moyens de recherche. Pour lui, ces derniers sont des absolutistes issus de mai 1968 qui ne « sont pas attachés à la rigueur de la démarche historique, ils font de la politique ». On ne saurait mieux attribuer aux autres sa propre perversité. Au cœur de ses arguments, une affirmation qui dit tout : « Le christianisme est un élément culturel constitutif de l’identité française. » On ne peut détailler tous les éléments précis et concrets qu’a recensés et finement analysés Richard Vassakos dans cet ouvrage. Il faut le lire. 

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Énergie et communisme. Une vision d’avenir

Éditions Manifeste, 2021
Valérie Gonçalvès et Éric Le Lann

par David Courteille
Avec Énergie et communisme, Valérie Gonçalvès et Éric Le Lann, militants communistes, entendent faire œuvre utile et remettre l’énergie là où elle devrait être : au cœur du débat public et politique. Dans sa préface, le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, rappelle que nous sommes confrontés au double défi « de satisfaire des besoins énergétiques croissants tout en assumant des mutations technologiques essentielles » pour contenir le réchauffement climatique. Face à cet enjeu majeur, les auteurs rappellent opportunément que les changements de comportements individuels ne suffiront pas et que des choix politiques forts sont nécessaires, et vite, afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. C’est d’autant plus essentiel que, sur notre planète, huit cents millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité. Or, sans énergie, pas d’hôpitaux, pas de réfrigérateur, pas d’eau potable, pas de transports, pas d’amélioration de l’espérance de vie... et pas de perspective d’émancipation humaine. Dans ce contexte, le combat communiste, c’est d’abord de revendiquer le droit à l’énergie pour toutes et tous et pas uniquement dans les pays occidentaux. C’est aussi d’agir pour que les ressources énergétiques deviennent des biens communs de l’humanité, de façon que leur rareté ne conduise pas à des conflits de plus en plus violents.
Pour autant, afin d’éviter que la Terre devienne inhabitable, les auteurs mettent en évidence le besoin de diminuer drastiquement les émissions de CO2 en faisant reculer la part des énergies fossiles.
Se centrant ensuite sur le cas de l’Union européenne, ils démasquent l’incohérence d’une politique de dérégulation qui, en s’inspirant de l’expérience allemande et en faisant le pari de l’éolien et du solaire, tend dans les faits à augmenter la part des énergies fossiles (charbon, gaz...) dans la production électrique, à accroître la dépendance de l’UE vis-à-vis de la Russie mais aussi à aggraver les risques de black-out. Face à cela, le mix énergétique français est analysé en détail.
L’exposé, rigoureux et argumenté, montre les atouts dont la France dispose pour faire face aux enjeux climatiques... et dessine en creux l’importance des luttes contre les projets de démantèlement d’EDF. Pour faire reculer les intérêts financiers, il y a en effet plus que jamais besoin d’un pôle public de l’énergie s’appuyant sur l’expertise des salariés. À partir de cet état des lieux concis mais documenté et relativement complet, les auteurs tracent ensuite les lignes d’une politique énergétique conséquente pour notre pays : garder une électricité décarbon ée en s’appuyant sur le nucléaire et l’hydraulique et en cherchant à développer les énergies renouvelables via un investissement massif dans la recherche, réduire nos émissions de gaz à effet de serre en repensant notamment « les logiques urbaines d’habitat et de transports, les organisations territoriales du travail », mais aussi en finir avec la précarité énergétique en s’appuyant sur les propositions des parlementaires communistes.
À travers ce livre d’une centaine de pages, Valérie Gonçalvès et Éric Le Lann fournissent ainsi les éléments factuels permettant à chacune et chacun de se forger une opinion sur les enjeux énergétiques mais aussi de mieux appréhender la cohérence du projet porté par le PCF. Une œuvre utile, on vous disait. 

Cause commune • janvier/février 2022