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Ce mois-ci :

Julian Mischi, Le Parti des communistes

Elisa Marcobelli, L’Internationalisme à l’épreuve des crises

Vincent Dain, Podemos par le bas

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Le Parti des communistes
Histoire du Parti communiste français de 1920 à nos jours

Hors d’atteinte, 2020
Julian Mischi
par David Courteille

Creusant depuis deux décennies le sillon d’une analyse critique mais constructive de l’histoire du Parti communiste français, Julian Mischi a toujours mis les classes populaires au centre de ses réflexions.

Dans Servir la classe ouvrière (Presses universitaires de Rennes, 2010), il avait montré avec brio comment, grâce à un ancrage local fort et à une stratégie volontariste, le PCF avait su jusqu’aux années 1970 mobiliser les dominés et donner la parole prioritairement aux classes populaires, aussi bien dans les milieux industriels que dans les territoires ruraux. En promouvant des élites politiques ouvrières et paysannes à travers tout le territoire, le PCF a bouleversé l’ordre social et mis les classes populaires au cœur du débat démocratique pendant une bonne partie du XXe siècle. Dans Le Communisme désarmé (Agone, 2014), Julian Mischi avait ensuite analysé les causes sociologiques, électorales et politiques qui avaient poussé le parti à s’éloigner progressivement du monde ouvrier depuis les années 1970.

S’attaquant désormais à une histoire globale du PCF, l’auteur approfondit sa réflexion sur la représentation politique de la classe ouvrière, tout en adoptant une focale plus large qui lui permet de mettre aussi en évidence les combats féministes, pacifistes ou anticolonialistes qui ont émaillé les cent années d’existence du parti des communistes depuis sa création à l’issue du Congrès de Tours en décembre 1920.

Optant pour une approche chronologique, il parvient cependant à faire ressortir habilement les lignes de force (et de faiblesse) qui traversent toute l’histoire du PCF. En cours de route, il aborde évidemment les temps forts : l’enthousiasme des premières années, les conquêtes sociales du Front populaire, les sociabilités militantes et associatives, le courage des résistants face à la barbarie des nazis, la promotion des travailleurs aux avant-postes

politiques, la fondation du modèle social français au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les réflexions sur un « socialisme aux couleurs de la France », l’élan du programme commun... Mais Julian Mischi revient aussi sans fard sur les errements : les purges du « stalinisme à la française », les hésitations stratégiques sur la question algérienne ou sur Mai 68, les périodes de repli bureaucratique, les crises internes, la fin du discours de classe et l’éloignement des classes populaires, la prédominance prise par les enjeux électoraux à partir des années 1980... Tout au long du parcours, il met en évidence la place unique qu’occupe le PCF dans l’espace politique français : celle d’un « parti national qui se pense comme un acteur d’une lutte internationale ». Ce faisant, il propose un ouvrage somme qui se lit pourtant avec une étonnante facilité grâce à une écriture vivante. Un ouvrage indispensable pour tous les militantes et militants qui veulent puiser dans les enseignements du passé des outils pour armer à nouveau le PCF, car comme le dit Julian Mischi : « La forme du parti […] demeure probablement un outil incontournable pour coordonner une lutte anticapitaliste qui se déroule sur différents terrains […] en faisant face à différents adversaires. » 

 

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L’Internationalisme à l’épreuve des crises
La IIe Internationale et les socialistes français, allemands et italiens (1899-1915)

L’Arbre bleu éditions, 2019
Elisa Marcobelli

par Guillaume Roubaud-Quashie

C’est un livre important que propose Elisa Marcobelli. La jeune historienne s’emploie à visiter à nouveaux frais l’histoire d’une Inter­nationale mal aimée, la deuxième, née à Paris en 1889 et morte sans gloire dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. C’est précisément par ce point, le plus névralgique, que l’ouvrage examine cette organisation, la scrutant face aux crises internationales qui ponctuent toute la période, face aux menaces croissantes de guerre, face au début du premier conflit mondial. Il montre combien l’enjeu de la paix devient de plus en plus central dans la vie même de l’Internationale, notamment lors des grand-messes que représentent ses neuf congrès (avec un crescendo certain jusqu’au dernier, le plus célèbre, celui de Bâle en 1912). Ou pour le dire avec les mots de l’autrice : « N’étant pas la raison de sa naissance, [la paix] devient une raison de son existence et le but principal auquel le socialisme international et internationaliste tend. » De ce point de vue, la guerre éclatant en 1914, en entraînant dans des logiques nationalistes la très grande majorité des socialistes, on peine à suivre l’historienne lorsqu’elle tient à montrer que cette Internationale n’a pas échoué. Reste qu’avec une érudition remarquable, Elisa Marcobelli procède à une très riche résurrection de l’Internationale socialiste, apportant aux travaux précédents un regard comparatif centré sur trois pays – l’Allemagne, cœur battant de cette Internationale, la France, classiquement attendue, mais aussi la plus marginale Italie – ainsi qu’une maîtrise de l’historiographie et des sources en trois langues (sans compter l’anglais). Des questionnements nouveaux permettent de découvrir les modalités concrètes d’un internationalisme en construction, de reconstituer les circulations d’idées politiques… Il faut saluer et lire ce travail d’ampleur, fruit d’une thèse de doctorat. Il est de nature à nourrir substantiellement le débat historiographique, mais aussi à interroger le citoyen à l’heure où les xénophobies et les nationalismes étroits connaissent un si puissant écho.

 

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Podemos par le bas
Trajectoires et imaginaires de militants andalous

L’Arbre bleu éditions, 2020
Vincent Dain

par Igor Martinache

À voir le succès fulgurant d’entreprises politiques comme La République en marche et l’effondrement d’organisations comme le Parti socialiste, on pourrait penser que les partis politiques traditionnels seraient devenus obsolètes. Un regard vers l’Espagne voisine vient cependant tempérer fortement un tel diagnostic. Semblant lui aussi en voie de « pasokisation », à l’instar de son homologue grec, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) que beaucoup donnaient également pour « mort politiquement », a ainsi, sous la houlette de Pedro Sánchez, repris les rênes du gouvernement en janvier 2020 en s’alliant avec Unidas Podemos, elle-même composée des partis Podemos et Izquierda Unida. Une telle réédition du gouvernement du Front populaire plus de quatre-vingts ans après, n’avait pourtant rien d’évident, bien au contraire. Se voulant l’émanation des mouvements sociaux, et notamment de celui dit « du 15M », marqué par des occupations de places publiques dans les grandes villes du pays et nourrissant une rhétorique revendiquée comme populiste qui opposait le « nous » du peuple au « eux » des élites instituées, Podemos considérait en effet le PSOE comme l’ennemi principal ou presque, ses militantes et militants ne cessant de l’assimiler au Parti populaire (PP) conservateur. 

Pour saisir un tel revirement et plus largement comprendre les racines et contradictions d’un tel « parti-mouvement », l’enquête de Vincent Dain se révèle particulièrement précieuse. Doctorant en science politique, celui-ci a effectué trois séjours de sept mois en cumulé en immersion parmi les militantes et militants de Podemos Séville et en a interviewé plus d’une quarantaine, afin de saisir à la fois ce qui, dans leurs trajectoires biographiques, a pu les pousser vers cette formation, et de quelles représentations de la société et de la politique elles et ils (se) nourrissent. L’auteur distingue ainsi non seulement trois générations de militants en fonction du contexte de leur socialisation politique : la transition postfranquisme pour les premiers, l’essor du mouvement altermondialiste pour les seconds, et enfin les mouvements estudiantins contre la mise en œuvre du processus de Bologne et celui du 15M pour les plus jeunes. Le succès de Podemos n’est pas tant l’effet de l’habileté de quelques jeunes professeurs d’université madrilènes, Pablo Iglesias en tête, que le reflet des fractures encore ouvertes de l’histoire politique espagnole récente, qui se réfracte du reste dans les clivages internes de la formation.

L’ouvrage apporte ainsi, bien au-delà du cas étudié, une réflexion sur les enjeux liés à la « fabrique partisane », autrement dit les différents processus humains, matériels et symboliques qui contribuent à façonner une organisation partisane, à savoir des mobilisations fédératrices et créatrices d’espérances, favorisant tant les reconversions militantes que les multi-engagements, une socialisation politique réactivée par un contexte favorable, un rapport spécifique à l’histoire, ici simultanément nationale avec la transition démocratique postfranquiste inachevée, et régionale, avec un contre-nationalisme andalou opposant au folklore religieux une histoire de luttes sociales contre la concentration des terres et la marginalisation de la région la plus pauvre d’Espagne.

Le cas de Podemos étudié par Vincent Dain rappelle ainsi que, loin d’être une organisation monolithique, un parti politique est avant tout un ensemble hétérogène qui se décline diversement à l’échelle locale en fonction du milieu socioculturel où il s’enracine, mais où il interroge aussi et surtout la nécessité de s’institutionnaliser pour acquérir des marges de manœuvre et s’inscrire dans la durée, avec la conscience du défi permanent que représente un tel processus, qui consiste à maintenir des liens forts avec les mouvements sociaux eux-mêmes divers. En cela, l’ouvrage de Vincent Dain propose bien plus qu’une monographie : une réflexion nécessaire sur la manière de faire progresser un parti authentiquement de gauche et prétendant représenter les classes populaires aujourd’hui en Europe occidentale.

 Cause commune n° 23 • mai/juin 2021