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Ce mois-ci

Manifeste pour une conception communiste de l’économie sociale et solidaire

Collectif animé par Sylvie Mayer

Le Cas en psychanalyse

de Guy Le Gaufey

En lutte ! Les résistances populaires
en France de 1981 à nos jours

de Rémy Herrera

 

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Manifeste pour une conception communiste de l’économie sociale et solidaire

Collectif animé par Sylvie Mayer

Éditions de l’Humanité, 2020

par Michel Maso
L’économie sociale et solidaire : du communisme déjà-là ? À cette question la vingtaine de contributeurs de l’ouvrage Manifeste pour une conception communiste de l’économie sociale et solidaire répond par l’affirmative. Elles et ils sont universitaires, chercheurs, militants associatifs, syndicaux, politiques et tous ne sont pas membres du PCF. Cette diversité sociale et idéologique met en évidence le fait que l’ESS n’est pas confinée : elle n’est pas la marotte surannée d’une poignée de rêveurs. Tout au contraire, elle suscite un intérêt toujours plus grand. Elle est l’objet de réflexions – et aussi d’une grande diversité d’expériences – renouvelées et grandissantes.
C’est sans doute la raison pour laquelle est intervenue la loi de 2014 (il y a six ans seulement !), qui lui a donné une visibilité inédite. Il faut s’en réjouir, même si elle a fait grandir les obstacles à la mise en œuvre des valeurs de l’ESS, notamment du partage du pouvoir entre salariés, usagers, clients, partenaires publics et privés. En d’autres termes, les membres du collectif qui ont écrit ce petit livre ne sont ni naïfs, ni engoncés dans la certitude que l’ESS aurait devant elle un « long fleuve tranquille ». Et cependant ils voient en elle un moyen d’agir au service de l’émergence d’un monde post-capitaliste, ou de ce qu’ils nomment « du communisme déjà-là ». Pour deux raisons : d’abord, sa présence de plus en plus significative dans le tissu économique. En 2016, en effet, pour le seul territoire français, on dénombrait 221 325 structures labellisées et 2,37 millions d’emplois, soit 10,5 % de l’emploi total et 13,9 % des emplois privés (+25 % depuis 2000). En outre, le secteur représente, en matière financiere, entre 6 et 7 % du PIB et 3,7 milliards de chiffres d’affaires cumulés pour les seules coopératives. Seconde raison : il est possible d’identifier dans l’ESS des « pépites de communisme », susceptibles d’ouvrir des perspectives et des tâches pour les militants. Ainsi en est-il de la démocratie, en particulier au sein des entreprises. Le livre en propose plusieurs exemples : des Fralib à la Scop Ti, de La Belle Aude à la librairie Les Volcans à Clermont-Ferrand, de la SET Smart Equipment Technology en Haute-Savoie à la Ceralep dans la Drôme… autant d’entreprises qui « tiennent » contre les dogmes de la rentabilité immédiate, malgré les difficultés, à l’exemple de la Scop Ti qui doit, pour se maintenir, combattre les entreprises de la grande distribution et affronter la concurrence des marques de la multinationale Unilever. De façon similaire – et, une fois encore, il s’agit toujours d’un combat –, l’ESS ouvre des perspectives en matière de solidarité, de sens du travail, de non-lucrativité (ou de lucrativité limitée), d’environnement et d’ancrage territorial…
Oui, décidément, comme le précise la conclusion de ce livre stimulant, le slogan libéral TINA (There is no alternative : il n’y a pas d’alternative) n’est plus de saison et l’ESS est une belle et potentiellement très féconde idée.


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Le Cas en psychanalyse Essai d’épistémologie clinique

de Guy Le Gaufey

EPEL éditions, 2020

par Georges-Henri Melenotte
Y a-t-il un cas en psychanalyse ? Cette question peut paraître surprenante dans la mesure où le statut du cas, dans ce domaine, a déjà été exploré, par Freud en particulier dans ses Cinq psychanalyses. L’affaire n’est pas réglée pour autant. Car le statut du cas y est particulier. Le Gaufey, qui exerce la psychanalyse à Paris et a récemment publié aux éditions EPEL L’Effet de sens. Essai de sémiotique lacanienne (2018), s’interroge : qu’est-ce qui fait qu’un tel cas diffère d’un cas en psychiatrie ? C’est une question qui requiert une réponse à la fois attenante au dispositif analytique et logique. Le premier élément de l’analyse de Le Gaufey sur le cas l’amène à constater que la mise en place du cas en psychiatrie suppose un tiers élément. Il y a d’abord deux acteurs : d’un côté, le malade, de l’autre, le médecin qui interroge le premier. Il faut un troisième intervenant : le témoin qui observe ce qui se passe entre les deux premiers. C’est à partir de la place de cette troisième personne que la fabrication du cas devient possible. Or il y a un problème concernant cette troisième personne dans la séance analytique. Il n’y a pas de témoin. Du fait de cette absence, comment la confection du cas en analyse est-elle possible ? Il faudrait, pour cela, faire l’impasse sur le transfert qui ne peut s’établir qu’entre les deux personnes impliquées dans la séance. Sans tierce personne par conséquent.
Partant de cette remarque, est-il possible de fabriquer un cas sans la présence de ce tiers élément ? Notant que lui-même n’a jamais pu, à partir de sa pratique, élaborer un cas, Le Gaufey s’interroge sur les causes de son échec. Le récit du cas qu’il tentait d’écrire échouait systématiquement. Les exemples cliniques fourmillent pourtant dans la littérature analytique. Ce sont des fragments d’analyse, rédigés le plus souvent par l’analyste qui en rapporte des extraits pour leur donner une valeur illustrative. Le Gaufey observe que, dans ces situations, l’analyste cumule les positions du protagoniste de la séance et du témoin. Il passe de fait de la position analytique à la position médicale du clinicien dans la confection du cas. De plus, la fonction de la vignette est problématique. D’une situation particulière, celle de la séance, elle prétend prendre une valeur générale en se posant comme illustration du propos tenu par le présentateur de cette vignette. Le problème posé est d’ordre logique, affirme Le Gaufey. Il prend l’exemple suivant. J’apprends, écrit-il, qu’un accident aérien a eu lieu et que quelques passagers en sont sortis indemnes. Il n’est pas alors possible de passer de la particularité de ces « quelques-uns » à l’universel de « tous ». En effet, ce n’est pas parce que quelques-uns en sont sortis indemnes que tous le sont. Le passage du particulier à l’universel ne fonctionne pas et il s’ensuit que la particularité de « quelques-uns » ne saurait valoir pour l’universel de « tous ».
Dans le cas de la vignette clinique, on peut appliquer le même raisonnement. Ce n’est pas parce que, pour tel ou tel, les choses se sont passées ainsi que l’on peut en déduire que ce qui s’est révélé exact pour eux est valable pour tous. Le passage à l’universel de la particularité du cas dans la vignette clinique est faux. Le Gaufey souligne ainsi le problème tant des vignettes cliniques que des monographies cliniques. Le plus souvent, elles supposent, de façon implicite, un tel passage, ce qui fait que la déduction, tout aussi implicite qui s’ensuit, fait problème. Ce n’est pas parce que Freud avance, dans le cas du président Schreber, que la paranoïa trouve son soubassement dans une homosexualité refoulée que l’on peut accepter, tout uniment, que l’on a là affaire à une théorie générale de la paranoïa.
Ainsi, si Le Gaufey donne comme sous-titre à son essai « Essai d’épistémologie clinique », c’est pour poser le problème de toute une clinique psychanalytique qui se réclame de « la structure » pour avancer que ce qui vaut pour un cas vaudrait pour tous, du fait de la structure, psychotique, névrotique ou autre d’un sujet. La question se pose de la présence du tiers élément qui fabrique le cas. Dans la séance analytique, un tel tiers n’existe pas. Ce qui pose problème dès lors que, dans le récit d’un cas, il apparaît et fausse, du seul fait de sa présence, un tel récit. Dès que la présence de tiers s’impose et s’incarne, « voilà qu’il est de trop », écrit Le Gaufey. De son ouvrage, la leçon à tirer est salutaire. Non, la psychanalyse ne saurait faire sienne la production de cas exemplaires d’une « structure » qui nie a priori la singularité de ce à quoi l’on a affaire dans l’exercice analytique.


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En lutte ! Les résistances populaires en France de 1981 à nos jours

de Rémy Herrera

Éditions Critiques, 2020

par Constantin Lopez
Cet ouvrage constitue une tentative de mise en perspective de la période historique ouverte depuis les années 1980, qui correspondent selon l’auteur au moment où la « gauche de droite » menée par le PS impose en France un « néolibéralisme d’État », auquel a succédé un néolibéralisme tout court, dont le caractère régressif et destructeur est allé s’approfondissant jusqu’à aujourd’hui. L’ouvrage est construit comme un recueil de textes rédigés antérieurement. Mis à part le premier chapitre consacré à la période mitterrandienne – tiré d’un ouvrage publié antérieurement – et un chapitre consacré au recul des droits humains en France, fondé sur un rapport publié au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, la plupart des parties du livre sont des articles rédigés à destination d’un public militant et publiés majoritairement à l’étranger, notamment dans la presse communiste. L’ouvrage se compose ainsi de quarante-neuf chapitres courts, classés par ordre chronologique.
En dépit du titre, les analyses proposées dépassent le cadre des luttes de classe dans le cadre de l’État-nation. Elles décrivent certes l’accentuation de l’intensité des conflits sociaux au cours des trois dernières décennies, depuis les grèves de 1995 jusqu’au mouvement des gilets jaunes, en passant par « les émeutes » des banlieues et les luttes contre les « réformes » néolibérales tous azimuts. Mais elles proposent également une vision des évolutions des politiques étrangères et migratoires française et européenne. À cet égard, le constat est particulièrement sévère. L’ouvrage éreinte en particulier l’aplatissement des autorités françaises devant l’atlantisme, sans cesse renforcé ; son impérialisme aux petits pieds, de plus en plus circonscrit ; et l’inhumanité de la politique migratoire répressive et antihumaniste menée par une Europe dont les dirigeants apparaissent comme de plus en plus réactionnaires et soumis à la finance.
Selon l’orientation politique du lecteur et son ouverture d’esprit, la lecture de l’ouvrage fera l’effet, au choix : d’un seau d’eau froide ou d’un bol d’air frais. Il est vrai que l’auteur, s’il ne manque pas d’estime envers les militants et les acteurs engagés dans les luttes qu’il décrit, n’est pas toujours tendre envers les directions syndicales et les partis politiques de gauche. Néanmoins, l’essentiel de sa verve polémiste est consacré à étriller énergiquement les représentants de la droite et du patronat, ainsi que les traîtres soi-disant « réformistes » (accompagnateurs du néolibéralisme), pour lesquels il ne semble jamais à court de formules désobligeantes particulièrement soignées. Emmanuel Macron, par exemple, présenté comme « le Kreattur des mangemorts et croûtards de la finance [qui] ne dit la vérité qu’aux seuls banquiers […] aussi dénués de scrupules que leur elfe de maison » (p. 278). C’est peut-être peu, mais c’est jouissif : le roi est nu, et d’autant plus ridicule que ses prétentions jupitériennes contrastent avec sa faiblesse politique de roitelet d’opérette.
Mais au-delà du style et des qualités littéraires indéniables de l’auteur, la substantifique moelle de l’ouvrage interroge les stratégies proposées par les partis et syndicats de gauche pour construire un avenir postcapitaliste, ou socialiste. À cet égard, il souligne l’ornière qu’a constituée l’alliance systématique avec la « gauche de droite », les entraves posées par le syndicalisme d’accompagnement « social-démocrate », les inerties liées au refus de débattre sérieusement des questions européennes et de l’euro, ou encore les impensés de la gauche en matière internationale. Des critiques certes loin d’être nouvelles, mais qu’il faut bien considérer dans un contexte où la gauche n’en finit pas de s’effondrer.

Cause commune n° 22 • mars/avril 2021