Par

L’analyse des pandémies au long de l’histoire montre que la maîtrise de la circulation du virus a toujours été assortie de mesures autoritaires.

La Chine est le pays qui a été confronté à l’émergence du virus. L’attitude première de minimisation de la gravité de la situation n’est pas spécifique d’un régime autoritaire et a été une réalité face à des événements nouveaux et inconnus au fil de l’histoire dans de nombreux pays, quel que soit le type du régime. Dans un deuxième temps, la réaction a été brutale et massive du fait de l’existence d’outils administratifs et juridiques placés sous une autorité unique. Il s’agit là d’une « qualité » des régimes autoritaires capables de réagir selon des critères militaires face à ce qui a été qualifié, y compris par le président français, comme une « guerre contre le virus ». La nécessité de ce type d’organisation pour viser une efficacité maximale a été soulignée par le général Lizuray, ancien directeur général de la gendarmerie, dans son rapport sur la gestion de la première vague de l’épidémie remis au Premier ministre, ainsi que par le général Gallet, ancien commandant de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, qui a dirigé la lutte contre l’incendie de Notre-Dame. Tous les deux ont souligné l’absence d’autorité unique ainsi que de réactivité du gouvernement et de son administration face à la crise.

« Au fil de l’histoire et jusqu’à aujourd’hui les mesures de santé publique pour lutter contre les maladies transmissibles sont associées à une limitation des libertés individuelles, incluant y compris la dénonciation des malades aux autorités par les soignants. »

Le constat est aujourd’hui sans appel, la Chine grâce à des mesures de confinement drastiques, imposant un confinement strict, sous contrôle de la police et de l’armée, a réussi aujourd’hui à maîtriser la circulation du virus (sans préjuger d’un éventuel rebond de l’épidémie). Le meilleur exemple en est les images d’habitants de Wuhan fêtant le nouvel an dans la rue et les boîtes de nuit pleines à craquer. Par ailleurs, les dirigeants chinois recueillent un taux de confiance très élevé de leur population. Ici aussi, certains diront qu’il est difficile dans ce type de régime de mesurer cette donnée, cependant il est clair que les faits valident leur stratégie avec des citoyens satisfaits car ils ont repris une vie sociale et économique normale, grâce à l’efficacité du traitement de la crise.

Les leçons de l’histoire
Au regard de ce constat, il est bon d’interroger l’histoire. Face à une épidémie, les mesures adoptées dans les différentes zones de la planète ont peu différé au cours des siècles et ce jusqu’aux années 1950. En effet, le seul moyen d’éviter la contagion a toujours été l’isolement et l’évitement du contact avec les personnes infectées. Lors de la grande peste noire du XIVe siècle, des règlements sanitaires voient le jour dans plusieurs grandes villes européennes avec l’interdiction de l’entrée des voyageurs et des étrangers venant de lieux infectés, ainsi que la mise en place de quarantaines dans la plupart des ports européens.
L’histoire de la tuberculose, qui reste un fléau mondial avec 1,5 million de morts par an, nous éclaire en termes d’efficacité des mesures dites hygiénistes dans la lutte contre les maladies transmissibles, avec souvent des mesures coercitives d’obligation de soins. En effet, dans un certain nombre de pays, avant l’arrivée des antibiotiques dans les années 1950, la politique de santé publique visait la protection des populations en isolant les personnes tuberculeuses dans des hôpitaux spécialisés, appelés sanatoriums. Les législations étaient plus ou moins strictes, pouvant aller jusqu’à l’injonction de soins imposant une privation de liberté. Aujourd’hui encore, en France, la tuberculose reste une maladie à déclaration obligatoire avec un signalement aux services de lutte antituberculeuse chargés de mener une enquête auprès des personnes contacts.

« L’attitude première de minimisation de la gravité de la situation n’est pas spécifique d’un régime autoritaire et a été une réalité face à des événements nouveaux et inconnus au fil de l’histoire dans de nombreux pays, quel que soit le type du régime. »

Un autre exemple est celui des maladies vénériennes pour lesquelles le code de la santé publique imposait jusqu’en 2000 au médecin une déclaration nominale en cas de refus de soins du patient ou si celui-ci « montrait une inconscience dangereuse dans le suivi d’un traitement ». La loi était « essentiellement conçue pour la protection des tiers, puisqu’elle n’exige de traitement que tant que le malade est contagieux et non jusqu’à sa guérison ».

La recherche de la sécurité collective
Aujourd’hui, de nombreux pays aux régimes politiques différents n’ont pas oublié ces leçons. Dans le cadre de l’épidémie liée au coronavirus, la Corée du Sud, Taïwan ou la Pologne ont décidé d’utiliser les réseaux de téléphonie mobile pour organiser une surveillance à grande échelle. La Russie utilise la reconnaissance faciale. La Suisse s’apprête à lancer une application. Nous constatons donc qu’au fil de l’histoire et jusqu’à aujourd’hui les mesures de santé publique pour lutter contre les maladies transmissibles sont associées à une limitation des libertés individuelles, incluant y compris la dénonciation des malades aux autorités par les soignants. La justification en est que la sécurité de la collectivité impose ces restrictions pour le bien de tous. Selon les périodes et les gouvernements, l’acceptation des populations a été variable, avec parfois la mobilisation de moyens policiers pour contraindre les récalcitrants à rentrer dans le rang.

« Le fait de porter a priori un jugement à l’emporte-pièce, sous l’influence de présupposés idéologiques imposant trop souvent une vision binaire, ne permet pas de prendre en compte la complexité des situations. »

C’est au regard de ces éléments qu’il est nécessaire d’analyser la politique du gouvernement chinois pour juguler l’épidémie en faisant abstraction d’un jugement général qualifiant le régime d’autoritaire ou de dictatorial. Il est donc toujours utile d’analyser une situation au regard de l’histoire, des faits et des résultats pour pouvoir en tirer des enseignements. Le fait de porter a priori un jugement à l’emporte-pièce, sous l’influence de présupposés idéologiques imposant trop souvent une vision binaire, ne permet pas de prendre en compte la complexité des situations. Notre gouvernement pourrait s’inspirer de ces réalités plutôt que de rester dans le déni face aux critiques concernant sa gestion erratique de la période.

Christophe Prudhomme est médecin urgentiste.

Cause commune n° 22 • mars/avril 2021