Le manifeste adopté à Madrid par de nombreuses forces d'exteme droite aurait des conséquences très graves au niveau international…
Le dimanche 19 mai a vu à tout ce que l’extrême droite européenne et internationale compte de chefs d’état et de gouvernement ou de prétendants au pouvoir se retrouver à Madrid. Autour du parti d’extrême droite espagnol Vox se sont réunis Javier Milei (Argentine), Marine le Pen, Victor Orbàn (Hongrie) et Giorgia Meloni (Italie) (les deux derniers par visio). Il convient de prêter une grande attention à cette rencontre car elle scelle d’une part la dimension internationale de l’essor d’une extrême droite qui est désormais au pouvoir ou en position d'y accéder dans un certain nombre de pays clés en Europe et en Amérique latine ; d’autre part, elle précise les orientations idéologiques sur lesquelles elle cherche à conquérir et à exercer le pouvoir.
Une rencontre lourde de dangers
Le moment de cette rencontre n’est pas anodin. À trois semaines du scrutin européen, les deux groupes où siègent les partis européens représentés à Madrid
– Réformistes et conservateurs européens (ECR) et Indépendance et démocratie (ID) pourraient, en cumulé, représenter la deuxième force au Parlement européen, derrière les conservateurs du Parti populaire européen. Cela est d’autant plus important que ces derniers ont à plusieurs reprises ouvert la porte à une alliance avec ECR dans le futur parlement européen, offre à laquelle Meloni a d’ores et déjà répondu positivement. Et cela ne vient pas de n’importe qui, mais de la présidente de la commission européenne sortante en personne, Ursula von der Leyen, lors du premier débat des chefs de file des partis européens à Maastricht le 29 avril dernier.
« La bataille qui se mène dans la campagne des européennes et qui va se mener ensuite est absolument historique, elle engage l’avenir des peuples européens. »
L’autre moment majeur pour l’extrême droite sera l'élection présidentielle américaine. Vox va jusqu’à reprendre le slogan de Donald Trump. Une réélection de Trump sonnerait comme une charge et un encouragement supplémentaire pour l’extrême droite dans sa dimension internationale, notamment en Europe et surtout en Amérique latine.
Un projet de destruction démocratique et sociale
Politiquement, cette rencontre du 19 mai a encore précisé le projet de destruction démocratique et sociale porté par l’extrême droite. Le manifeste du groupe ECR adopté expose deux offensives immédiates majeures. Premièrement, le renforcement de la politique d’Europe forteresse, qui est non seulement contraire au droit international mais qui de plus ne dit rien du traitement des causes des migrations sociales, sécuritaires et écologiques. Secondement, le démantèlement des politiques écologiques au niveau européen. Celles-ci sont bien affaiblies par leur inscription dans le cadre libéral et austéritaire de l’UE et par les nouvelles compromissions de la commission européenne face à la pression de la droite conservatrice.
Ce manifeste comporte également un volet agricole qui vise en réalité au renforcement de la logique libérale de la PAC en appelant au « renforcement de la stratégie “de la ferme à la fourchette” ». Si ce programme n’engage pas ID, où siège le Rassemblement national, il n’en indique pas moins précisément ce sur quoi l’extrême droite veut influer.
« Une réélection de Trump sonnerait comme une charge et un encouragement supplémentaire pour l’extrême droite dans sa dimension internationale, notamment en Europe et surtout en Amérique latine. »
Car l’objet est bien là. Marine le Pen le dit d’ailleurs explicitement à Madrid en appelant à « changer la direction de l’Union européenne ».
La bataille qui se mène dans la campagne des européennes et qui va se mener ensuite est donc absolument historique, elle engage l’avenir des peuples européens. Deux nouveaux pays viennent de s’ajouter à la litanie de ceux qui incluent l’extrême droite dans leur gouvernement : les Pays-Bas et la Croatie, où les amis de Macron, von der Leyen et Le Pen vont gouverner ensemble. Et c’est exactement sur les bases politiques décrites ci-dessus. C’est une nouvelle brèche ouverte dans la recomposition de la droite sur des fondements radicalisés. D’ailleurs, le peu de bruit que ces nouveaux accords suscitent montre à quel point l’accoutumance au pire peut, hélas, être rapide. La Belgique pourrait bien essuyer une expérience similaire après les élections législatives du 9 juin prochain.
Reconstruire la gauche sur des bases sociales et universalistes est un enjeu pour la France, porté dans ces élections européennes par la liste Gauche unie pour le monde du travail menée par Léon Deffontaines. C’est aussi un enjeu européen. La question est bien celle-là : les Lumières vont-elles survivre ? Cette lutte centrale devrait pouvoir être à même de rassembler largement les forces de progrès et de transformation sociale.
Vincent Boulet est membre du comité exécutif national, chargé des relations internationales du PCF. Il est vice-président du Parti de la gauche européenne.
Cause commune n° 39 • juin/juillet/août 2024