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La collectivité unique a longtemps été la réponse à l’absurdité de la superposition depuis 1983 de deux collectivités de plein exercice sur le même territoire. Une refondation est toutefois nécessaire pour aller vers plus d’autonomie.

De la convention du Morne-Rouge pour l’autonomie à la décentralisation
C’est au terme de la loi du 19 mars 1946, après trois siècles de régime colonial, que la Martinique a été érigée en département, régi comme ceux de la France par l’article 73 de la Constitution. Il s’agissait pour les communistes de l’époque, à la pointe de cette revendication, de mettre fin au régime des gouverneurs et d’accéder aux mêmes droits que les citoyens français.
Si la départementalisation a apporté d’indéniables améliorations sur le plan social, dès le milieu des années 1950 les communistes avaient tiré la conclusion qu’aux plans politique et culturel, nos relations avec la France n’avaient guère évolué et restaient de type colonial. C’est le préfet qui détenait l’essentiel des pouvoirs de décision. Dès 1955, les communistes martiniquais avaient constaté que la départementalisation n’avait en aucune façon favorisé le développement économique de notre pays. Au contraire, elle a contribué à nier notre identité et notre personnalité en privant ses élus d’un véritable pouvoir de décision. Ils réclamèrent le droit pour les Martiniquais « de gérer eux-mêmes leurs propres affaires ».
L’ensemble des forces de progrès (communistes, progressistes, syndicats) des pays d’outre-mer se retrouvèrent en septembre 1971 à la Convention du Morne-Rouge pour adopter une charte de l’autonomie basée sur la reconnaissance du fait que ces pays constituaient des « entités nationales ». Les forces de la réaction locale et nationale les traitèrent de « séparatistes », agitant la menace de la perte des acquis sociaux et la peur d’une rupture définitive des liens avec la France.
Un début de solution sembla se dessiner avec la loi de décentralisation de 1982 censée accorder plus de libertés aux collectivités locales. Ce qui aboutit à la création sur ce petit territoire d’un monstre juridique à trois têtes. À savoir, un préfet, une région mono-départementale avec un pouvoir local déjà restreint, partagé entre deux assemblées : un conseil général et un conseil régional dont les compétences se chevauchaient parfois. Mais ce conseil régional qui, en principe, était chargé du développement économique se trouvait démuni de tout pouvoir aux plans juridique et financier pour impulser un réel développement. Tandis que l’État et l’Europe conservaient l’essentiel des leviers de décision.

« Les problèmes auxquels se trouve confrontée la Martinique sont certes de nature économique, sociale, démographique, écologique mais ils sont surtout de nature politique. »

Le mouvement social de février 2009 en Guadeloupe et en Martinique a démontré que le système issu de 1946 avait donné toutes ses possibilités et était à bout de souffle.
Une loi votée par Nicolas Sarkozy avait prévu une double consultation en janvier 2010 pour choisir entre les deux options offertes par les articles 73 et 74. C’est dans ce cadre qu’eut lieu, le 10 janvier 2010, une première consultation portant sur le passage à l’article 74 ouvrant la perspective d’évolution vers une relative autonomie. Elle fut repoussée à cause d’une campagne de la peur, basée sur la crainte de la perte des acquis sociaux.

La collectivité unique : une réforme administrative limitée
Mais comme le prévoyait cette loi une seconde consultation eut lieu le 24 janvier 2010 à l’issue de laquelle les Martiniquais se prononcèrent en faveur de la création d’une collectivité territoriale unique régie par l’article 73 se substituant au conseil général et au conseil régional. Il ne s’agissait donc pas d’une évolution statutaire, mais d’une simple réforme institutionnelle, résultat de la fusion des deux collectivités existantes, sans compétences nouvelles et sans moyens financiers supplémentaires. Mais ce n’est que cinq ans plus tard, le 18 décembre 2015, que fut installée la nouvelle collectivité. Ainsi, naissait une collectivité d’un type nouveau certes, comme d’ailleurs en Guyane, sans compétences nouvelles, qui ne dispose d’aucune autonomie financière, alors que son budget est lourdement grevé par des dépenses sociales et qu’elle ne dispose pas des leviers de décision pour s’attaquer au mal-développement chronique dont souffre le pays.

« Il est apparu nécessaire de faire émerger un autre modèle de développement plus autonome, plus durable qui a pris la forme en 2021 de l’exigence d’un plan de refondation économique et social à l’horizon 2027. »

La collectivité unique avait été souhaitée pour la perspective qu’elle offrait de plus de cohérence d’actions et d’efficacité financière. La priorité a donc été de mettre en place une administration nouvelle. Son budget était rigide avec beaucoup de dépenses obligatoires et une majorité de recettes venant de l’État et de l’Europe : peu d’autonomie fiscale. La collectivité unique a vite montré les limites des compétences dévolues.
 
Nécessité d’une refondation et d’un nouveau modèle de développement
Au vu de l’expérience de gestion de la collectivité territoriale de Martinique entre 2016 et 2021, de nouvelles compétences et pouvoirs ont été identifiés.
L’irruption de la crise sanitaire (covid-19) a mis en lumière les limites des capacités d’action de la collectivité unique. En effet, il est apparu nécessaire de faire émerger un autre modèle de développement plus autonome, plus durable, devant permettre d’intégrer les transitions à venir aux plans environnemental, économique, social et sociétal. Cela a pris la forme en 2021 de l’exigence d’un plan de refondation économique et social à l’horizon 2027.

« Le mouvement social de février 2009 en Guadeloupe et en Martinique a démontré que le système issu de 1946 avait donné toutes ses possibilités et était à bout de souffle. »

C’est la raison pour laquelle les présidents des régions de Guadeloupe, Réunion, Mayotte, Martinique, Saint-Martin et Guyane réunis au mois de mai 2022 ont lancé un appel solennel au chef de l’État – Appel dit de Fort-de-France – dans lequel ils dénoncent « une situation de mal-développement structurel et des inégalités de plus en plus criantes ». Et de réclamer à juste titre la définition d’un nouveau cadre d’application des politiques publiques pour qu’elles soient plus proches « des réalités de chaque région et placer les leviers de décision au plus près des territoires ».
N’est-ce pas réclamer l’autonomie ? Et comment y parvenir tout en restant dans le carcan de l’article 73 qui nous enferme dans une assimilation législative et nous offre comme seules perspectives des habilitations législatives si difficiles à obtenir, limitées dans le temps et à certains domaines ?

Sortir de l’assimilation législative et aller vers plus d’autonomie
Nous le disons haut et fort, les problèmes auxquels se trouvent confrontée la Martinique sont certes de nature économique, sociale, démographique, écologique mais ils sont surtout de nature politique.
Oui, il faut sortir de l’assimilation législative pour aller vers une nouvelle « spécialité législative » nous permettant de voter des « lois pays », de protéger notre économie, de sauvegarder notre patrimoine et notre personnalité ainsi que notre environnement. Le temps est plus que venu de rompre avec le concept de République « une et indivisible » pour aller vers une organisation plus souple de l’État français, un État décentralisé, comme c’est le cas dans la plupart des États européens. De reconnaître notre droit de peuple à une vraie « différenciation ». C’est-à-dire l’autonomie…
La seule issue, selon nous, réside dans un changement radical de nos rapports avec la France et par voie de conséquence avec l’Europe à travers le changement de statut dans le cadre d’une révision du titre XII de la Constitution sur l’outre-mer. Et qu’on en finisse avec le chantage au largage et à la perte des acquis sociaux !
Dans cette longue et difficile marche vers plus de maîtrise de notre destin de peuple, le Parti communiste martiniquais en appelle au soutien du PCF pour en finir avec les séquelles de la colonisation. Il nous faut ensemble tisser une manière de vivre qui nous donnera la force collective de transformation. Une manière d’être Martiniquais, d’être au monde, qui permettra à la Martinique d’être sûre d’elle, confiante dans son avenir et fière.

Georges Erichot est secrétaire général du Parti communiste martiniquais.
Michel Branchi est économiste. Il est rédacteur en chef de Justice, hebdomadaire du Parti communiste martiniquais.

Cause commune n° 34 • mai/juin 2023