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Au lendemain de la victoire d’un candidat de la gauche de transformation sociale au Chili, Cause commune a demandé à Antonio Valdivia, représentant du Parti communiste chilien (PCC) en France, son analyse de cet événement historique.

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La victoire de Gabriel Boric au second tour de l’élection présidentielle chilienne, le 19 décembre 2021, résonne comme un espoir pour toute l’Amérique latine. Candidat de la coalition Apruebo Dignidad (Approbation dignité), qui regroupe de nombreuses organisations de gauche, dont celle, décisive, du Parti communiste chilien, il faisait face à une candidature d’extrême droite qui menaçait, entre autres, les droits des travailleurs, des femmes, des peuples autochtones, des personnes LBGT. Cette élection du premier président de transformation sociale depuis Salvador Allende doit beaucoup à la mobilisation de la jeunesse chilienne.

La victoire à la présidentielle du candidat Gabriel Boric est un véritable tournant pour le pays. Comment interprétez-vous la mobilisation massive des jeunes au second tour des élections ?
Le deuxième tour a mobilisé 1 250 000 nouveaux votants, surtout des jeunes et surtout des jeunes femmes, car c’est les 68 % de femmes de moins de 30 ans qui ont littéralement fait la victoire de Gabriel Boric. Leur forte mobilisation est en grande partie une réaction face aux mesures rétrogrades annoncées par le candidat José Antonio Kast : suppression des allocations aux mères isolées au profit des femmes mariées, remise en cause de l’avortement et du mariage pour tous. Le sentiment que l’ensemble des droits obtenus par la lutte pouvaient être remis en question a contribué puissamment à cette mobilisation électorale.

À 35 ans, l’ancien syndicaliste étudiant devient le plus jeune président de l’histoire du pays. Son parcours et sa participation aux mobilisations de 2011 pour réclamer une réforme du système éducatif reflètent-ils la politisation d’une partie de la jeunesse étudiante ?
D’abord la mobilisation de 2001 a été très importante pour le mouvement lycéen. Pour défendre un transport accessible, des milliers de collégiens et de lycéens se sont mobilisés. De même, en 2006, plus d’un million de jeunes ont lutté contre la privatisation de l’éducation. En 2011, Gabriel Boric, héritier de ces luttes, a été élu à la tête du syndicat de l’université du Chili (FECh), secondé par Camila Vallejo (PCC) et Giorgio Jackson (Revolución democrática, RD). L’élection du 19 décembre a rejoué et prolongé ces combats avec des listes qui représentent tout aussi bien les mouvements de jeunesse, les étudiants, que toute cette génération à laquelle appartient Gabriel Boric : des jeunes mobilisés et politisés ces dernières années, qui ont investi massivement les structures politiques et en sont devenus les principaux responsables.

Les mobilisations des jeunes durant le mouvement social de 2019 face à l’extrême droite n’ont-t-elles pas, elles aussi, contribué à cette victoire de la gauche ?
Effectivement, les jeunes sont véritablement ceux qui ont porté la révolte d’octobre 2019. Les jeunes étudiants, travailleurs, chômeurs, mais aussi les lycéens, sont les premiers à avoir donné le ton en refusant de payer les tickets de transport, en sautant par-dessus ou en ouvrant de force les portillons d’accès au métro. La répression a été brutale et sanglante, faisant des milliers de blessés, officiellement 34 morts, plus de 17 000 arrestations, dont 5 084 mises en examen, et 2 500 incarcérations. Ils sont d’ailleurs encore 144 en détention provisoire, toujours en attente d’un jugement.

L’Assemblée constituante va être très importante pour stabiliser la situation politique et répondre aux attentes liées à l’éducation, la santé, les retraites, les droits des femmes et des minorités. Face à des marchés toujours déterminés à nier le droit des peuples à décider de leur destin, la mobilisation va-t-elle se poursuivre pour soutenir son action ?
Il y a quelques mois et avant que la Convention constituante démarre ses travaux, le président du Parti communiste chilien, Guillermo Teillier, a indiqué qu’il « faudrait entourer la convention » pour la protéger des attaques médiatiques des défenseurs du système néolibéral, opposés à tout changement qui pourrait nuire aux intérêts du patronat et de la droite. Dans cette convention, des élus de droite (minoritaires) et des sociaux-démocrates cherchent à limiter les changements malgré la demande de bouleversements profonds émanant du peuple chilien lors des grandes mobilisations. La mobilisation du peuple continuera à être la seule garantie pour que les transformations nécessaires soient menées à bien. Et celle-ci devra se faire dans la rue, dans les entreprises, mais aussi sur les réseaux sociaux, pour gagner la bataille de l’opinion. Les défis sont donc nombreux et compliqués. La place des jeunes communistes chiliens sera d’ailleurs fondamentale dans ces mouvements sociaux, tout comme dans le gouvernement, dont la composition sera présentée le 20 janvier.

Propos recueillis par Nicolas Tardits.

Cause commune • janvier/février 2022