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Le pays a connu plusieurs réformes portant sur la structure politique, passant ainsi d’un pays extrêmement centralisé sous l’économie planifiée à un pays économiquement très décentralisé.

 

La décentralisation, progressivement mise en place en Chine depuis 1978, est plus développée qu’on ne pourrait le croire. Le dé­ploiement des activités économiques, de la protection sociale (assurance sociale maladie, retraite et assistance sociale), des soins en particulier, relève des compétences des gouver­nements provinciaux, sur la base des recettes fiscales locales et d’un transfert de recettes depuis le gouvernement central. Dans ces domaines d’action publique, les gouvernements provinciaux négocient avec le gouvernement central et bénéficient de marges de manœuvre considérables dans la prise de décisions.

Une brève histoire de la décentralisation à la chinoise
Depuis la proclamation de la République populaire de Chine en 1949, le pays a connu plusieurs réformes portant sur la structure politique, passant ainsi d’un pays extrêmement centralisé sous l’économie planifiée à un pays économiquement très décentralisé. Les chercheurs chinois dis­tinguent trois phases dans l’histoire de la décentralisation en Chine :
• 1949-1978 : la phase de centralisation totale. Sous le régime de l’économie planifiée, les recet­tes et les dépenses publiques étaient presque entièrement centralisées par le gouvernement national. Les recettes publiques étaient prin­cipalement composées de bénéfices d’entreprise (52,5 %) et d’impôts et taxes (46 %). Les gouver­nements locaux, metteurs en œuvre des décisions politiques nationales avec les transferts de recettes fléchées, n’avaient pas de marge de manœuvre financière. Néanmoins, depuis les années 1970, le gouver­nement central a décidé de décentraliser les entreprises nationales, c’est-à-dire de changer le ratta­chement juridique de ces dernières en passant du national au territorial, ce qui a fait augmenter les recettes fiscales des gouvernements locaux.

« Les provinces bénéficient d’une grande marge de manœuvre dans la gestion de l’assurance maladie, fixant des règles provinciales quant aux taux de prélèvement et de remboursement, en particulier. »

• 1978-1994 : la première phase de décentralisation. En 1980, le conseil des affaires de l’État a publié une circulaire prévoyant un nouveau régime de finances publiques qui décentralise à la fois les recettes et les dépenses. Désormais, les gou­vernements provinciaux perçoivent les bénéfices d’entreprises publiques locales, l’impôt sur le sel, l’impôt sur les revenus des entreprises, la taxe agricole et forestière, etc. Par la suite, ils reversent annuellement une proportion de leurs recettes fiscales au gouvernement central qui a également ses propres revenus (bénéfices d’entre­prises nationales gérées par le gouve­nement central, droits de douane, etc.). Quant aux compétences, le gouvernement central ne gère que les missions liées à la sécurité nationale et à la protection des ressources naturelles, toutes les autres missions (économiques, sociales, culturelles, éducatives etc.) sont confiées aux gouvernements provinciaux. Cette période est marquée par le développement accéléré de l’économie locale, par une très forte baisse des recettes du gouvernement central qui ne représentent plus que 20 % des recettes publiques, et par le retrait de l’État central des missions économiques et sociales.
• 1994-2020 : la seconde phase de décentralisation. En 1994, une réforme fiscale est mise en place par le conseil des affaires de l’État. Cette réforme pré­voit une nouvelle répartition des recettes publiques entre les gouvernements de différentes échelles avec l’introduction de nouveaux impôts et taxes nationaux (droit d’accise, TVA, impôt sur les sociétés) et locaux (taxe sur la vente, taxe foncière, taxe d’habitation, etc.). Quant aux compétences, la structure de répartition anté­rieure a été maintenue, c’est-à-dire que les gouver­nements locaux assurent toutes les missions économiques, sociales, sanitaires et culturelles, y compris la gestion des régimes de protection sociale. Deux types de transfert de recettes vers les gouver­nements locaux sont prévus par le gouvernement central, d’une part le reversement des recettes fiscales afin de soutenir certaines provinces en grande difficulté, d’autre part les transferts fléchés pour les grands programmes politiques comme le programme de déve­loppement de l’Ouest. La lutte contre l’épidémie de covid-19 en a également fait partie. Malgré les transferts qui représentent environ 30 % des recettes locales, cette réforme conduit à une nette croissance des revenus de l’État central, qui passent de 20 % à 50 % des recettes publiques, et à une baisse simultanée des recettes locales. Le gou­vernement central a largement renforcé sa maîtrise financière, tandis que les gouvernements locaux se retrouvent en difficulté financière récurrente. Par exemple, selon les données communiquées par le ministère des Finances en mai 2020, les recettes publiques centrales et locales atteignent le même niveau, alors que les dépenses locales représentent 70,8 % des dépenses publiques en 2019.

« Malgré plusieurs décennies de stabilisation, la gestion de ce système, et notamment celle des hôpitaux, a récemment été remise en cause dans la lutte contre la pandémie de covid-19. »

Un financement et une gestion décentralisés de l’assurance maladie
En Chine, le système de l’assurance sociale maladie a été construit assez récemment par rapport aux pays occidentaux : deux circulaires promulguées en 1951 et en 1952 ont introduit une assurance sociale maladie couvrant uniquement les citadins fonctionnaires et travailleurs d’entreprises natio­nales et collectives. Ensuite, une assurance maladie couvrant l’ensemble de la population rurale du nom de Nouvelle assurance maladie rurale coopérative a été introduite par une cir­culaire en 2003. Enfin, en 2009, le conseil des affaires de l’État a publié une autre circulaire créant une assurance maladie citadine pour les « non travailleurs » : enfants, personnes âgées, chômeurs, étudiants, etc. Ce n’est qu’en 2010 qu’une véritable loi de sécurité sociale voit le jour. La structure actuelle du système d’assurance maladie chinois est composée de trois piliers : une branche pour les citadins travailleurs, une branche pour les citadins non travailleurs et une branche rurale.
Cette assurance maladie (sheng) est cofinancée par l’État et les provinces. Dans les dix dernières années, l’État central a publié plusieurs circulaires pour (re)définir le rôle du gouvernement dans le financement de l’assurance maladie à chaque échelle. Par exemple, le « plan de réforme relatif à la répartition des pouvoirs financiers et des responsabilités en matière de services publics entre le gouvernement central et les collectivités locales », mis en place le 8 février 2018, prévoit que les transferts financiers de l’État vers les départements varient selon la situation de l’éco­nomie et de la fiscalité locale. Cinq catégories ont ainsi été identifiées : dans la catégorie des provinces « pauvres », l’État supporte 80 % des dépenses de l’assurance maladie, et les provinces 20 %. À l’opposé, dans la catégorie des provinces riches comprenant uniquement Pékin et Shanghai qui sont considérées à la fois comme des villes et des provinces, la dotation de l’État ne représente que 10 % du financement total de l’assurance maladie et les municipalités en financent la quasi-totalité. Ce plan confirme la décentralisation dans le financement et la gestion de la protection sociale de santé.
Les modalités de cotisation et de remboursement de l’assurance maladie se différencient avant tout selon la branche (citadins travailleurs, citadins non travailleurs et ruraux), allant du simple au quadruple en matière de taux de remboursement. Plus précisément, nous avons identifié trois logiques de différenciation : d’abord se manifeste une logique de statut (hukou), c’est-à-dire une segmentation entre zones urbaines et rurales. Ensuite, le montant des cotisations et la générosité du système varient selon la profession et la catégorie socioprofessionnelle. Enfin, les provinces bénéficient d’une grande marge de manœuvre dans la gestion de l’assurance maladie, fixant des règles provinciales quant aux taux de prélèvement et de remboursement, en particulier.

Une régulation de l’offre de soins également décentralisée
En ce qui concerne l’offre de soins en Chine, les ressources ont été concentrées dans le secteur hospitalier au détriment de soins ambulatoires qui s’effectuent notamment en cabinet. Les travaux sociologiques ont montré que le choix du lieu de soin des adultes varie selon leurs caractéristiques sociodémographiques et socio-économiques : plus un patient est jeune, diplômé, avec un revenu élevé, et plus il est probable qu’il se fasse soigner dans de meilleurs hôpitaux. En revanche, les patients âgés, peu diplômés et ayant un revenu relativement bas ont plus tendance à avoir recours aux centres de services sanitaires qui sont consi­dérés comme des hôpitaux de proximité.
Focalisons-nous maintenant sur le secteur hospitalier. L’histoire de ce secteur en Chine est marquée par une nationalisation entre 1949 et 1980, suivie par une lente privatisation depuis les années 1980 avec une accélération dans les années 2010. Dans les dix dernières années, le nombre d’hôpitaux privés a été multiplié par trois et a largement dépassé le nombre d’hôpitaux publics.

« La structure actuelle du système d’assurance maladie chinois est composée de trois piliers : une branche pour les citadins travailleurs, une branche pour les citadins non travailleurs et une branche rurale. »

Comme le financement et la gestion de l’assurance maladie, la régulation publique du secteur hospitalier n’est pas centralisée. Elle est confiée aux administrations de santé à différentes échelles (ministérielle, provinciale et municipale). Ces administrations n’ont pas de rapports hiérar­chiques entre elles : les administrations de santé provinciales et municipales sont respectivement soumises au pouvoir du gouverneur de province et du maire. Les hôpitaux publics sont encadrés par l’une de ces trois échelles de l’administration. Par exemple, un hôpital public provincial est tarifé conjointement par l’administration de santé et l’administration de l’industrie et du commerce de la province, alors qu’un hôpital public municipal est tarifé par les autorités municipales. Pour une même opération, le reste à charge varie ainsi selon la zone territoriale et selon l’hôpital choisi.
En conclusion, après avoir été historiquement géré par l’État central, le système de santé en Chine est aujourd’hui largement décentralisé. Malgré plusieurs décennies de stabilisation, la gestion de ce système, et notamment celle des hôpitaux, a récemment été remise en cause dans la lutte contre la pandémie de covid-19. Il sera donc intéressant de suivre son évolution à l’avenir, à l’ère post-covid.

Jingyue Xing-Bongioanni est sociologue. Elle est chercheure postdoctorale au CNAM. Jun Chu est anthropologue. Elle est doctorante à l'université de Göttingen.

Cause commune n° 22 • mars/avril 2021