Par

par Florian Gulli et Igor Martinache

C’est la petite bête qui monte, qui monte… Cela fait maintenant près de quarante ans et la conquête de la mairie de Dreux par le Front national en 1983 que résonne ce refrain dans l’Hexagone. Non sans raison, car le parti fondé par Jean-Marie Le Pen et repris par sa fille a continué sa progression insidieuse, tant au niveau local que national. La présence de sa candidate au second tour de l’élection présidentielle s’est désormais banalisée, et les manifestations monstres qui avaient suivi celle de Le Pen père un certain 21 avril 2002 apparaissent bien lointaines. Pas moins de quatre-vingt-neuf députés femmes et hommes, portant les couleurs du Rassemblement national ont été élus lors des élections législatives de juin dernier. Lors des municipales de 2020, la formation a non seulement consolidé son emprise sur la plupart des villes conquises en 2014, elle en a remporté six nouvelles, Perpignan en tête. À cela s’ajoute évidemment la percée d’Éric Zemmour. Avec son parti créé ad hoc et douteusement baptisé Reconquête, celui-ci a tenté de doubler le RN par la droite, sans succès pour l’instant dans les urnes – encore que le score de 7,1 % du journaliste réactionnaire soit loin d’être négligeable –, et a réussi à saturer l’espace public avec les thèses les plus nauséabondes, non sans l’appui décisif du milliardaire Vincent Bolloré, décalant ainsi le centre de gravité des débats encore plus à droite. En témoigne la reprise du thème du « grand remplacement » par la candidate de la droite classique, Valérie Pécresse.

« Se méfier de l’illusion nominaliste consistant à croire que le même substantif recouvrerait une réalité homogène. Extrême droite, fascisme, populisme, autoritarisme, réactionnaire, etc. ne sont pas synonymes et peuvent même renvoyer chacun à des situations complexes et diverses. »

Maigre consolation ou, plutôt, motif supplémentaire d’inquiétude, le phénomène n’est ni récent, ni propre à la France. D’une part, l’histoire de l’extrême droite en France est loin de débuter avec le FN et, de l’autre, elle prolifère dans de nombreux autres pays, sous des formes diverses. Elle a pris le pouvoir dans certains, avec des figures comme Donald Trump, Jair Bolsonaro, Viktor Orbán, et désormais Giorgia Meloni en Italie, pour ne citer que ceux-là. Même en Suède, vitrine de la social-démocratie, les bien mal nommés Démocrates de Suède ont accédé au gouvernement lors des récentes élections générales.

Une priorité, le combat contre l’extrême droite
Le combat contre l’extrême droite apparaît comme une priorité, tandis que nombre de nos contemporains semblent s’assoupir devant sa progression lente mais sûre. Et comme tout adversaire, il importe avant toute chose de chercher à le connaître et le comprendre. C’est ce à quoi propose de contribuer le dossier de Cause commune que vous tenez entre les mains. Il nous apparaissait essentiel de se méfier de l’illusion nominaliste consistant à croire que le même substantif recouvrirait une réalité homogène. Extrême droite, fascisme, populisme, autoritarisme, réactionnaire, etc., sont autant de mots lancés comme des anathèmes dans l’espace public mais qui ne sont pas synonymes et peuvent renvoyer chacun à des situations complexes et diverses. La difficulté à nommer l’adversaire est un problème  : l’indice d’une difficulté à comprendre l’adversaire, qui n’est pas sans rapport avec la difficulté à le combattre. Pour le dire vite, les dénominations habituellement mobilisées nous laissent insatisfaits. La catégorie de « populisme » véhicule trop souvent une forme de mépris du populaire et de la démocratie. « Populisme » est solidaire du vieux récit libéral et de sa hantise de la majorité. « Fascisme » semble écraser les différences de contextes. La tendance à comparer la situation actuelle à celle des années 1930 peut certes avoir la vertu de mettre en évidence certains facteurs socio-économiques ou favoriser le réveil des con­sciences et la mobilisation, mais pour autant le contexte est loin d’être le même aujourd’hui que durant cette décennie brune.

« D’une part, l’histoire de l’extrême droite en France est loin de débuter avec le FN et, de l’autre, elle prolifère dans de nombreux autres pays, sous des formes diverses. »

Les grands partis d’extrême droite contemporains ne semblent pas millénaristes, comme le furent les fascismes ; nulle part ils n’adoptent de posture révolutionnaire, ils ne jouent plus la carte de la violence de rue contre les organisations ouvrières, leur ennemi n’est plus l’imminence d’une révolution communiste.
Pour toutes ces raisons, le terme d’extrême droite semblait encore le meilleur. Reste alors à comprendre la nature de ce discours et les raisons de son succès, notamment dans les milieux populaires.

Florian Gulli et Igor Martinache sont membres du comité de rédaction de Cause commune.
Ils ont coordonné ce dossier.

Cause commune n° 31 • novembre/décembre 2022