Malgré les nombreuses tentatives de déstabilisation, soutenues par les États-Unis et la droite, le peuple bolivien a réussi à reconquérir le pouvoir démocratiquement. Le processus de changement vers le socialisme, le progrès social et la démocratie s’est à nouveau enclenché avec force en 2020.
La longue et terrible nuit néolibérale, imposée à feu et à sang depuis trois décennies contre l’Amérique latine depuis la dictature de Pinochet au Chili, a frappé de plein fouet la Bolivie, deuxième pays le plus pauvre de la région. En 2000, l’une des pires années néolibérales de la région, la pauvreté et l’extrême pauvreté en Bolivie étaient respectivement de 66,4 % et 45,2 %. La dette publique, qui avait augmenté de façon exponentielle, représentait encore en 2005 73 % du PIB national, qui s’élevait alors à 9 574 millions de dollars, l’un des plus bas de la région.
Les niveaux d’exclusion sociale étaient effrayants et touchaient principalement la majorité indigène. La politique était dominée par une frénésie de privatisation, accompagnée d’une austérité sévère qui désespérait les ouvriers et les paysans. En 2004, un mineur qui demandait le remboursement des cotisations versées pour sa retraite – parce que la réforme du gouvernement Sánchez de Lozada avait laissé des milliers de travailleurs sans retraite –, s’est fait exploser à la dynamite au sein du Congrès. Des réformes néolibérales antérieures à l’élection d’Evo Morales à la présidence en 2005 – nous n’en citerons ici que trois exemples – ont été imposées avec la répression étatique maximale.
« Malgré les difficultés, la résistance du peuple – en particulier des femmes – a contraint la présidente à organiser, à contrecœur, des élections en octobre 2020. C’est le candidat du MAS-IPSP, Luis Arce, qui a été le vainqueur. »
En février 2000, dans le cadre d’un programme promu par la Banque mondiale, Hugo Banzer, président de la Bolivie, signe un contrat avec Bechtel et un conglomérat multinational pour privatiser l’eau, ce qui entraîne une augmentation des tarifs allant jusqu’à 300 %. Les protestations généralisées qui ont suivi ont été réprimées sans pareil, après que la loi martiale a été déclarée avec des centaines d’arrestations et de mises en détention. Cela a provoqué une crise qui a conduit à l’effondrement de l’économie nationale, forçant l’invalidation du contrat. Ce qui a été appelé la « guerre de l’eau » a été gagnée par le peuple. Cet épisode misérable a été magistralement capturé dans le film d’Icíar Bollaín, Même la pluie (2010), dont le titre évoque le fait que même la collecte des eaux de pluie avait été interdite par décret.
La « guerre du gaz » (2003) fut une autre bataille du peuple bolivien contre les politiques néolibérales. Sánchez de Lozada décide d’exporter du gaz naturel vers le Chili, ignorant la demande populaire d’approvisionnement du marché intérieur. À cette époque, le mouvement populaire réclamait la nationalisation des hydrocarbures, puisque les plans d’exportation bénéficiaient à des multinationales telles que British Petroleum, Repsol et Total, dont l’État bolivien recevait à peine 18 % du total. Le gouvernement militarise la répression contre l’opposition populaire, ce qui entraîne la mort par balles de plus de soixante personnes, la plupart à El Alto, un événement tragique connu sous le nom de « massacre d’octobre ». La pression sociale oblige Sánchez de Lozada à fuir ignominieusement le pays, laissant le vice-président Carlos Mesa aux commandes.
Comme excuse plausible pour installer son appareil militaire dans d’autres pays, le président George Bush père avait renforcé, dans les années 1990, la guerre contre la drogue. La Bolivie, le Pérou et la Colombie sont les principaux producteurs de feuille de coca, matière première pour produire de la cocaïne. Les États-Unis, par le biais de la Drug Enforcement Administration (DEA), ont militarisé des programmes d’éradication de la coca, qui ont conduit à l’emprisonnement de nombreux producteurs de coca, à des violations persistantes des droits de l’homme et au harcèlement quotidien des cultivateurs et des dirigeants des syndicats. L’éradication pure et simple de la feuille de coca, que les Boliviens cultivent depuis des siècles, laisserait les cultivateurs de coca et leurs familles sans soutien économique. C’est pour cela que le mouvement syndical des cultivateurs de coca, né de cette lutte et partant de la revendication de leur droit à cultiver des feuilles de coca, s’est rapidement transformé
en une défense de la dignité nationale souillée par la présence de troupes et de bases militaires yankees.
« La droite et l’impérialisme réussissent en 2019 à renverser Evo Morales, après le rôle méprisable joué par Luis Almagro, secrétaire général de l’Organisation des États américains, qui a publié un faux rapport sur le résultat électoral, suggérant une fraude électorale. »
La nécessité politique de défendre la souveraineté nationale a conduit au développement du Mouvement vers le socialisme (MAS), fondé en 1997, un parti qui mobilise les paysans, les ouvriers et les pauvres de la ville, rassemblant non seulement les classes laborieuses mais l’ensemble de la nation envahie par l’impérialisme yankee. à l’élection présidentielle de 2002, Evo Morales, porte-drapeau du MAS, a obtenu la deuxième place.
Evo Morales a joué un rôle politique de premier plan dans les guerres du gaz et de l’eau et a été président du syndicat des cocaleros. Ce sont ces trois décennies de lutte du peuple bolivien qui ont créé les conditions de son élection comme premier président indigène de Bolivie en 2005 avec 54 % des voix. La droite n’a jamais accepté le verdict démocratique du peuple bolivien.
Création de l’État plurinational
Les niveaux de violence raciste promus par la droite bolivienne ont atteint un sommet en septembre 2008, lorsqu’elle a lancé un coup d’État national, dirigé et financé depuis Washington par l’intermédiaire de son ambassadeur, Philip Goldberg, qui a tenté de diviser le pays en deux, en créant une nouvelle nation à partir de ce qui était connu sous le nom de Media Luna (départements de Santa Cruz, Beni, Pando et Tarija), exactement là où se trouvent les principaux gisements d’hydrocarbures du pays. Philip Goldberg avait déjà joué un rôle central dans la destruction de la Yougoslavie dans les années 1990, d’où sa nomination comme ambassadeur en Bolivie.
Les organisateurs espéraient renverser le gouvernement d’Evo Morales, qui a également dénoncé une tentative d’assassinat contre le président. La violence déchaînée était telle qu’à cette époque il y avait plusieurs villes dans lesquelles le président lui-même ne pouvait pas se rendre en raison des affrontements racistes. Des voyous armés parcouraient les rues de diverses villes, agressant toute personne d’apparence indigène, en particulier les femmes. Sans la position déterminée adoptée par l’Union des nations sud-américaines (UNASUR, douze nations), il est probable que la partition de la Bolivie et le renversement d’Evo Morales se seraient produits.
« En 1997 est créé le Mouvement vers le socialisme (MAS), un parti qui mobilise les paysans, les ouvriers et les pauvres de la ville, rassemblant l’ensemble de la nation envahie par l’impérialisme yankee. »
C’est en 2009 que le Mouvement vers le socialisme-instrument politique des peuples (MAS-IPSP), jouissant de la présidence et de la majorité parlementaire, a réussi à approuver la Constitution qui créa l’État plurinational de Bolivie, qui entama un processus très progressif de décolonisation de la nation. Le principe éthicojuridique qui sous-tend la nouvelle charte constitutionnelle stipule que les luttes de classes et les luttes nationales ont permis de créer un « État fondé sur le respect et l’égalité entre tous, avec des principes de souveraineté, de dignité, de complémentarité, de solidarité, d’harmonie et d’équité dans la distribution et redistribution du produit social, où la recherche du bien-vivre prédomine ; au regard de la pluralité économique, sociale, juridique, politique et culturelle des habitants de ce territoire ; dans la coexistence collective avec accès à l’eau, au travail, à l’éducation, à la santé et au logement pour tous ». Depuis, trente-sept langues officielles ont été reconnues, dont l’espagnol.
« En 2009 le MAS-IPSP, jouissant de la présidence et de la majorité parlementaire, a réussi à approuver la Constitution qui créa l’État plurinational de Bolivie, qui entama un processus très progressif de décolonisation de la nation. »
La transformation de la Bolivie, qui bat son plein, a mis en œuvre des conquêtes et des réalisations sans précédent, si l’on prend en compte les deux cents ans d’existence constitutionnelle du pays, sans même parler des cinq cents ans écoulés depuis sa « découverte » et sa colonisation. Dans l’espace réduit de cet article, nous ne pouvons citer que les plus importantes de ces réalisations, mettant en évidence la restauration de la dignité de la majorité indigène, car l’égalité identitaire va bien au-delà d’un simple enjeu économique.
« Ce sont trois décennies de lutte du peuple bolivien qui ont créé les conditions de l’élection d’Evo Morales comme premier président indigène de Bolivie en 2005 avec 54 % des voix. »
La pauvreté et l’extrême pauvreté ont été réduites de 66,4 % et 45,2 %, en 2000, à 34,6 % et 15,2 %, respectivement, en 2018 ; les hydrocarbures ont été nationalisés fournissant les ressources qui financent les politiques sociales ; plus de 50 % des Boliviens reçoivent des prestations et un soutien de l’État (personnes âgées, femmes enceintes, étudiants et bien d’autres) ; le latifundium a été liquidé ; les télécommunications nationalisées ; le pays est libre de toute ingérence étrangère (la DEA, la CIA, l’Agence des États-Unis pour le développement international [USAID], l’ambassadeur Goldberg ont été expulsés et il n’y a plus de présence militaire américaine) ; la santé et l’éducation sont devenues universelles et gratuites (Morales a créé trois universités indigènes, dont une dans les bâtiments d’une ancienne base militaire américaine) ; l’analphabétisme a été éradiqué ; un programme de logement populaire a été lancé ; les investissements publics ont atteint un record ; la dette publique a été réduite à 33 % du PIB ; le chômage a connu une baisse drastique ; le salaire minimum est passé de 440 à 2 050 Bs en 2018 ; et bien plus encore, le tout basé sur un taux de croissance moyen de 5 %.
Déstabilisation et coups d’État
Les États-Unis et la droite bolivienne n’ont jamais cessé leurs tentatives de déstabilisation pour renverser le gouvernement du MAS-IPSP, objectif qu’ils atteignent en novembre 2019. La droite et l’impérialisme réussissent alors leur objectif tant attendu de renverser Evo Morales, après le rôle méprisable joué par Luis Almagro, secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA), qui a publié un faux rapport sur le résultat électoral, suggérant une fraude électorale.
Comme cela était évidemment prévu, le coup d’État s’est produit au plus fort d’une vague de violence raciste, accompagnée de la prise en otage de familles de ministres pour les forcer à démissionner, ainsi que d’agressions contre tout ce qui semblait – même de loin – indigène, en particulier les femmes en pollera (jupe caractéristique des femmes indigènes des hauts plateaux boliviens). Le gouvernement qui a pris le pouvoir a eu la complicité de l’Union européenne, qui a soutenu la présidente de facto, Jeanine Añez, reconnue présidente de l’État plurinational – poste qu’elle a occupé pendant onze mois fatidiques.
Pendant le régime dictatorial de Jeanine Añez, les organisations sociales ont été persécutées, les militants du MAS-IPSP et ses dirigeants ont été criminalisés, la corruption s’est débridée et les droits de l’homme ont été systématiquement violés. Une répression cruelle a été déchaînée par les forces militaires et policières dans le cadre de l’état de siège, accompagnée par des arrestations illégales, des blessés, des torturés et des dizaines de morts dans des massacres où au moins trente-sept civils ont été exécutés. Un rôle notable a été joué par des groupes paramilitaires qui ont semé la terreur en attaquant la population et en particulier les indigènes. Malgré les difficultés, la résistance du peuple – en particulier des femmes qui, à travers leurs organisations, ont joué un rôle de premier plan – a contraint Añez et compagnie à organiser, à contrecœur, des élections en octobre 2020. C’est le candidat du MAS-IPSP, Luis Arce, qui a été le vainqueur.
Rétablissement de la démocratie
Luis Arce a triomphé avec 55 % du vote populaire, suivi d’une formidable performance aux élections régionales et municipales (7 mars 2021) au cours desquelles le MAS-IPSP a remporté 240 des 339 municipalités. Le MAS-IPSP est le parti le plus soutenu dans l’État plurinational, depuis 2005. Ainsi, non seulement la droite a été vaincue par un puissant mouvement social et politique, mais la démocratie a été rétablie, l’activité économique a été restaurée (avec un taux de croissance supérieur à 5 %), le chômage a considérablement baissé, les peuples ont retrouvé leur statut social, économique, culturel et politique. La corruption est vigoureusement combattue et la justice pour les victimes du coup d’État avance. Jeanine Añez est en ce moment même jugée pour les délits qu’elle a commis en s’autoproclamant présidente. De plus, des mesures sanitaires ont été prises pour protéger la population de la covid-19 avec des niveaux de vaccination impressionnants, applaudis par l’OMS. Plus important encore, le processus de changement vers le socialisme, le progrès social et la démocratie a vigoureusement redémarré.
La droite ne cesse pas ses tentatives désespérées de déstabilisation et de coups d’État, dans une campagne grossière de mensonges et des tentatives d’émeutes violentes, mais elle a trouvé face à elle une résistance et une opposition acharnées du peuple, mobilisé pour défendre le rétablissement de la démocratie. En novembre 2021, par exemple, une marche pour la démocratie, la patrie et la dignité a eu lieu, qui a dépassé le million de personnes, dirigée par le président Luis Arce, le vice-président David Choquehuanca et Evo Morales. Luis Arce a saisi l’esprit de la mobilisation : « Plus jamais il n’y aura de coup d’État ».
Francisco Dominguez est responsable du centre de recherches sur le Brésil et l’Amérique latine à l’université du Middlesex à Londres.
Texte traduit par Yaneth Ramos.
Cause commune • été 2022