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La conscience de la multiplication et de l’imbrication des facteurs et des contradictions est déterminante pour délégitimer la fatalité de la guerre.
Par Daniel Cirera

Un monde dangereux
L’abondance d’images de violence, au quotidien, comme la banalisation du mot guerre dans l’espace public nous immergent dans une vision d’un monde dangereux. Il l’est quand on pense aux grands défis posés à l’humanité. Il l’est face aux risques réels d’embrasement au Moyen-Orient, les conflits en Afrique et leurs conséquences dans l’espace européen, les risques d’une nouvelle course aux armements, la montée de tensions militaires dans l’est de l’Europe, en Asie, en Amérique latine. Pourtant une vision unilatérale porte le risque d’alimenter le fatalisme, si sont occultés les efforts, y compris des États, les mouvements populaires et les mobilisations pour trouver et apporter des solutions solidaires et pacifiques. Les contradictions générées par l’émergence de pôles de puissance, et par la mondialisation, bouleversent la donne internationale : la contestation de l’hégémonie « occidentale » est facteur de tensions, et en même temps elle est partie de leur solution. Une vision statique induit aussi le risque d’occulter que ces risques, ces menaces qui rendent le monde et le moment que nous vivons, dangereux, sont le résultat de choix et de décisions.

« Une vision unilatérale porte le risque d’alimenter le fatalisme, si sont occultés les efforts, y compris des États, les mouvements populaires et les mobilisations pour trouver et apporter des solutions solidaires et pacifiques. »

L’aiguisement des tensions avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, sa rhétorique et ses gesticulations guerrières offrent l’exemple-même de la dimension politique des décisions. Pour redonner à l’Amérique sa grandeur – qui donc est affaiblie ! – sur le plan international, et tout autant pour des raisons de politique intérieure. Le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien rompt avec l’engagement de l’administration Obama et les efforts des États européens, quoi que l’on pense globalement de leurs politiques. La remarque vaut pour le retrait de la COP sur le climat. En Colombie, l’élection d’un nouveau président opposé aux accords de paix menace le processus de solution politique. On pourrait multiplier les exemples.

Comment faire face aux crises ?
On l’a compris : la question ne porte pas sur la réalité des crises mais sur la manière d’y faire face. Concrètement la question est posée aux Européens du choix de la confrontation ou de liens nouveaux avec l’Orient – dans toutes ses dimensions – dans l’ensemble méditerranéen. Les réponses définissent et déterminent une contribution, ou non, à des relations confiantes et apaisées. La priorité donnée à la militarisation, au renforcement d’un bloc « occidental », à l’augmentation des dépenses militaires – dans un contexte de rigueur budgétaire ! – loin de résoudre les problèmes, ajoute du chaos aux incertitudes. La question nous est directement posée avec Emmanuel Macron, faisant de la défense européenne le cœur de la « renaissance » du projet commun.

« Quels enseignements tirons-nous, du fait que l’exaltation de la paix, comme possible, comme état normal et durable de la vie en société est au cœur des grandes luttes d’émancipation ? »

Encore plus radicalement, la dimension politique et idéologique de la confrontation sur les conditions de la paix devient manifeste quand on les met en regard avec les fondements du discours populiste d’extrême droite, jusqu’à ses racines fascisantes. Un discours fondé sur la manipulation des peurs et des ressentiments. Un discours nourri de l’exaltation de l’identité « supérieure » contre « l’autre ». « L’autre » identifié à une menace. Une menace, donc un ennemi. La cohérence de ce socle idéologique fait une politique quand convergent ou se superposent discours et pratiques bellicistes. Il exalte le culte de la force et son primat sur le droit et la démocratie. Il trouve son terrain dans l’exaltation nationaliste et xénophobe, jusqu’à la violence physique.

Pouvons-nous penser la paix, comme « déconstruction de la guerre » – comme réalité et comme « évidence » – et indissociablement comme la conséquence et la base de la construction des réponses aux défis de la période ? Quels enseignements tirons-nous, pour nous, du fait que l’exaltation de la paix, comme possible, comme état normal et durable de la vie en société est au cœur des grandes luttes d’émancipation ? Au cœur des « utopies ». Un des premiers décrets de la Constituante en 1790 fut la déclaration de la paix au monde par la Révolution française. Qu’on songe aux grandes idées de l’humanisme de la Renaissance, d’un Érasme ou d’un Rabelais – dans des périodes de guerres permanentes. Qu’on songe aux idées émancipatrices des Lumières, au « Projet de paix perpétuelle » d’Emmanuel Kant en 1795. Qu’on ait en tête l’affirmation fondatrice du mouvement ouvrier, du « socialisme » comme « internationalisme », solidarité entre les peuples, opposition au nationalisme, identifiant libération humaine et solidarité. Aujour­d’hui, l’ampleur de la mobilisation contre le changement climatique, pour la préservation de la vie est nourrie du désir d’un monde en paix. Il s’agit, dès lors, de penser la paix non pas comme un état stable et sans conflits, mais comme une tension entre des choix. Une tension permanente entre conceptions du monde. Entre possibles. En ce sens l’affirmation du primat de la politique sur la force, comme condition de la paix est un des fondements de l’action transformatrice, dans l’action et dans la confrontation des idées. Elle a donc à voir avec le communisme. Ici et maintenant.

Daniel Cirera est secrétaire général du conseil scientifique de la fondation Gabriel-Péri.

Cause commune n° 12 • juillet/août 2019