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Concilier l’apprentissage du français et l’insertion professionnelle constitue un véritable parcours du combattant.

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Lorsqu’un migrant arrive en France, un de ses premiers objectifs est de pouvoir trouver un travail pour subvenir aux besoins sa famille, celui d’un enfant de pouvoir aller à l’école. Après avoir traversé plusieurs pays, affronté le parcours administratif sinueux à l’arrivée, il lui est parfois possible d’obtenir le statut officiel de travailleur mais à la condition de correspondre aux besoins de l’économie française. L’étude du ministère de l’Intérieur (2013) intitulée La politique migratoire pour répondre aux besoins en main-d’œuvre présente l’orientation de la politique française d’immigration qui a pour priorité de faire correspondre les migrations professionnelles aux besoins de l’économie française en présentant deux listes « la liste 150 et la liste 30 », faisant état des métiers qui obtiendront une demande de visa prioritaire. Ces listes varieront en fonction des régions et des besoins
économiques de celles-ci. De ce fait, les deman­deurs d’asile et les migrants n’ont pas d’autre choix que de correspondre à une liste préétablie par l’État, et ils s’y plient pour montrer leur bonne foi et leur volonté de rester. Quant aux mineurs isolés, protégés jusqu’à leur majorité, on cherche à les intégrer dans des formations professionnalisantes correspondant à ces métiers plutôt que de les inscrire à l’université.

« Les associations et l’État prennent conscience qu’en plus d’avoir déjà des acquis, les migrants sont parfois bien plus qualifiés et qu’ils pourraient intégrer une sphère professionnelle. »

La langue, accès prioritaire à la culture d’un pays
Mais avant de pouvoir accéder à ce graal, la route est longue et elle passe par la maîtrise évidente de la langue française. Renaud Sainsaulieu, sociologue, qualifie la parole au travail de moyen de multiples phénomènes d’influence et de rapprochement affectif. Et pour cause ! La langue est un accès a priori logique et prioritaire à la culture d’un pays. Dans le milieu du travail, les codes culturels passent systématiquement par la langue : compréhension des consignes de travail, explications et justifications des tâches, lectures de protocoles et même conversations informelles entre employés. En somme, si un travailleur migrant ne comprend pas ces consignes et ce qui lui est demandé, il commet des erreurs et, de fait, a de fortes chances d’être rejeté de sa sphère principale de socialisation. S’il n’est pas immédiatement licencié, il sera relégué aux tâches les plus ingrates pour lui faire comprendre explicitement que son défaut de maîtrise de la langue française le met à l’écart, rappelant son statut de migrant et l’impossibilité d’évoluer vers un autre domaine professionnel. Une logique qui semble être dénaturée par certains centres de langues mais un élément bien compris par les défenseurs de la clause Molière en 2016, fort heureusement abrogée avant même sa mise en application. Sous couvert de protéger les ouvriers et de soutenir l’emploi local, les rédacteurs de cette clause ont cherché à rendre indispensable la langue française sur les chantiers afin de pouvoir répertorier de manière cachée les travailleurs migrants qui n’auraient pas une situation déclarée. Mais trouver un travail non déclaré ou attendre d’avoir des cours de français, tel est souvent le dilemme.

« On observe une incohérence entre les niveaux de langue établis par le contrat d’intégration républicaine (CIR) et les besoins humains de ces travailleurs, qui constitue un nouveau frein à leur insertion en France. »

Qualité de l’enseignement et insertion professionnelle
Dans les formations en français délivrées par les organismes agrémentés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), on observe une amélioration de la qualité de l’enseignement et un souci de l’insertion professionnelle. Le cliché du migrant ne sachant ni lire ni écrire et devant être intégré dans des formations réservées aux personnes en situation d’illettrisme ou apprenant l’alphabet sur des imagiers d’enfants avant de pouvoir trouver un travail a fait son temps. On pense désormais à leur apprendre le français pour trouver un travail. Les associations et l’État prennent conscience qu’en plus d’avoir déjà des acquis, les migrants sont parfois bien plus qualifiés et qu’ils pourraient intégrer une sphère professionnelle. Pour répondre à cela, les formations en français ont intégré des modules permettant aux étrangers d’acquérir certains codes professionnels. On peut obtenir la carte de résident à partir du niveau A2 (niveau débutant avancé) mais l’accès aux formations ou aux titres de qualification ne sont possibles qu’à partir du niveau B1 (intermédiaire, troisième niveau). On calcule qu’il faudrait environ entre trois cents et quatre cents heures pour obtenir les deux niveaux précédents, et encore cela dépend évidemment des capacités de chacun. Trois cents heures lorsque l’on est dans une situation d’urgence, le temps paraît bien long. Même si l’on ne doute pas de la motivation des travailleurs migrants à apprendre la langue française rapidement, cela signifie donc qu’il faudrait entre six mois et une année supplémentaire. On observe donc une incohérence entre les niveaux de langue établis par le contrat d’intégration républicaine (CIR) et les besoins humains de ces travailleurs, qui constitue un nouveau frein à leur insertion en France. Ne faudrait-il pas aller vers une convergence des formations linguistiques et des formations professionnelles afin d’intégrer un métier de manière plus rapide tout en sortant des niveaux officiels ?

Laura Isnard est enseignante de français langue étrangère.

Cause commune n° 10 • mars/avril 2019