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À l’exemple du Conseil de Paris, réagir à l’emprise des publicités qui propagent des idées malsaines et influent négativement les modes de consommation est impératif.

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Lorsque Rosalia chante dans la chanson « America » de West Side Story « I’ll have my own washing machine / Je l’aurai ma propre machine à laver » notre premier réflexe est de penser à cette libération qu’ont représenté les électroménagers pour le quotidien non pas des familles, mais des femmes, assignées à des tâches ménagères physiquement éreintantes à l’instar du lavage à la main du linge familial. Les publicités de cette époque ont été l’écho de ce sentiment de libération : des femmes épanouies aux visages souriants, en somme : la représentation du bonheur comme les publicitaires savent le vendre. Les publicités mettant en scène la ménagère, la femme au foyer, sont des lieux communs, font presque partie du patrimoine immatériel commun dans un esprit nostalgique difficile à contester. Mais les revendications politiques elles aussi ont évolué. Posséder une machine à laver n’est plus une libération pour les femmes. Ne plus en être la seule usagère en est une. La publicité, elle, n’a pas suivi ou ne fait que commencer à suivre, par balbutiement, à la fois cette revendication de libération des produits assignés aux femmes, cette exigence de libération des stéréotypes physiques imposés et cette prise de conscience d’un nécessaire changement de mode de consommation, actuellement représenté de façon uniforme.

Pourquoi combattre les publicités sexistes ?
En moyenne, chaque individu voit plusieurs centaines de publicités par jour. Il s’agit là d’une réelle pollution visuelle qui est lourde de conséquences. 77 % des français-es pensent qu’il y a « autant » ou « plus » de stéréotypes sexistes qu’avant, et réclament d’avantage d’efforts, notamment des entreprises : 79 % de répondants pensent que « les entreprises devraient s’attacher à ne pas véhiculer des stéréotypes sexistes à travers leurs campagnes », et même 44 % jugent que « les entreprises devraient être sanctionnées ». Les publicités, de par leur présence massive dans l’espace public, contribuent chaque jour à forger nos représentations. Ces représentations forgent à leur tour notre vision du monde, de la société et de nous-mêmes. Elles sont un élément fondamental de notre construction en tant qu’individu, de notre imaginaire collectif. Ce sont des images que chacun subit au quotidien, sans avoir choisi de s’y soumettre et sans aucun moyen d’en réchapper.. Les injonctions surviennent, s’imposent et marquent nos esprits. Elles ont ainsi un rôle idéologique puissant. Les publicités, les images représentées sont une production sociale qui façonne le réel autant qu’elle le reproduit. Elles sont tout à la fois reflet et relais de l’idéologie dominante.

Des violences véhiculées par les publicités
Le sexisme véhiculé par les publicités participe au continuum des violences faites aux femmes et les conséquences en sont dramatiques : une femme tuée tous les deux jours et demi en France par son compagnon ou ex-compagnon, soit au moins 119 femmes tuées en 2016. Réduire les femmes à un corps (retouché), à des tâches domestiques (peu valorisées) ou à un genre (méprisé) – participe à entretenir le sexisme ordinaire. La représentation du corps féminin ou en tant qu’objet décoratif ou comme objet de désir insiste sur une réalité que nous combattons chaque jour, celle qui consiste à faire des femmes des objets, des marchandises. Cette banalisation de ces violences, cette normalisation de l’ordre social existant n’est plus acceptable car ce réel n’est lui-même plus acceptable.

« Les publicités sont tout à la fois reflet et relai de l’idéologie dominante. »

Les professionnels se disent conscients de cet enjeu de transformation des représentations publicitaires. En témoi­gne l’article 4 du Code de la Chambre de commerce internationale sur les pratiques de publicité et de communication de marketing qui préconise que « la publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence », « la publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet ». Rappelons également l’avis n°2015-04616-VIO-16 du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, publié le 16 avril 2015 qui recommande de « s’engager au respect d’une charte luttant contre le sexisme et les stéréotypes de sexe dans les publicités diffusées ».
En 2017, Les Échos se faisait le relais de l’étude Portraits de femmes de Kantar, publiée à l’occasion des Rencontres de l’UDECAM (Union des entreprises de conseil et achat media) : « Une consommatrice de plus en plus mature, mais aussi exigeante, voire méfiante, et toujours plus prescriptrice dans les achats… Cette tendance de fond que vient confirmer l’étude impose naturellement aux marques d’en finir avec les stéréotypes féminins. »
Pourtant chaque jour, l’espace public est victime d’une campagne de publicités sexistes. Prenons l’exemple médiatique de l’enseigne Yves Saint-Laurent qui affichait des femmes dénudées, soumises, aux corps extrêmement maigres, toujours plus déformés par la retouche photo, le tout dans des positions dégradantes. Nombre de femmes s’en étaient émues, étaient choquées. Mais combien d’autres avant elle ? Accord Hôtel Arena, Bagelstein, Depil’ Tech, le sexisme s’affiche et les images stéréotypées s’accumulent. Chaque année, de plus en plus de plaintes sont déposées devant le Jury de déontologie publicitaire.

Publicité et santé publique
La publicité a aussi une responsabilité en matière de santé publique. En 2008, la ministre de la Santé a reconnu que les images de mannequins très maigres jouent un rôle dans le développement des troubles alimentaires chez les adolescentes, ce qui a conduit l’Assemblée nationale a adopté un texte de loi visant à lutter contre la maigreur des mannequins, obligeant de faire apparaître la mention « photographie retouchée » quand leur apparence corporelle est modifiée, quand le corps est littéralement atrophié.
Les jeunes subissent de plein fouet les diktats d’idéaux et de beauté irréalistes. Une récente étude a par exemple montré qu’alors que le surpoids et l’obésité sont stables chez les jeunes français, le nombre de jeunes considérés comme maigres a augmenté, passant de 8 % à 13 % sur la période 2006-2015. Une hausse alarmante qui touche en premier lieu les filles de 11 ans à 14 ans. L’« injonction à la maigreur » ou le « jugement sur l’apparence physique » sont des réalités. C’est ainsi que l’on incite des générations de femmes à débuter les régimes dès l’âge de 9 ans en moyenne.
Les produits minceur, les magazines qui offrent des régimes miracle, les conseils beauté, les offres sur les vêtements de sport, il existe une large gamme de fabricants qui font fortune sur la promotion de la minceur et de la maigreur. Ces mêmes produits qui, par un cercle vicieux, conduisent à dérégler l’alimentation des femmes par des régimes ponctuels successifs néfastes, leur faisant à terme, prendre du poids ou avoir des problèmes de santé.

Invisibilité des femmes noires
Les clichés et stéréotypes de femme au foyer, femme mère et femme objet sont communs à toutes les femmes. Mais les femmes noires sont, elles, ou absentes des représentations ou blanchies, cheveux lissés. L’invisibilité des femmes noires est telle qu’elles finissent par être mises en avant uniquement pour leur couleur de peau. C’est ce qui a conduit seize personnalités du cinéma à signer l’essai Noire n’est pas mon métier porté par Aïssa Maïga, qui éveille les cons­ciences sur la sous-représentation des femmes de couleur au cinéma. Le pourcentage de couvertures présentant un mannequin non-blanc en 2017 était de 31,3 %, en hausse par rapport à l’année 2015 (19,8 %) mais en baisse de 4 % par rapport à 2016.
Pour changer notre avenir sur le long terme et sur tout le territoire français, nous demandons l’élaboration d’un cadre législatif de lutte contre les publicités sexistes. C’est possible, puisqu’en ce qui concerne les publicités audiovisuelles, cela a été fait avec la loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes

Un enjeu européen et international
L’Avis du Comité économique et social européen Un Cadre pour la publicité destinée aux jeunes et aux enfants souligne « qu’une partie considérable de la publicité a un caractère sexiste et sexuel et utilise les femmes comme objet de désir, souvent dans des situations d’infériorité ou de servilité, voire en la montrant violentée », révèle l’enjeu européen autour de ces publicités sexistes et injonctions.

« L’obésité est une maladie du capitalisme mondialisé, les discriminations et les rejets des victimes en sont de plus une des attaques les plus généralisées contre le “vivre ensemble“.»

Selon les études de l’Organisation internationale du travail mais également du Défenseur des droits dans son 9e baromètre, la première discrimination dans l’accès à l’emploi est la question de l’âge (personnes considérées comme trop jeunes ou trop âgées) et la deuxième est celle du critère de l’apparence physique, et donc en grande partie celle du surpoids. Sans surprise la carte du surpoids est quasiment celle du chômage. C’est avant tout une discrimination massive, et un enjeu de classe. De fait, c’est une des rares discriminations encore tolérée en France. Elle concerne plus particulièrement les femmes, qui sont les plus stigmatisées. L’OMS parle d’épidémie mondiale. L’obésité est une maladie du capitalisme mondialisé, les discriminations et les rejets des victimes en sont de plus une des attaques les plus généralisées contre le « vivre ensemble ».

« Les publicités, les images représentées sont une production sociale qui façonne le réel autant qu’elle le reproduit. »

Succès des campagnes de honte
Les succès des campagnes de lutte contre les publicités sexistes sont un très bon signe quand on constate que les annonceurs finissent par céder devant la honte portée sur leur marque et par retirer leurs affiches.
L’art s’imprègne de plus en plus de cette thématique et offre des perspectives de résistance. Pour n’en citer qu’une, le travail d’une jeune artiste britannico-américaine d’origine nigériane Danielle Dean, interroge la représentation des femmes, notamment des femmes noires, dans les publicités d’articles ménagers du XXe siècle. Elle réalise ainsi en 2018 une vidéo et une installation « Bazar ». Danielle Dean s’est immergée dans les archives du BHV et des Galeries Lafayette. Elle a travaillé sur tous les catalogues du groupe de vente par correspondance du XXe siècle. L’artiste a sélectionné des articles ménagers (moulins à café, machines à laver, mobilier de jardin, tentes de camping…) associés à la construction de la vie d’une famille française « typique » tout au long du XXe siècle. Elle cherche à déconstruire les rôles de genre assignés par ces objets ainsi que les représentations de classe ou de race. Il est donc urgent et possible qu’actrices et acteurs – politiques, publicitaires, afficheurs, collectivités locales – se mobilisent pour montrer l’exemple en s’engageant publiquement, symboliquement, et en première ligne si besoin, dans le combat contre les publicités sexistes. C’est la garantie de marquer un véritable tournant dans les représentations des femmes dans l’espace public, un progrès de société qui passe par des représentations à égalité des femmes et des hommes. L’absence totale d’action du gouvernement pourtant engagé officiellement dans une Grande cause nationale contre les violences faites aux femmes est saisissante.

Hélène Bidard est adjointe PCF à la mairie de Paris.
Shirley Wirden est membre de l’exécutif de la fédération de Paris du PCF.

 


Pour un Paris sans publicité sexiste

« Nous, Ville de Paris, hommes et femmes annonceurs, professionnels de la communication et de la publicité, associations, nous engageons ce jour à veiller à ne pas créer, diffuser, soutenir, toute publicité utilisant des stéréotypes sexistes, lesbophobes, homophobes et des représentations dégradantes, dévalorisantes, déshumanisantes et vexatoires des femmes et des hommes et des rapports entre eux. Nous veillerons de même à ne pas créer, diffuser, soutenir, toute publicité cautionnant toute forme de discrimination fondée sur l’origine ethnique, l’origine nationale, la religion, le sexe ou l’âge ou portant atteinte à la dignité humaine. Nous nous constituons en groupe de travail avec pour objectif d’établir une charte commune d’engagement, dans le prolongement de cette déclaration. »
Telle est la déclaration commune à laquelle ont abouti les parties prenantes du colloque « Pour un Paris sans pub sexiste » organisé en juin 2018 par la ville de Paris, dans la continuité de la modification inédite apportée à la convention de la ville passée avec son concessionnaire en mars 2017, qui instaurait l’interdiction des publicités dégradantes, portant atteinte à la dignité humaine. Cet amendement, porté par le groupe communiste au Conseil de Paris, a fait le tour du monde de la presse.

Cause commune n° 7 - septembre/octobre 2018