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La question chypriote fait rarement la une des médias en France et pourtant le peuple chypriote se trouve au carrefour de batailles majeures qui influencent l’ensemble de l’Europe et de la Méditerranée orientale.

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Les derniers développements de la situation de l’île, qui couvre un territoire restreint de 9 200 km2, sont les plus graves et les plus inquiétants depuis l’invasion et l’occupation du nord de l’île par l’armée turque en 1974.
Un nœud de questions lourdes et non réglées, associées à la politique d’agression menée par le président turc Erdogan, rend la situation très dangereuse. Récapitulons-les en quelques mots : les négociations sur la question chypriote sont bloquées depuis l’échec des négociations à Crans-Montana (Suisse) en 2017. Le tiers nord-est de l’île est toujours occupé par la Turquie. L’ONU a un mandat d’interposition et une zone tampon qui couvre 3% du territoire de l’île. À cela s’ajoutent :
• la position stratégique de l’île, sur laquelle se superposent les tensions inter-impérialistes et les concurrences militarisées sur l’exploitation des gisements de gaz dans la zone économique exclusive du pays ;
• la présence de bases militaires britanniques d’Akrotiri et de Dhekelia, héritières du colonialisme, qui appartiennent en pleine souveraineté au Royaume-Uni, dont l’utilisation par les armées de l’OTAN est renforcée depuis les interventions au Moyen-Orient, et qui trouvent une place nouvelle dans la réorganisation de la politique interventionniste britannique au-delà du canal de Suez depuis le Brexit ;
• la politique néolibérale d’austérité, la corruption quasi institutionnalisée et la gestion autoritaire de la crise économique, sociale et sanitaire par le gouvernement conservateur et le président Níkos Anastasiádis. Ce dernier vient d’ailleurs d’attaquer à nouveau les droits sociaux et démocratiques du peuple chypriote en abolissant le gel des saisies immobilières.
Enfin, l’évolution du paysage politique à la sortie des élections législatives du 30 mai 2021 est marquée par le fait que nos camarades d’AKEL (Parti progressiste des travailleurs) n’ont pas obtenu les résultats à la hauteur de leurs attentes (22,3% des voix, contre 25,6% aux élections précédentes de 2016) et par l’essor de l’extrême droite, qui atteint 6,8% des voix.

« Il ne s’agit pas de simples “provocations”, mais d’une politique délibérée et soutenue par le gouvernement turc pour aboutir à la partition définitive de l’île. »

Une politique d’agression ouverte de la part d’Erdogan
C’est dans ce contexte que, depuis l’automne 2020 et singulièrement depuis la seconde quinzaine de juillet 2021, Erdogan se livre à une politique d’agression ouverte, violant les résolutions de l’ONU, dans la région de Varosha. Il s’agit d’une cité balnéaire, au sud de la ville de Famagouste, cette dernière faisant partie de la zone occupée par l’armée turque. Varosha est abandonnée et fermée depuis 1974. L’autorité de fait de la zone occupée par l’armée turque multiplie les tentatives pour s’approprier la cité, alors qu’un accord de 1979, jamais mis en œuvre, prévoit une réinstallation de la population évacuée en 1974 sous les auspices de l’ONU. Différentes opérations d’expropriation unilatérales ont été lancées et ont reçu le soutien bruyant d’Erdogan, qui s’est rendu à Varosha en novembre 2020. Cette politique du fait accompli a été relancée en juillet dernier et condamnée par une déclaration présidentielle du conseil de sécurité de l’ONU le 23 juillet. Il faut prendre la mesure de ces opérations : l’objectif n’est rien moins que de compromettre sur place, concrètement, toute possibilité de réunification et de règlement de la question chypriote. Il ne s’agit pas de simples « provocations », mais d’une politique délibérée et soutenue par le gouvernement turc pour aboutir à la partition définitive de l’île. La situation est donc très grave.

Consolider une politique de solidarité concrète
La solidarité des communistes et des forces de progrès et de paix avec le peuple chypriote, les Chypriotes grecs, les Chypriotes turcs qui luttent pour la paix, pour stopper les interférences impérialistes et pour réunifier leur patrie est donc essentielle. Dans ce contexte, les relations d’amitié et de soutien du PCF avec AKEL sont bien évidemment extrêmement importantes, comme Fabien Roussel a eu l’occasion de le rappeler dans le message qu’il a adressé à AKEL lors de son 23e congrès qui s’est réuni du 2 au 4 juillet derniers. Ce congrès a été l’occasion de poursuivre les débats pour tirer les leçons des résultats décevants aux élections législatives et de réaffirmer l’importance des relations, à consolider, avec le mouvement syndical, féministe et pacifiste. Ce congrès a également salué le secrétaire général sortant, Andros Kyprianou, qui est remplacé par Stefanos Stefanou. Il appartient au PCF de consolider cette politique de solidarité concrète, par exemple par des initiatives parlementaires pour que le gouvernement français, en propre et via l’Union européenne, instaure un véritable rapport de force avec Erdogan pour le faire reculer et pour reprendre les négociations là où elles s’étaient arrêtées à Crans-Montana en 2017.

« Assurer au peuple chypriote la plénitude de ses droits démocratiques et souverains est indispensable pour faire de la Méditerranée orientale une zone démilitarisée, de paix, de stabilité et de coopération,  dans un cadre de sécurité collective. »

Le seul règlement possible et durable pour le peuple chypriote pour mettre fin à la division du pays a pour cadre les résolutions de l’ONU, notamment les résolutions 550 de 1984 et 789 de 1992. Il doit permettre la réunification de Chypre, sur la base d’une fédération bicommunale, bizonale avec égalité politique et une personnalité juridique internationale unique. Quatre points sont essentiels de ce point de vue :
• la fin des actions illégales à Varosha qui contrecarrent le statu quo temporaire et les résolutions de l’ONU ;
• le retour des habitants légaux de Varosha suite au transfert de la zone à l’ONU, comme prévu dans l’accord de 1979 ;
• la fin des actions illégales turques sur l’île et dans sa zone maritime exclusive, qui ont pour objectif de créer un fait accompli et de condamner toute reprise des négociations ;
• la reprise des négociations sur la base d’une solution partagée d’une fédération bizonale, bicommunale dotée d’une personnalité juridique internationale unique et assurant l’égalité politique entre les deux communautés, au point laissé à Crans-Montana, sur la base des convergences déjà trouvées et actées dans l’accord en six points du 30 juin 2017. 

Il y a urgence !
C’est dans ce sens que doivent agir la diplomatie et, en premier lieu le gouvernement français. Assurer au peuple chypriote la plénitude de ses droits démocratiques et souverains est indispensable pour faire de la Méditerranée orientale une zone démilitarisée, de paix, de stabilité et de coopération, dans un cadre de sécurité collective.

Cause commune n° 25 • septembre/octobre 2021