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Engager une révolution de nos pratiques militantes à la hauteur de nos objectifs politiques.

Des Françaises et des Français engagés
Loin de se désengager, les Françaises et les Français s’intéressent à la politique et s’engagent pour des causes qu’ils ne qualifient pas de « politiques » mais qui sont pourtant au cœur des enjeux de société et de l’affrontement de classe.
Dans le secteur associatif, l’engagement bénévole est même en progression constante ces dernières années : + 16,8 % entre 2010 et 2016 (enquête IFOP pour France bénévolat de janvier 2016). Au total, près de 22 millions de nos concitoyennes et concitoyens sont engagés bénévolement dans une association ou d’autres organisations. Ce chiffre n’a jamais été aussi élevé ! Lorsque j’évoque ce constat, des camarades me rétorquent : « Oui, les gens s’engagent mais ils ne veulent plus transformer la société ou bien pensent que c’est impossible. » Ne venons-nous pas pourtant de vivre exactement l’inverse ces derniers mois à travers le mouvement des gilets jaunes, l’engagement de dizaines de milliers de jeunes pour la justice climatique, les mouvements féministes ? Et une enquête IFOP vient même nous révéler que les Françaises et les Français souhaitent un changement radical : 39 % pensent qu’il faudrait « une révolution » pour changer la situation du pays (enquête IFOP pour Atlantico de mars 2019). C’est deux fois plus qu’en Allemagne et trois fois plus qu’en Espagne !
Et, au-delà, les signes d’une volonté de changement se multiplient. Parmi les actrices et acteurs de différents secteurs, on peut citer en particulier les salariés de l’industrie qui élaborent des projets pour un renouveau industriel dans leur domaine, une part importante de l’économie sociale et solidaire qui innove réellement à partir de ses valeurs, les travailleurs ubérisés qui s’associent contre les plateformes, et plus généralement dans tout le monde du numérique la montée en puissance de la contestation des GAFA et la promotion d’alternatives concrètes.
Parmi les intellectuels aussi, avec de très nombreuses publications relevant d’une critique du système capitaliste et de la volonté de réhabiliter l’idée communiste elle-même. Ces intellectuels sont de plus en plus nombreux à faire des propositions sur les voies stratégiques de cette réhabilitation et à se rendre disponibles pour confronter leurs théories avec celles des partis qui se réclament de la transformation sociale.

« Les partis comme les mouvements qui se réclament de la transformation sociale sont tous confrontés au défi de la construction démocratique d’un projet de société et du rapport de force associé pour le faire progresser. »

Pourtant, une réalité doit nous alerter et nous mobiliser : 68 % des Françaises et des Français ne font pas confiance aux syndicats et cela monte à 91 % concernant les partis politiques (enquête IPSOS pour Challenges de janvier 2019). Ainsi, les points d’appui existent mais nous, les communistes, les syndicalistes, nous ne parvenons pas à les saisir, à capter cet engagement grandissant. Alors comment faire ?

Des verrous à faire sauter
Le premier enjeu, me semble-t-il, est d’identifier plus précisément les obstacles à l’engagement au sein de notre propre parti. Ce que nous devons questionner, c’est ce qui fait défaut tant sur le plan des idées que dans le rapport de notre parti en tant qu’organisation, et dans le rapport des communistes eux-mêmes à la société et aux femmes et aux hommes qui s’engagent déjà ou souhaiteraient le faire. Il n’y a pas de bataille politique possible sans bataille idéologique. Les idées dominantes pèsent terriblement sur l’engagement de nos concitoyens au sein d’un parti comme le nôtre. Elles agissent sur les consciences comme des verrous qui empêchent d’adhérer à notre projet. Combien de fois n’avons-nous pas été confrontés dans des discussions sur un marché, au porte-à-porte, à des remarques du type « Ces investissements ne sont pas possibles avec la dette qu’il faut réduire » ; « Les bénéficiaires d’allocations sociales profitent pendant que nous on travaille » ou encore « Votre proposition, l’Allemagne et les autres pays de l’UE la refuseront » !  Notre capacité à élever le niveau de conscience de classe pour battre en brèche ces idées dominantes est décisif car si nos concitoyens estiment que notre projet n’est pas crédible, pourquoi nous rejoindraient-ils ?
D’autant qu’une autre idée dominante actuellement martelée est que la forme « parti » serait à jeter. En réalité, cette idée sert la classe dominante dans la mesure où, malgré toutes ses insuffisances, un parti comme le PCF reste un lieu de contre-pouvoir important, ainsi qu’un lieu d’innovation sociale, écologique et démocratique. La forme « mouvement » recouvre des réalités très diverses, sur le plan des organisations politiques, de travailleurs ou de citoyens en lutte, réalités dont l’analyse approfondie n’en fait pas, tant s’en faut, des modèles. Le fait est que les partis comme les mouvements qui se réclament de la transformation sociale sont tous confrontés au défi de la construction démocratique d’un projet de société et du rapport de force associé pour le faire progresser.

« La réhabilitation du clivage gauche-droite autour de l’affrontement de classe est incontournable pour toute ambition de transformation sociale. »

Et les différentes formes d’organisation échouent à mobiliser dans la durée les travailleurs dans leur ensemble comme les catégories populaires. Ces formes affrontent des obstacles majeurs qui touchent notamment à l’ancrage solide des idées dominantes précitées et de la force de frappe médiatique de la classe qui les diffuse, à la diversification des statuts, des formes d’emploi elles-mêmes, aux nouvelles méthodes managériales, à la précarisation des travailleurs, à la déstructuration du lien social, à l’emprise des multinationales, plus largement des intérêts privés, sur les décisions politiques nationales et simultanément à l’assèchement des ressources des collectivités, en premier lieu des communes. De surcroît, l’échec des gouvernements se réclamant de la gauche à mettre en œuvre des politiques alternatives au libéralisme a permis à des forces aussi diverses que LFI, EELV, LREM ou le RN de promouvoir le dépassement du clivage gauche-droite. Or la réhabilitation de ce clivage autour de l’affrontement de classe est incontournable pour toute ambition de transformation sociale.

Comment agir pour susciter l’engagement politique ?
Notre dernier congrès a proposé une analyse de nos difficultés et des pistes à explorer. Il doit désormais être prolongé par un effort sans précédent, un effort durable d’innovation et de coordination de nos initiatives, fait de retours critiques sur les obstacles et les atouts de nos tentatives pour transformer notre rapport à la société. C’est le deuxième enjeu : agir pour un renouveau de l’engagement politique. Nous affrontons un problème quantitatif, au sens du nombre de communistes réellement engagés dans les luttes qui émergent. Mais aussi, et surtout, un problème qualitatif, au sens de la capacité de proposition et d’initiative de chaque adhérente et adhérent, de la perception par les non-communistes de l’utilité de notre intervention dans les luttes pour élargir le rassemblement nécessaire à l’obtention de victoires sociales, de la capacité, aussi, à coordonner des initiatives pour leur donner une visibilité nationale qui contribue à crédibiliser un projet de société alternatif. Ces enjeux sont au cœur de la question du renforcement de notre parti qui vient de faire l’objet d’un plan national de renforcement du PCF (rapport au comité exécutif national du 24 juin 2019). L’intégration et la mise en responsabilité des nouveaux adhérents dans les sections, notamment des jeunes, devraient en outre faire l’objet de dispositions spécifiques avec un suivi des directions départementales car nombreux sont ceux et celles qui finissent par s’éloigner de l’activité car ils ne trouvent pas leur place en rapport avec leurs motivations d’engagement.

« L’éducation populaire doit être au cœur de nos actions politiques.»

Nous devons changer le centre de gravité de l’action des structures du parti. Il s’agit de passer d’un fonctionnement en réaction aux politiques capitalistes, d’un discours et d’initiatives « généralistes » à un fonctionnement cherchant prioritairement des coopérations concrètes et pérennes dans des luttes ou des expérimentations dont nous pensons qu’elles sont porteuses d’alternatives. Comment organiser une présence active des communistes dans ces luttes et expériences ? Comment mieux irriguer les structures du parti par les problématiques qu’elles affrontent et simultanément les nourrir de l’apport du projet communiste ? Quels espaces créer pour qu’elles soient animées par les acteurs, femmes et hommes, qui s’y impliquent ? Comment permettre à tous les citoyens concernés par l’objet de ces luttes de s’y impliquer à égalité ? Sur ce dernier enjeu, j’ai la conviction que l’éducation populaire doit être au cœur de nos actions politiques. Ce sont toutes ces questions que nous devons approfondir pour engager une révolution de nos pratiques militantes à la hauteur de nos objectifs politiques.

Donner visibilité et cohérence à nos actions en lien avec notre projet de société
Nous avons des points d’appui. Je pense par exemple aux luttes locales pour les services publics, en particulier dans les domaines des transports, de la santé, ou encore de l’éducation dans lesquelles les communistes sont très actifs. Je pense aussi à nos initiatives de solidarité concrète que nous menons partout en France, des ventes de fruits et légumes au juste prix pour les producteurs et nos concitoyens aux voyages à la mer organisés pour celles et ceux qui n’ont pas les moyens de partir en vacances. Cependant, nous pouvons améliorer encore considérablement l’efficacité de ces actions en leur donnant une visibilité et une cohérence nationales en lien avec notre projet de société comme nous avons commencé à le faire par exemple dans la santé avec le tour de France des hôpitaux engagé par nos parlementaires.
Dans d’autres domaines, comme dans l’action politique à l’entreprise, nous avons un immense chantier devant nous. Le tour de France annoncé par Fabien Roussel peut être l’occasion de renouer avec le monde du travail, avec les femmes et les hommes, ouvriers, employés, cadres et techniciens, et de construire les bases de l’unité du salariat en partant de luttes et de projets concrets. Et si nous nous saisissions de cette initiative pour réidentifier le PCF à l’ambition d’une renaissance industrielle de la France capable de relever le défi de l’emploi, le défi de filières stratégiques nationales et de coopérations internationales, le défi écologique ? Dans ce domaine comme dans tant d’autres, nous devons approfondir le travail avec les organisations syndicales, reconstruire une complémentarité d’action essentielle pour faire progresser une alternative.

« Il s’agit de passer d’un fonctionnement en réaction aux politiques capitalistes, d’un discours et d’initiatives « généralistes » à un fonctionnement cherchant prioritairement des coopérations concrètes et pérennes dans des luttes. »

Nous disposons de ressources considérables dans notre parti pour engager ces actions, à commencer par notre implantation et la richesse de notre corps militant. Et notre campagne européenne, même si elle n’a pas débouché sur le résultat électoral espéré, nous a permis de marquer des points décisifs. Appuyons-nous sur ces atouts pour agir avec détermination pour un renouveau de l’engagement politique !

Igor Zamichiei est membre du Comité exécutif national du PCF, responsable de la Vie du Parti.

Cause commune n° 13 • septembre/octobre 2019