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Dérèglement du climat, déclin de la biodiversité, insécurité alimentaire, crise sanitaire : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. » Que font les institutions internationales et comment lutter ?

L’effet du dérèglement climatique du fait de l’activité humaine touche tous les pays et toutes les régions du monde ; ses effets ne sont certes pas uniformes, mais personne n’est à l’abri et aucun peuple ne saurait s’en préserver sans une exceptionnelle solidarité internationale dans la mise en œuvre de politiques publiques déterminées à ouvrir la voie à de nouveaux modes de production, de développement et d’échanges.

Des conséquences du dérèglement climatique diverses
L’urgence, réelle pour tous, est plus aiguë toutefois dans des situations de plus en plus nombreuses : la population de Madagascar dans l’océan Indien, qui compte près de 27 millions d’habitants dont 75 % vivent sous le seuil de pauvreté, détient une bien triste palme, celle de connaître aujourd’hui, selon l’ONU, la première famine directement causée par le réchauffement climatique ; le Bangladesh, dans le delta du Gange et du Brahmapoutre, compte un peu moins de 167 millions d’habitants (une des densités les plus fortes au monde) et se trouve aux prises avec la montée des eaux qui devrait causer la disparition de 20 % de son territoire d’ici 2050 et créer au moins 50 millions de réfugiés climatiques. À l’autre versant du continent asiatique, c’est le Vietnam (plus de 102,5 millions d’habitants) qui, avec ses 3 200 km de côtes maritimes, est considéré à raison comme l’un des pays les plus vulnérables à la crise climatique : 5 % de son territoire est menacé de submersion totale, particulièrement dans le delta du Mékong, ce qui, par voie de conséquence, déséquilibre sa sécurité alimentaire et économique. Pire encore, même les pays parmi les plus petits et les plus pauvres, quasiment étrangers aux causes de la hausse significative des températures ces dernières décennies sur le globe, en subissent les lourdes conséquences : c’est le cas, dans l’océan Pacifique, des îles Fidji ou encore dans l’océan Indien, des îles Sentinelles. Les populations de ces îles se voient dépendre entièrement du bon vouloir des principaux pays émetteurs de CO2 pour juguler les bouleversements qui s’annoncent.

« Les pays les plus touchés sont les moins responsables de la situation. »

Ces derniers, pays développés ou en développement dynamique, ne sont pas épargnés : les incendies monstres récents en Australie ou aux États-Unis en ont été une manifestation flagrante. Les inondations de l’été dernier en Allemagne ou en Chine, de même que les canicules et dômes de chaleur dans l’hémisphère nord ou la violence des typhons et ouragans en zone tropicale en témoignent également.

Insécurité alimentaire, insécurité humaine
La simple « renationalisation » de ces enjeux globaux est vouée à l’échec. Partout, le développement industriel, les modes actuels de production, l’urbanisation accélérée, la densification de la population et la surexploitation des ressources au prix de saccages environnementaux, humains et sociaux ont provoqué, et alimentent, le réchauffement climatique, le déséquilibre des écosystèmes, les atteintes, pour certaines irréparables, à la biodiversité ; cela a pour effet d’entraîner une augmentation nouvelle de l’insécurité alimentaire, avec des hausses des prix mondiaux qui atteignent à présent des niveaux records, et de l’insécurité humaine en général. Les disparités de cet effet mettent en lumière que les pays les plus touchés sont les moins responsables de la situation ; autrement dit, que ce processus global est un amplificateur des inégalités mondiales, tout autant que nationales.
L’apparition de nouveaux virus, tels que la covid 19, est aussi la résultante concrète de cette dynamique intenable pour l’espèce humaine, toutes les espèces vivantes et la flore. Les études les plus sérieuses mettent en évidence l’impact sur la santé humaine du dérèglement climatique des pays « pauvres » comme « riches ». Le cinquième rapport annuel de la revue scientifique Lancet, publié en décembre 2020, « Le compte à rebours du Lancet » (The Lancet Countdown on health and climate change), propose « une évaluation indépendante des effets des changements climatiques sur la santé humaine », réalisée en collaboration avec trente-cinq institutions, dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et l’University College de Londres. Ce rapport souligne la « convergence des crises sanitaire et climatique » et la croissance nette à l’échelle globale de la mortalité due à la chaleur. Selon cette étude, l’élévation du niveau des mers causerait à terme d’importants mouvements de population, jusqu’à 565 millions de déplacés exposés à des problèmes de santé.

« Le poids des puissances occidentales dans les institutions internationales notamment et leur refus de perdre toute hégémonie constituent le deuxième obstacle majeur aux résolutions de crises ou défis mondiaux. »

Dès lors, pour le Dr Maria Neira, directrice du département de Santé publique, déterminants environnementaux et sociaux sur la santé (Public Health and Environment) de l’OMS, les milliards consacrés aujourd’hui à la « relance de l’économie » représentent « une réelle opportunité pour harmoniser les réponses à la pandémie [de covid 19] et au changement climatique pour une triple victoire qui améliore la santé publique, crée une économie durable et protège l’environnement ».
« Réelle opportunité », si tant est que des ruptures de fond soient opérées et donc terrain de lutte : soit la dictature du capitalisme sur la mondialisation est préservée et consolidée – et, seul(e)s les (classes) privilégié(e)s auraient les moyens de se protéger (un peu) de la crise climatique, soit elle est contestée et dépassée par la conjonction de politiques internationales et nationales apportant des réponses nouvelles fondées sur l’exigence à la fois de recul des inégalités et de transition écologique – au bénéfice de l’ensemble des peuples du monde.

Le poids des institutions financières internationales
La bataille se mène simultanément à plusieurs échelons . Aujourd’hui, seuls le FMI et la Banque mondiale ont des pouvoirs contraignants – et aberrants – sur les politiques des États, contrairement à l’OMS (institution interétatique), aux agences de l’ONU comme l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ou encore aux COP, si elles ne le spécifient pas dans leurs résolutions finales. Les conventions internationales signées et ratifiées par les États, par exemple celles de l’Organisation internationale du travail (OIT) – seule institution où les travailleurs sont représentés dans les instances par leurs organisations syndicales –, les obligent, mais évidemment pas les États non signataires, et les mesures coercitives en cas de violation de ces conventions signées demeurent soit anecdotiques, soit, le plus souvent, pas même envisagées. Le poids des institutions financières internationales et des acteurs privés de l’économie est disproportionné. Il constitue aujourd’hui, avec les quelque trois cent cinquante accords commerciaux régionaux (traités de libre-échange) qui tapissent le monde, un obstacle à l’amélioration « de la santé publique, [la création d’] une économie durable et [la protection de] l’environnement à l’échelle mondiale ».

« Le système multilatéral actuel a ses limites : ses instruments et ses capacités ne suffisent pas pour assurer l’efficacité de la gouvernance des biens publics mondiaux. Nous devons adapter l’ONU à une nouvelle ère. » António Guterres

Constat partagé au plus haut niveau des instances internationales, et relevé par António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, il y a un mois : « Le système multilatéral actuel a ses limites : ses instruments et ses capacités ne suffisent pas pour assurer l’efficacité de la gouvernance des biens publics mondiaux. Ce système est trop axé sur le court terme. Nous devons renforcer la gouvernance mondiale […]. Nous devons adapter l’ONU à̀ une nouvelle ère ». Les crises sanitaires, climatiques et écologiques et les « urgences » sociales suggèrent que les menaces et sources d’insécurité sont plus « globales » qu’uniquement nationales, et invitent à l’élaboration de réponses politiques multilatérales, inclusives, où l’interdépendance est facteur de réussite collective, par les coopérations et les solidarités qu’elle permet de développer, contrecarrant dès lors toute ambition hégémonique.


« Porter l’exigence de la justice, de la solidarité internationale et, spécifiquement, de la dénonciation des accords de libre-échange, en parallèle d’une politique de désarmement multilatéral, ouvrirait une perspective concrète de sécurité humaine collective au plan mondial. »

Il y a donc, outre l’orientation des politiques elles-mêmes, la nécessité d’une évolution significative des institutions multilatérales permettant de renforcer d’un même mouvement la solidarité internationale, les droits des peuples et singulièrement des travailleurs, l’appui à des politiques nationales et régionales qui défendent leurs intérêts plutôt que ceux du capital. Or, pour qu’un tel processus se développe, et pour peser sur le rapport de force, les luttes sociales, nationales et politiques, y compris les scrutins électoraux, sont cruciales jusque dans le choix des représentants et des représentantes des États dans ces institutions et les orientations qu’ils et elles porteront. Le poids des puissances occidentales dans les institutions internationales notamment et leur refus de perdre toute hégémonie constituent le deuxième obstacle majeur aux résolutions de crises ou défis mondiaux.

Contribuer à l’émergence d’un « ordre global profitable » à tous les peuples
La défense des intérêts nationaux de la France aurait avantage à s’articuler à la défense et à la promotion d’intérêts communs à l’échelle mondiale, dans l’optique de contribuer à l’émergence d’un « ordre global profitable » à tous les peuples tout en en « retirant (chacun) un maximum d’avantages ». Ainsi, outre la nécessité de mesures contraignantes sur les États et les trans- ou multinationales, outre la contribution spécifique de la France par une politique nationale ambitieuse de réduction des énergies carbonées, porter, à l’occasion de la COP26 et de la COP Biodiversité, l’exigence de la justice, de la solidarité internationale et, spécifiquement, de la dénonciation des accords de libre-échange – au profit de traités régionaux et internationaux de maîtrise des échanges, au service de grands projets de développement des infrastructures, des biens communs, de l’emploi et des services publics, dans le respect des droits sociaux, des écosystèmes et de la biodiversité –, traduirait une volonté politique de s’inscrire dans la nouvelle ère, évoquée par António Guterres. Ce serait, en parallèle d’une politique de désarmement multilatéral, ouvrir une perspective concrète de paix, c’est-à-dire de sécurité humaine collective au plan mondial.
C’est à ces conditions, dont la prise de conscience a progressé avec netteté au cours de la crise sanitaire et que les peuples peuvent imposer par leurs mobilisations nationales, régionales et internationales, que le défi du réchauffement climatique et de la préservation de la biodiversité, de même que celui du développement humain, social et économique global commenceraient à être relevés. Les forces existent pour y parvenir puisque, sur un peu plus d’un million et demi de personnes interrogées par l’ONU dans cent quatre-vingt treize pays, 97 % des répondants, hommes et femmes, considèrent la coopération internationale comme « essentielle (52 %), très (34 %) ou assez (17 %) importante pour relever les défis mondiaux »1.
La bataille idéologique fait rage dans le feu de l’affrontement entre les forces du travail et de la création et celles du capital ; elle favorise un discours dominant sur le déclin, l’« effondrement », de l’Occident aux relents néonationalistes. Ce qui est en déclin, ce qui s’effrite, c’est l’hégémonie des puissances occidentales sur les peuples du monde et c’est heureux. La notion de « puissance » dans ce monde « globalisé » est à interroger quand bien même les logiques de domination perdurent et quand bien même la première puissance mondiale maintienne son ambition « impériale » ; elle n’a plus tout à fait les moyens de ses ambitions et elle le sait.
Le défi d’ouvrir un nouvel âge de la mondialisation dans une visée émancipatrice est, pour le genre humain, non pas de remplacer une hégémonie par une autre mais de forger des relations et institutions internationales, un nouvel ordre mondial, où « le libre développement de tous » les peuples se veut « la condition du libre développement de chacun » d’entre eux. 

Lydia Samarbakhsh est membre du comité exécutif national du PCF. Elle est chargée des relations internationales.

1. https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/french_ shapingourfuturetogether_executivesummary.pdf

 


Des propositions du PCF faites par Fabien Roussel lors de la « rencontre des Jours heureux » à Rennes

Un pacte à 140 milliards d’euros pour le climat
• atteindre 30 % de marchandises transportées par le rail d'ici 2030 (4 milliards) ;
• réduire ainsi de 15 000 le nombre de camions chaque année ;
• financer la construction et la rénovation de 500 000 logements pour éradiquer les passoires thermiques (10 milliards) ;
• faire passer de 3 000 à 10 000 euros la prime pour les gens modestes en cas de remplacement d'une voiture à essence par une voiture électrique ;
• aménager 100 000 kilomètres de pistes cyclables ;
• lancer un grand débat national sur les six scénarios de RTE (Réseau de transport d'électricité, haute tension) pour atteindre la neutralité carbone en 2050 ;
• condamner les entreprises qui délocalisent les pollutions dans les pays pauvres ;
• cesser les traités de libre-échange qui ne respectent pas les normes environnementales.

Cause commune • novembre/décembre 2021