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Entretien

Ici comme ailleurs, les exilés s’organisent pour résister aux conditions de vie violentes et désastreuses qui leur sont faites.

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Depuis le début des années 1990, des personnes exilées sont bloquées à la frontière franco-britannique et survivent dans le Calaisis, espérant un jour ou l’autre franchir cette barrière administrative et politique autant que géographique. Fuyant des régions ravagées par des guerres (Kosovo, Afghanistan, Irak, Syrie), des régimes totalitaires ou autoritaires (Iran, Érythrée, Éthiopie, Soudan, Égypte) et des situations économiques et sociales minées par la corruption et le clientélisme, elles font l’expérience douloureuse, à Calais et dans sa région, des politiques hostiles et du non-accueil.

« Si ces mobilisations débouchent difficilement sur des victoires, elles témoignent cependant de la résistance dont font régulièrement preuve les personnes migrantes bloquées à la frontière franco-britannique et s’inscrivent dans l’histoire longue des luttes de l’immigration. »

Face à cette situation, des solidarités ont émergé localement à Calais, Grande-Synthe ou encore Norrent-Fontes et, depuis le début des années 1990, des militantes et militants, parfois rejoints par des élus, se relaient pour interpeller et tenter de construire, ici ou là, des bribes d’hospitalité. La Marche citoyenne pour l’accueil des migrants réalisée au début du printemps 2018 entre la ville italienne de Vintimille et la ville britannique de Douvres en est un exemple récent.

Des mobilisations régulières et variées
Il arrive aussi très fréquemment que les personnes exilées, pourtant souvent dépeintes comme dépossédées de leur pouvoir d’agir, s’organisent de manière autonome et contestent le régime de violence que leur réservent les politiques migratoires actuelles. Moins visibles, leurs mobilisations sont pourtant régulières et prennent des formes très diverses.
Début octobre 2013, un groupe d’une soixantaine d’exilés syriens, hommes et femmes, décide de bloquer l’accès piéton au port de Calais. Ils campent sur place, dénoncent dans un communiqué les conditions dans lesquelles ils et elles survivent en France et réclament « qu’une personne de l’UK home office  vienne [leur] parler et étudie [leur] situation » car leur objectif est de demander l’asile en Angleterre. À l’aube du troisième jour d’occupation, et alors que des CRS s’apprêtent à les déloger, deux exilés grimpent sur le toit du bâtiment principal du terminal portuaire et menacent de sauter dans le vide si la police intervient. Le préfet du Pas-
de-Calais organise alors en urgence une rencontre entre des représentants des exilés syriens, de la préfecture et de la UK border force. Ces négociations n’aboutiront pas et le groupe d’exilés devra lever l’occupation. Fin mai 2014, suite à l’expulsion de deux campements dans le centre-ville de Calais, un groupe d’hommes et de femmes, se réfugie sur le lieu de distribution des repas, large parking goudronné situé quai de Moscou. Le nombre de personnes sur place augmente en quelques jours et, rapidement, la vie du lieu prend forme : des assemblées se déroulent, des représentantes et des représentants par communauté sont désignés et des règles de fonctionnement instaurées. Les exilés ne veulent « plus vivre comme des animaux » et revendiquent « l’accès à des conditions de vie dignes, peu importe que nous ayons ou non des papiers ». Des manifestations sont organisées, soutenues par les associations locales. Face à l’absence de réponse de l’État, plusieurs exilés entament une grève de la faim. Fin juin, l’État réagit, mobilise l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et son directeur, Pascal Brice, qui se rend sur place, mais n’accède en rien aux revendications des exilés et ne propose qu’un léger aménagement des conditions d’accès à la procédure d’asile. Le 2 juillet, suite à une procédure d’expulsion lancée par la mairie de Calais, le lieu de distribution est évacué avec violence, loin des regards associatifs. Six cents personnes exilées sont nassées sur place pendant une partie de la journée, deux cents seront placées en centres de rétention administrative (CRA), d’autres envoyées dans des commissariats de la région et les dernières – mineures et mineurs compris – monteront dans des bus pour être relâchées à plusieurs centaines de kilomètres de Calais, en périphérie de villes ou en rase campagne...

« Les personnes exilées, pourtant souvent dépeintes comme dépossédées de leur pouvoir d’agir, s’organisent de manière autonome et contestent le régime de violences que leur réservent les politiques migratoires actuelles. »

Moins visibles, les femmes exilées se mobilisent aussi, par exemple pour la manifestation d’octobre 2016 pendant les premiers jours de l’expulsion de la Jungle de Calais, ou encore pour le rassemblement des femmes kurdes en août 2018 à Grande-Synthe, dénonçant les expulsions répétées de campements.

Occupations, rassemblements, grèves de la faim
Occupations de lieux ou d’espaces publics, manifestations et rassemblements de rue (également pour rendre hommage aux migrantes et migrants morts à la frontière) et grèves de la faim (y compris après s’être cousu les lèvres) font ainsi partie du registre de mobilisation des personnes exilées. Ils et elles ont également recours à d’autres modalités d’action moins visibles : en s’associant à des procédures contentieuses menées par certains acteurs associatifs, comme lors du référé-liberté déposé en octobre 2015 devant le tribunal administratif de Lille. Dans ce cas précis, la justice a donné partiellement raison aux requérants, obligeant l’État à agir concernant la prise en charge des mineures et mineurs et à répondre à plusieurs urgences fondamentales (accès à l’eau, à des sanitaires et mise en place d’un dispositif de collecte des déchets).
Si ces mobilisations débouchent difficilement sur des victoires, elles témoignent cependant de la résistance dont font régulièrement preuve les personnes migrantes bloquées à la frontière franco-britannique et s’inscrivent dans l’histoire longue des luttes de l’immigration.

Maël Galisson est chargé de mission au Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural Migration-Citoyenneté-Développement.

Cause commune n° 10 • mars/avril 2019