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Si Emmanuel Macron a rarement raison, il marque un point avec cette analyse courte et pourtant très lucide de la conjoncture actuelle. Jusque dans les hautes sphères de l’Élysée, la détresse étudiante commence à se faire sentir et, pour qu’un président de droite en dise un mot, le signal d’alarme fait du bruit. Selon France Bleu : 53 % des étudiants déprimeraient.

Le premier confinement, « le vrai » comme on aime l’appeler, celui qui a commencé à la mi-mars, aura été brutal pour toute la France. Des millions de personnes se retrouvent cloîtrées chez elles, en chômage partiel, coupées de tous liens sociaux. Mais, paradoxalement, l’angoisse de la maladie, doublée par les situations espagnole et italienne, fait qu’une grande partie des Français pousse un soupir de soulagement, rassurée de savoir que son gouver­nement prend enfin en main la pandémie sur un ton martial. C’est la mobilisation générale contre la covid !

Choisir entre payer son loyer ou manger
Pourtant, comme d’habitude sous le libéralisme, les inégalités ont la belle vie. De nombreux étudiants tombent dans une situation très précaire, devant choisir entre payer leur loyer ou manger. À cela s’ajoutent régulièrement l’absence de liens sociaux, la brusque séparation d’avec ses amis ou de sa famille, et des logements souvent étriqués et invi­vables. La santé, mentale comme phy­sique, en prend un coup. 8,6 % des moins de 25 ans et 4,1 % des 25-29 ans ayant un emploi le per­dent. Pôle emploi indique avoir enre­gistré une hausse des ins­criptions en catégorie A de 34 % par rapport aux pre­miers mois de l’année : 612 600 inscrits de moins de 25 ans au deuxième trimestre (selon France bleu). Il y a, durant cette période particulière, une mise en lumière exacerbée de la pauvreté. Les associations se dévouent, mettent sur pied de nouveaux moyens d’action pour tenter de juguler tant bien que mal l’explosion de misère. En parallèle, l’ensei­gnement supérieur souffre aussi : la fermeture des facultés et l’apprentissage « en distanciel » rendent impossible un suivi pédagogique réel et efficace. Les profs dépriment derrière leur écran, les étudiants ont lâché. Il est évident que des lacunes s’installent.
Si la majorité d’entre nous se montre fataliste quant au premier confinement et à ses consé­quences, le ressenti sur le second est bien diffé­rent. Macron, qui n’a peur de rien, a dit que personne ne pouvait s’attendre à une deuxième vague. Personne ? Le corps médical en manque de moyens a longuement alerté sur l’insuffisance de lits et de matériels adéquats en plus des sous-effectifs. Le corps enseignant, avait fait état du même problème, dénonçant les classes surchargées : il avait même commencé l’année scolaire par une grève générale pointée du doigt et moquée par les mêmes qui, un mois plus tard, pleuraient à chaudes larmes Samuel Paty.

« Il est indispensable que les étudiants aient accès à un suivi psychologique, pédagogique et social, particulièrement pour les décrocheurs. »

Au-delà des professionnels, les étudiants appréhendaient déjà la possibilité de vivre à nouveau la solitude à laquelle ils avaient été confrontés lors de la première vague.
Durant quelques mois, la jeunesse a profité de sa liberté retrouvée, à raison. Les soirées ont pris une tournure thérapeutique. Il fallait, au gouvernement, trouver un coupable pour son incompétence, il était tout trouvé : les jeunes s’amusent. Et c’est par cet argument principal que le couvre-feu est déclaré le 14 octobre puis le confinement le 30. Qu’il est dur d’avoir 20 ans en 2020, d’autant plus lorsqu’on est stigmatisé par les dirigeants de son pays pour un phéno­mène qui nous échappe !

Déprime, anxiété, décrochage, abandon 
Dès le 30 octobre, la plus grande source d’angoisse est certainement l’incompréhension, le flou dans lequel les étudiants ont été jetés dès le début du reconfinement. « Déprime, anxiété, décrochage, abandon »… voilà les mots qui reviennent lorsqu’on les questionne sur leur situation. Rien n’a été prévu pour préparer un second confi­nement et, sans grande surprise, les mêmes problèmes se sont posés, avec une dose de charge mentale supplémentaire. Les in­formations ont été mal, voire pas du tout, transmises, parfois même, elles sont contradictoires et il y a eu un manque d’accompagnement cruel des étudiants.
À côté de la fermeture brutale des facultés, les magasins ouvrent, puis ferment, puis ouvrent à nouveau. La vie peut continuer, mais pas vraiment. Les restaurants sont ouverts, mais temporairement. Les cinémas ferment mais pas les centres commerciaux. La chasse est ouverte mais pas les prome­nades. Puis si. Cette accu­mulation de mesures stupides, ajoutées aux aveux d’incompétence de la part du président, laisse dans l’angoisse les étudiants dont l’avenir n’est pas entre de bonnes mains.

Manque de personnel, manque de moyens
L’enseignement supérieur est quant à lui profondément fragilisé par une série de contre-réformes libérales : manque de personnel, man­que de moyens… comme partout dans la fonction publique c’est la même rengaine. À Lille, la lutte interne sur le projet d’établissement public expérimental entre la présidence et la com­munauté universitaire n’a pas permis de proprement préparer le terrain contre cette seconde vague.

« L’enseignement supérieur souffre : la fermeture des facultés et l’apprentissage “en distanciel” rendent impossible un suivi pédagogique réel et efficace. »

La direction délègue aux unités de formation et de recherche (UFR) qui elles-mêmes délèguent aux départements qui, pour finir, délèguent aux enseignants, au bout du rouleau et sur lesquels les étudiants s’appuient déjà pour sortir la tête de l’eau et qui maintiennent, comme ils le peuvent, la continuité pédagogique. Chacun a par ailleurs remarqué l’inégal traitement flagrant réservé aux élèves de classes préparatoires dont les classes deux fois plus pleines que celles des travaux dirigés en faculté pouvaient se tenir en présentiel sous quelque prétexte.
Cette crise prouve, une fois n’est pas coutume, l’urgente nécessité de bâtir un service public efficace et solidaire, non seulement dans l’éducation mais aussi dans la santé ! Si des mesures lucides avaient été mises en place dès septembre, si le corps enseignant avait été écouté, le chaos auquel font face les étudiants aurait pu être évité. Si, au lieu de supprimer des lits, nous avions augmenté notre capacité d’accueil en réanimation, nous n’aurions pas subi tant de pertes humaines ces derniers mois.
Nous ne construirons pas le monde de demain avec des « si » mais il est bon de se rappeler que nos posi­tions, à nous communistes, sont les bonnes. Dès aujourd’hui, il est indispensable que les étudiants aient accès à un suivi psycho­logique, pédagogique et social, particulièrement pour les décro­cheurs. De même, les jurys doivent recevoir des consignes de faire preuve de souplesse et de compré­hension. Nous devons à tout prix éviter l’hécatombe !
Le dialogue doit être réinstauré entre l’admi­nistration, le personnel enseignant et les élèves. Dans les mois qui arrivent nous devrons mener la lutte pour créer le modèle de sécurité sociale et de solidarité dont nous avons tant besoin ! Le PCF et le MJCF doivent trouver dans les mouve­ments sociaux la place qui leur appartient : celle d’organisations de masse capables d’animer et de faire aboutir la révolte qui arrive indé­niablement.

Pierre Verquin est secrétaire fédéral des jeunes communistes du Nord.


Quatre-vingts propositions pour l’enfance et la jeunesse

Marie-George Buffet, députée PCF de Seine-Saint-Denis, a proposé cet automne un rapport au nom d’une commission parlementaire pour mesurer et prévenir les effets de la crise covid-19 sur les enfants et la jeunesse. Celui-ci permet (enfin) de donner la parole à deux grandes oubliées des préoccupations publiques depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, l’enfance et la jeunesse, et de mettre en avant quatre-vingts propositions, pour en faire une priorité nationale. Citons, entre autres, la création d’une délégation aux droits de l’enfant ; le suivi sanitaire des enfants en temps de crise, avec le renforcement, par exemple, des centres de protection maternelle et infantile (PMI) à hauteur de 100 millions d’euros par an et des services psychiatriques pour enfants dans les hôpitaux ; l’évaluation de la prise en charge des jeunes porteurs de handicap, ou encore la refondation de la santé scolaire et universitaire (renforcer l’attractivité des professions de santé scolaire, renforcer les moyens humains et matériels dans l’ensemble de ces structures) ; la création d’un observatoire des données ; l’adaptation de la communication et de l’information vis-à-vis de la jeunesse (et d’abord l’arrêt de sa stigmatisation dans les campagnes de prévention contre la covid-19) ; l’ouverture, dans l’immédiat, du revenu de solidarité active (RSA) aux jeunes. Ce rapport propose également de mener un plan de construction de logements universitaires ; de mettre fin au placement d’enfants de l’aide sociale à l’enfance (ASE) à l’hôtel ; d’interdire les expulsions de familles vivant avec des enfants mineurs ; de développer la formation des jeunes à la culture numérique ; de revoir les conventions d’objectifs des fédérations sportives ; de soutenir le sport semi-professionnel ; de développer des lignes spécifiques d’appel pour les jeunes LGBT+ victimes de violences ; de conforter les moyens de la justice pour enfants et de la protection judiciaire de la jeunesse ; de garantir un accueil identique sur l’ensemble du territoire aux mineurs non accompagnés (MNA).

Cause commune n° 21 • janvier/février 2021