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Pour agir vraiment (et vite) contre le dérèglement climatique, il ne suffit pas d’évoquer dans le vague les travaux scientifiques du GIEC, il faut comprendre plus précisément les causes et les conséquences. On a besoin d’outils pédagogiques et ludiques.

En quelques mots, qu’est-ce que« La fresque du climat » ?
La fresque du climat est un atelier collaboratif, qui a pour but de comprendre les enjeux du changement climatique à travers une approche ludique fondée sur l’intelligence collective. Basé sur les travaux scientifiques du GIEC, il s’adresse à un public varié, éclairé ou non. Un atelier dure trois heures et le principe de base consiste à reconstruire les liens de causalité entre quarante-deux cartes traitant du changement climatique, de son origine à ses conséquences. L’atelier a été conçu par Cédric Ringenbach en 2018 et connaît une croissance exponentielle. Il se déroule en trois temps. La première phase technique consiste à construire collectivement la fresque en reliant les quarante-deux cartes du jeu selon des liens de cause-conséquence tels que présentés par le GIEC dans ses différents rapports. La deuxième phase est créative : les participants décorent la fresque en laissant libre cours à leur imagination et lui donnent un titre. La dernière phase consiste en une évaluation permettant à chacun des participants d’exprimer son ressenti et de discuter des solutions individuelles ou collectives à mettre en place pour lutter contre le changement climatique. 

« L’étude récente de Carbone 4 Faire sa part montre que même si les citoyens adoptaient tous
un comportement dit “héroïque”, avec des hypothèses de changement d’habitudes fortes, l’empreinte carbone moyenne d’un Français ne pourrait baisser que de 25%. »

Comment cet outil pédagogique et ludique est-il reçu par les participants aux ateliers ?
Chaque personne est différente et ainsi chacun réagit différemment face au choc du constat de l’urgence climatique. Le rôle de l’animateur est ainsi d’accueillir l’ensemble des réactions avec bienveillance. Globalement, les participants sont choqués, suite au constat d’urgence qui apparaît clairement au fur et à mesure qu’ils construisent la fresque. Certains transforment cet état de choc de manière positive et cela devient alors pour eux un moteur d’action, d’autres finissent la partie réflexion avec tristesse, colère, sentiment d’échec, etc. Chacun a une manière de réagir différente selon son cheminement personnel. La courbe du changement est souvent évoquée lors de l’évaluation pour montrer aux participants que ce qu’ils ressentent est normal. Le rôle de la partie créative et surtout de l’évaluation est ainsi essentiel pour laisser les participants s’exprimer et évoquer les actions possibles.

La fresque du climat est indépendantedes syndicats et des partis politiques, mais ceux-ci lui font appel, comment se passe cette rencontre ?
La fresque est un outil de sensibilisation, elle s’adresse donc à tout le monde. Plus il y aura de personnes sensibilisées, plus nous aurons une chance collectivement d’engager un vrai changement de société. La fresque ne se veut pas politique, voilà pourquoi il n’existe aucune carte solutions. Les solutions, elles, sont d’ordre politique, elles sont subjectives et doivent donner lieu à des débats. Cela desservirait la crédibilité de l’outil, dont le plus bel éloge qu’on ait pu lui faire est « qu’il n’est pas partisan ». La fresque éveille la prise de conscience pour inciter les citoyens, les entreprises, les politiques à agir. La rencontre avec les partis politiques se passe ainsi très bien car cet outil est là pour éveiller les acteurs politiques et leur faire prendre conscience de l’urgence des mesures, de manière claire et en se reposant sur des faits scientifiques.

Quand des grandes entreprises font suivre un atelier de la fresque du climat à leurs salariés, quels sont leurs objectifs ? Écoblanchiment (greenwashing) ? coup de pub ? ou quelque chose de plus profond ?
Les motivations pour les demandes de fresques qui se multiplient sont variées. C’est en effet parfois le service communication qui commande ce type d’atelier, parfois c’est plutôt le département responsabilité sociétale de l’entreprise, qui souhaite pousser une vraie politique en ce sens. De plus en plus d’entreprises arrivent à faire faire des fresques aux comités de direction pour espérer une prise de conscience de la direction. Néanmoins, quelle que soit la motivation initiale de l’entreprise à solliciter une fresque, il ne faut pas oublier que les participants ne ressortent pas indemnes. Les entreprises n’ont parfois pas conscience qu’en sensibilisant l’ensemble de leurs collaborateurs avec cet outil, sans pour autant intégrer les enjeux dans les décisions, ils vont provoquer une incompréhension chez certains de leurs employés, du fait de la prise de conscience induite. Enfin, l’objectif de « la fresque du climat » est de sensibiliser le maximum de personnes. Un employé d’une grande entreprise est aussi un citoyen à sensibiliser. Toute porte d’entrée pour une prise de conscience massive est bonne à prendre.

« La fresque du climat éveille la prise de conscience pour inciter les citoyens, les entreprises, les politiques à agir. »

Face aux urgences climatiques, comment articuler l’action individuelle et l’action collective ?
Les deux sont nécessaires et indissociables l’une de l’autre. L’étude récente de Carbone 4 Faire sa part montre ainsi que même si les citoyens adoptaient tous un comportement dit « héroïque », avec des hypothèses de changement d’habitudes fortes, l’empreinte carbone moyenne d’un Français ne pourrait baisser que de 25 %. Il faut ainsi comprendre qu’il est urgent et nécessaire que le citoyen s’engage à son échelle pour pouvoir activer ce levier mais que celui-ci est loin d’être suffisant. Il faut cesser l’opposition quasi dogmatique entre l’action individuelle et l’action collective, les uns renvoyant sans cesse la balle aux autres, et cette façon d’aborder le problème sous le prisme du « qui doit agir en premier », ou encore du « à qui la faute quant à l’inaction climatique ». Nous n’avons plus le temps pour cela. Le citoyen doit activer les 25 % possibles car lui seul peut agir sur ce maillon. Parallèlement, l’État doit mettre en place une vraie politique sur le sujet, et non pas des simulacres de loi climat. L’injonction permanente à l’effort individuel comme seul levier n’est plus audible. La responsabilité des pouvoirs publics et des entreprises est majeure. Pour gagner le combat contre le changement climatique, il est nécessaire de transcender le maillon individuel, et le citoyen a ainsi un rôle à jouer dans l’action collective. La fresque du climat s’adresse donc aux citoyens, aux pouvoirs publics et aux entreprises. La première étape pour aller vers l’action est de comprendre les enjeux.

Isaure Adam est animatrice bénévole de La fresque du climat.

Cause commune • novembre/décembre 2021