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Le numérique représente un espace de coconstruction et de réappropriation des savoirs dont il est important de s’emparer pour les structures d’éducation populaire.

Depuis les années 2010, nous sommes entrés dans un troisième cycle de l’éducation populaire grâce à l’émergence de nouveaux formats d’accompagnement – comme le tutorat – portés par les mouvements associatifs notamment, avec le mérite de parvenir à engager la jeunesse dans un relationnel plus axé sur une relation de tandem : c’est le cas de l’Association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV) qui recrute dans les universités auprès des étudiants, eux-mêmes pas toujours familiers de cette culture de l’éducation populaire. L’accompagnement se fait par la mise en relation directe de deux personnes qui se transmettent des connaissances et qui passent bien souvent par des pratiques numériques peu institutionnalisées, telles que l’échange de vidéos ou de vocaux sur des applications de messagerie, ou de vidéos éducatives faites par des vloggers, issues de TikTok, YouTube ou Twitch.

Accessibilité des savoirs
Derrière la créativité que favorisent ces nouveaux supports, on trouve une volonté de rendre des discours scientifiques plus accessibles grâce à d’autres formats mais aussi à d’autres manières de structurer des savoirs. On pense aux capsules vidéos qui n’auraient pas le même effet sur des sites institutionnels, comme celles de Linguisticae (423 k abonnés en moyenne) qui ont rendu la linguistique visible au quotidien ou de la chaîne @ToutSeComprend (8,2 k abonnés) sur la physique-chimie créée par un docteur. Ayant connu un pic d’abonnés pendant le confinement, ces chaînes sont parvenues à fidéliser leur public, en raison de l’adhésion à cette conviction que l’accès aux connaissances est un moyen de s’émanciper des discours des grands médias qui alimentent les réseaux sociaux avec des fake news.

« En utilisant les mêmes processus éducatifs que ces vloggers, il s’agirait par exemple de créer des rendez-vous réguliers avec le public pour décrypter conjointement des capsules trouvées sur les réseaux. »

Ces pratiques questionnent bien évidemment la manière dont le numérique peut être un atout pour la diffusion des savoirs et leur renouvellement. Le succès de ces plateformes repose sur plusieurs facteurs :
• la lisibilité et l’accessibilité des contenus ;
• l’interaction en direct avec une communauté ;
• l’accessibilité économique (facturés une quarantaine d’euros par heure, les cours de soutien deviennent inaccessibles aux classes populaires).

Espace de co-construction et de réappropriation des savoirs
Outre sa capacité à rapprocher les individus et à rendre accessibles des connaissances qui ne l’étaient pas jusque-là (citons, à titre d’exemples, les personnes en situation de handicap), le numérique représente un espace de coconstruction et de réappropriation des savoirs dont il est important de s’emparer pour les structures d’éducation populaire. Il s’avère justement être un bon prétexte à la discussion, comme la télévision et le cinéma ont pu l’être, dans les années 1980, au sein d’ateliers proposés par les centres sociaux.

« Derrière la créativité que favorisent ces nouveaux supports, on trouve une volonté de rendre des discours scientifiques plus accessibles grâce à d’autres formats mais aussi à d’autres manières de structurer des savoirs. »

L’appropriation des pratiques numériques nécessite une littéracie adaptée, à savoir une appréhension différente de ces écrits ainsi qu’un apprentissage à décrypter les informations journalistiques. En effet, il faut être mis en garde face à la vitesse de diffusion des savoirs. La même prévention importe pour s’assurer de la véracité des discours, particulièrement au niveau des discours politiques et scientifiques. Les structures d’éducation populaire ont donc le rôle de créer un lien de discussion et de médiation autour de ces nouveaux contenus éducatifs afin d’attirer des publics renouvelés et de recréer une relation de confiance. À travers son ouvrage Grandir connectés, la chercheuse Anne Cordier évoque avec justesse la familiarisation à l’objet technique comme un prétexte à la discussion de la véracité des informations et à l’élaboration d’une réflexion critique chez ces publics. En utilisant les mêmes processus éducatifs que ces vloggers, il s’agirait par exemple de créer des rendez-vous réguliers avec le public pour décrypter conjointement des capsules trouvées sur les réseaux.

Sabrina Royer est maître de conférences en sciences du langage et didactique du français langue étrangère à l’université d’Avignon.

Cause commune36 • novembre/décembre 2023