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La situation éducative est particulièrement préoccupante dans les outre-mer. Plus que partout ailleurs sur le territoire national, l’illettrisme constitue une problématique majeure. La question de la place de l’apprentissage des langues régionales est également posée.

État des lieux de l’enseignement scolaire dans les cinq départements d’outre-mer
Les cinq académies ultramarines présentent toutes des caractères spécifiques qui déterminent partiellement la performance de leur système éducatif. En premier lieu, elles sont de taille similaire, la population scolarisée, à l’exception notable de La Réunion, y étant nettement inférieure à celle des plus petites académies hexagonales. Toutefois, la part de jeunes scolarisée dans la population totale est en moyenne supérieure à celle du territoire métropolitain. L’insularité, concernant quatre des académies, entraîne également des contraintes liées à l’aménagement du territoire, en particulier en matière de transports scolaires, problématique qui se retrouve par ailleurs en Guyane. Le temps effectif d’étude, sensiblement inférieur à celui observé dans l’hexagone, est en effet affecté par l’insuffisance des transports scolaires.

« Près de six jours d’enseignement sont perdus par an en moyenne en outre-mer en raison d’une absence de remplacement. »

Il convient toutefois de se garder de l’illusion d’une complète homogénéité entre les différents territoires. Chacun d’entre eux soulève des enjeux différents impliquant des réponses différenciées de l’État. Les évolutions démographiques, notamment, sont difficilement comparables. Ainsi, en dix ans, la Martinique a perdu plus de 20 % des élèves quand Mayotte en gagnait l’équivalent. Le contexte social n’est pas non plus identique du fait d’écarts importants de niveau de vie. En outre, Mayotte ne dispose d’un rectorat de plein exercice que depuis janvier 2020, quarante ans après que le premier lycée y a été implanté, quand les autres académies disposent d’un système scolaire ancien et d’une gestion rectorale bien implantée localement. En Guyane, entre 3 % et 10 % de la population en âge d’être scolarisée ne le serait pas, mais ce taux se situerait à plus de 30 % pour Mayotte. Les établissements scolaires sont en nombre insuffisant en dépit d’un rythme de construction soutenu, les locaux étant très souvent surchargés.

« Les langues régionales peuvent être utilisées comme vecteur d’apprentissage du français à condition toutefois que du matériel adapté soit mis à disposition des enseignants, notamment des manuels bilingues. »

Par ailleurs, la question linguistique est un enjeu majeur. Au-delà de la problématique de la valorisation des langues régionales, il s’agit d’intégrer au système scolaire un nombre considérable d’élèves allophones, par exemple à Mayotte où près de 50% de la population est étrangère.

Des moyens octroyés à l’Éducation nationale
Malgré les faiblesses des dispositifs mis en place, il faut tout de même souligner l’intervention continue de l’État dans les académies ultramarines, qui conduit à ce que les dépenses du ministère de l’Éducation nationale s’y élèvent à plus de 4 milliards d’euros, dont 40 % pour La Réunion et un tiers pour les Antilles.
Le coût de l’enseignement outre-mer par élève est nettement supérieur à la moyenne nationale, de 30 % en moyenne, chiffre qui s’élève à 65 % pour la Martinique et 45 % pour la Guadeloupe. Mais le principal facteur expliquant le coût de l’éducation découle des primes et sur-rémunérations versées aux agents. Celles-ci conduisent à ce qu’en moyenne, un enseignant certifié gagne environ deux tiers de plus lors de sa titularisation et 50 % de plus à cinq ans d’ancienneté qu’un enseignant en métropole.

Ce point nous permet de nous arrêter sur ceux sans qui il n’y aurait pas d’éducation nationale : les enseignants. Ils sont nombreux à vouloir s’installer à La Réunion par exemple. Mais surtout, les enseignants originaires de nos territoires veulent revenir y enseigner. Je reçois ainsi chaque jour des demandes de mutation de Réunionnais qui souhaitent rentrer au pays pour en faire bénéficier nos marmay. Cela montre le grand attachement des ultramarins au développement de leur territoire. S’il y a un sureffectif d’enseignants dans ces territoires, celui-ci ne se traduit malheureusement pas par une amélioration de la gestion des remplacements. Bien au contraire, celle-ci s’avère très défaillante et conduit à un taux de remplacement dans le premier degré trois fois moindre que celui observé dans l’hexagone. Près de six jours d’enseignement sont perdus par an en moyenne en outre-mer en raison d’une absence de remplacement.
Une des particularités des académies d’outre-mer réside dans l’utilisation massive du réseau d’éducation prioritaire (REP). Ainsi, la Guyane est intégralement classée en REP + depuis 2016 ; Mayotte est classée en REP depuis 2018, et la moitié des élèves y sont scolarisés en REP +. Le problème est qu’il existe des difficultés d’adaptation aux réalités territoriales. Ainsi, à défaut d’un nombre suffisant de formateurs et de coordinateurs, les enseignants ne disposent pas d’autant d’outils que leurs collègues de l’hexagone. En Martinique et à La Réunion, un tiers des enfants scolarisés dans le primaire et au collège est ainsi en éducation prioritaire.

L’illettrisme, une question toujours centrale
Une personne est illettrée quand elle n’a pas une maîtrise suffisante de la lecture et de l’écriture pour être autonome dans les situations simples de la vie courante, et cela malgré le fait qu’elle soit allée à l’école.
L’illettrisme est largement sur-représenté en outre-mer. Le taux de jeunes en situation d’illettrisme est plus du double de celui constaté en moyenne en France pour les Antilles et La Réunion, cinq fois supérieur pour la Guyane et sept fois pour Mayotte. Selon les dernières données disponibles, en 2019, 11,8 % des jeunes de 16 à 26 ans rencontraient des difficultés dans le domaine de la lecture sur le territoire national. En Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, ce taux atteint les 30 % et 45 % en Guyane. Cette problématique touche même plus des trois quarts des élèves de Mayotte.

« En Guyane, entre 3 % et 10 % de la population en âge d’être scolarisée ne le serait pas, mais ce taux se situerait à plus de 30 % pour Mayotte. »

La Cour des comptes, dans son rapport de 2020 sur l’enseignement dans les outre-mer, souligne que, si aux Antilles et à La Réunion le niveau moyen des élèves du premier degré est nettement insuffisant, « les résultats de la Guyane et de Mayotte sont extrêmement préoccupants, tant pour les niveaux obtenus en CP et en CE1 que pour la considérable dégradation entre CP et CE1 ».
Le rapport parlementaire présenté par la délégation outre-mer de l’Assemblée nationale sur l’enseignement précisait d’ailleurs que notre premier défi est de parvenir à vaincre l’illettrisme. Ce fléau peine à diminuer dans l’île. Entre 115 et 120 000 Réunionnais sont touchés par l’illettrisme, et cela ne concerne pas uniquement les plus âgés. Plus de 25 % des jeunes Réunionnais qui participent aux journées Défense et citoyenneté rencontrent des difficultés de lecture, alors que la moyenne nationale est aux alentours de 9 %.

Une réponse par l’apprentissage des langues régionales ?
La pratique des langues régionales (13 en Guyane, 2 à Mayotte, 1 à La Réunion) pourrait contribuer à remédier à cette problématique. À La Réunion, 30 % des enfants ont le créole réunionnais comme langue maternelle à la maison. Ces langues peuvent être utilisées comme vecteur d’apprentissage du français à condition toutefois que du matériel adapté soit mis à disposition des enseignants, notamment des manuels bilingues.
La question linguistique dans les outre-mer doit faire l’objet d’une attention particulière. Les enseignants doivent pouvoir bénéficier d’une formation, tant pour les sensibiliser au sujet des langues locales que pour leur permettre de développer des pratiques pédagogiques adaptées.
Afin de développer un véritable bilinguisme et d’améliorer la pratique du français académique, l’intégration parmi les enseignements d’exercices d’expression orale est à approfondir. En Martinique, le rectorat a par exemple mis en place le projet Expression orale libre (EOL), consistant dans la prise de parole libre d’un élève par jour pendant l’intégralité de sa scolarité, durant cinq minutes et sur un sujet de son choix.
Concernant les langues régionales, nous sommes nombreux à mener un combat pour que l’enseignement en créole soit accepté et reconnu. Je suis présidente du groupe d’études sur les langues régionales à l’Assemblée nationale et je souhaite porter la voix de tous les ultramarins en disant que l’apprentissage de nos langues doit être rendu nécessaire, voire obligatoire à l’école.

Karine Lebon est députée (PLR) de La Réunion.

Cause commune n° 34 • mai/juin 2023