Par

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Martha Desrumaux ou l’Émancipation

Geai Bleu Éditions, 2021
Emmanuel Defouloy

par Marine Miquel
Ouvrière du textile, dirigeante syndicale à la CGT (CGTU en 1922) et cadre du PCF, seule femme participant aux accords Matignon, en juin 1936, Martha Desrumaux fut chargée, dès juillet 1940, d’organiser des grèves dans le bassin minier, dans l’Europe occupée ; arrêtée, elle est déportée au camp de Ravensbrück en mars 1942, aux côtés de Jeanne Tétard, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Geneviève de Gaulle et Germaine Tillon ; à la Libération, elle est élue adjointe au maire de Lille puis fait partie, en 1946, des seize premières femmes députées et devient secrétaire de l’union départementale-CGT du Nord. L’effacement mémoriel des combats des militants communistes par les gouvernements successifs fait qu’elle n’a toutefois pas, malgré le combat de l’association Les ami.e.s de Martha Desrumaux, animée par l’infatigable Pierre Outteryck, encore obtenu sa place au Panthéon. Emmanuel Defouloy, journaliste, propose de faire revivre sa figure et ses luttes auprès de la jeune génération, en publiant ce court roman, qui se lit d’une traite, destiné aux enfants de plus de douze ans – mais qui pourra aussi profiter à leurs parents ! – dans lequel il laisse la parole à Martha Desrumaux, pour raconter « toute une vie pour l’émancipation et les droits des femmes, et pour la dignité des classes populaires ». Si l’emploi du « je » rend le récit plus vivant et incarné, il est aussi l’occasion d’entendre encore un peu Martha Desrumaux en personne, l’auteur ayant utilisé les témoignages écrits et oraux de cette dernière dans la réalisation de l’ouvrage. 

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Don Quichotte à Versailles. L’imaginaire médiéval du Grand siècle

Éditions Champ Vallon, 2022
Marine Roussillon

par Marine Miquel
Marine Roussillon, responsable au PCF de l’éducation et l’en­seignement supérieur et la recherche, maîtresse de confé­rences en littérature française à l’université d’Artois, publie cette année aux éditions Champ Vallon l’ouvrage issu de sa thèse, dirigée par Alain Viala, Don Quichotte à Versailles. L’imaginaire médiéval du Grand Siècle, qui porte sur l’utilisation, dans les productions artistiques du siècle de Louis XIV, de l’imaginaire médiéval, tel qu’il était développé à cette époque (celui d’un Moyen Âge élargi à la Renaissance, mêlant les romans de la Table ronde aux épopées, ainsi qu’aux romans du XVIe siècle, comme le Roland furieux). Contrairement à ce que l’on apprend parfois dans les histoires littéraires, l’âge classique ne se construit pas en effet en rupture avec la référence au Moyen Âge ; bien au contraire, cet imaginaire médiéval est au cœur d’une redéfinition conflictuelle des rapports entre arts et pouvoir, qui se joue sous la monarchie absolue, et dont nous sommes encore aujourd’hui les héritiers. L’ouvrage intéressera ainsi bien au-delà des spécialistes de l’âge classique ou des études littéraires et artistiques : comme le signale son titre, Marine Roussillon y mène une réflexion interrogeant les rapports du plaisir au politique. Le noble espagnol, héros du roman de Cervantès traduit en France en 1614, qui se trouve emporté par ses lectures de romans de chevalerie, au point de les croire vrais, est en effet l’archétype de la dangerosité de la lecture et du plaisir qu’elle engendre : plaisir gratuit, dépourvu d’utilité intellectuelle ou morale, mais surtout doté du pouvoir de faire adhérer aux représentations qu’elle propose. L’imaginaire chevaleresque, aux XVIIe et XVIIIe siècles, sert à construire une communauté de plaisir et d’intérêt regroupant milieux mondains, érudits, auteurs et éditeurs, qui investit le passé médiéval de valeurs modernes, nationales et galantes, propres à séduire un public élargi avec l’extension du marché du livre, et suscitant l’adhésion aux valeurs monarchiques. Le pouvoir royal, à travers les fêtes qu’il organise dès les années 1660, s’empare alors de cet imaginaire, ce qui lui permet de placer progressivement à son fondement de nouvelles valeurs, au moment où il redéfinit, de manière parfois violente, son rapport à la noblesse : l’imaginaire de la chevalerie galante ainsi mobilisé l’autorise à revendiquer, non plus le modèle chrétien de l’élection divine, mais celui du mérite et de l’action personnelle d’un souverain qui construit un pouvoir agréable, propre à susciter le plaisir des courtisans. La production de divertissements à la cour de Louis XIV n’est donc pas un acte anodin, ni le monopole de professionnels répondant à des commandes, mais bien un acte de pouvoir. Dans le contexte de la fin du règne de Louis XIV, marqué par la guerre et la dévotion, cet usage du plaisir associé à l’imaginaire médiéval évolue toutefois à nouveau : il n’apparaît plus que comme un divertissement dépolitisé, à distance du pouvoir (même s’il est toujours à son service). Se développe dans le même temps une série de polémiques par lesquelles la littérature et les arts se séparent du politique et se dotent de valeurs autonomes, encadrant, suivant un retour à la hiérarchie des genres et des publics (les femmes se voyant disqualifiées comme auteures et comme lectrices), les conditions d’un plaisir légitime, qui se voit renvoyé au domaine privé et se coupe du politique. En retraçant cette évolution conflictuelle, l’ouvrage nous invite à questionner l’évidence actuelle d’un art visant le plaisir du public de manière apolitique et universelle, et ainsi à dépasser les craintes parfois suscitées, à l’intérieur des milieux artistiques et littéraires, par les questionnements politiques et moraux qui leur sont aujourd’hui posés (la distinction entre l’homme et l’œuvre, par exemple), en reprenant conscience des enjeux politiques et sociaux de la littérature et des arts : une invitation à sortir nos propres plaisirs de leur dépolitisation, à les questionner et à nous les réapproprier, à l’heure du soft power, de la société du spectacle ou du capitalisme de la séduction. 

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Organiser le monde. Une autre histoire de la guerre froide

Seuil, 2021
Sandrine Kott

par Raphaël Charlet
« Interroger la guerre froide à partir des organisations internationales saisies comme des acteurs et des observatoires mondiaux », tel est l’objectif que se fixe Sandrine Kott, professeure d’histoire contemporaine de l’Europe à l’université de Genève, tout au long de cet ouvrage. Découpé en six chapitres, dont chacun traite d’une période de l’histoire de la guerre froide et des thématiques particulières qui s’y rapportent, ce travail largement documenté utilise les organisations internationales, gouvernementales ou non, comme des instances à partir desquelles étudier les évolutions politiques d’un monde sous tension, et fait ressortir leur rôle central dans cette période d’intenses et de fréquents bouleversements des rapports de force géopolitiques. Entre moyens de coopération et instruments de pouvoir, celles-ci ont été amenées tantôt à jouer les médiatrices, tantôt à servir de lieux d’expression pour les puissances les moins audibles sur le plan géopolitique, comme le fut notamment l’Assemblée générale des Nations unies pour de nombreux États.
À travers ces postes d’observation que sont les organisations internationales, on peut également voir se dessiner les contours des stratégies mises en place par les différents acteurs du jeu politique international de la seconde moitié du XXe siècle, dans lesquelles ces instances jouent un rôle central. Le travail de Sandrine Kott propose donc une nouvelle vision de la guerre froide, sous un angle particulier qui englobe finalement la totalité de ses aspects. Il nous invite à nous pencher à nouveau sur cet épisode bien connu de l’histoire du monde, et consiste en une nouvelle pierre apportée à l’important édifice de littérature scientifique qui s’est construit autour de celui-ci. Entre exposition des faits et analyse, il incite son découvreur à la réflexion, et peut être sujet à débat concernant certains passages. L’ouvrage consiste donc en un intéressant travail de recherches et d’études, qui n’est pas « à prendre ou à laisser », mais à lire.

Cause commune30 • septembre/octobre 2022