Par

Entre timides victoires sociales, promesses creuses et retour de l'austérité, les espoirs d'une Europe sociale ont été très limités…

L’Europe sociale. Cette grande promesse reste aujourd’hui un mirage. Personne à gauche n’en disconviendra. La social-démocratie n’a toutefois pas cessé de répéter que nous allons dans la bonne direction. Elle se servira de victoires prudentes comme la directive sur le salaire minimum, pour prouver que nous serions bel et bien en route pour l’Europe sociale. Fondamentalement, c’est la thèse de l’Europe imparfaite, inaccomplie, qu’il faudrait renforcer. Peu importe qu’en réalité ces victoires partielles aient été arrachées par les syndicats et les travailleurs après des années de lutte contre les institutions européennes, la social-démocratie y voit une preuve d’une fantomatique Europe sociale. Cela vaut pour la directive sur le salaire minimum ou la fixation de règles plus strictes sur l’amiante en faveur de la santé des travailleurs. Cela aurait aussi valu pour la directive pour les travailleurs des plateformes, imposée à l’agenda par une mobilisation des travailleurs et de leurs organisations, soutenue par les eurodéputés de gauche.

Plans d’austérité et attaque des droits sociaux
La réalité est tout à fait autre. Cette législature aura préparé la plus grande attaque contre les droits sociaux depuis longtemps : le retour de l’austérité. Après la crise financière de 2008, la Grèce a été contrainte de mettre en œuvre des mesures d'austérité draconiennes. Plusieurs autres pays européens, dont l'Espagne, le Portugal, l'Irlande et l'Italie, ont également mis en œuvre des programmes de ce type. Les conséquences se sont avérées à chaque fois catastrophiques. Les mesures d'austérité se sont traduites par une réduction du financement des services publics essentiels tels que les soins de santé, l'éducation et les programmes de protection sociale. Ces mesures ont eu une influence sur la disponibilité et l'efficacité des services : temps d'attente plus longs pour les opérations chirurgicales, classes surpeuplées à l'école et accès réduit aux aides et prestations sociales. Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po, dit même que les dépenses sociales, considérées comme un poids pour l’économie, sont les premières concernées par les plans d’austérité.
C’est devenu un fait connu : les hôpitaux en Europe sont en sous-effectif et peinent à soigner correctement, les écoles n’ont plus de moyens, les services publics dans leur totalité s’étiolent. Près de la moitié des Européens hésitent à allumer le chauffage, qui coûte trop cher. Les transports publics se dégradent et ne répondent plus aux besoins des travailleurs, l’âge de la retraite est revu à la hausse, les logements sont trop chers et mal isolés.
Cette dégradation visible au jour le jour de nos acquis sociaux n’est pas le fait d’une évolution naturelle. Elle est le résultat d’attaques répétées, ciblées et organisées à l’encontre des droits sociaux. Elle est le résultat de coupes budgétaires dans les services publics, qui sont soumis à une privatisation impitoyable, faisant baisser leur qualité tout en en augmentant le coût. L’une des arènes dans lesquelles cette casse s’opère se trouve au niveau européen, dans les salles feutrées du conseil de l’Union européenne, de la commission et du parlement européens.
Lors de la covid-19, le pacte de stabilité et de croissance, un des piliers de la gouvernance économique, a été suspendu. En d’autres mots, en à peine deux semaines, toutes les règles européennes – sacro-saintes – ne valaient plus rien. Il fallait sauver l’économie, les entreprises. Revendication systématiquement ridiculisée par les partis traditionnels pendant la campagne électorale, la suspension de l’austérité demandée par la gauche authentique venait d’être appliquée. Face à l’urgence, c’était du bon sens. Des années d’austérité nous avaient laissés désarmés face à toute pandémie, avec des hôpitaux en état d’urgence avant même l’arrivée de la covid-19.

Le retour des règles budgétaires
Hélas, celles et ceux qui croyaient que les institutions européennes avaient vu la lumière grâce à la pandémie et changeraient de cap définitivement, se trompaient. Depuis la suspension du pacte de stabilité, la Commission européenne, soutenue par les gouvernements des États-membres, a systématiquement, une fois par an, proposé le retour des règles budgétaires. Différents rapports approuvés par une majorité du Parlement européen allaient aussi dans ce sens.
Sans surprise, après une pause de quatre ans, les institutions européennes et les gouvernements – y compris les sociaux-démocrates du continent – ont décidé de revenir à l'austérité en imposant des coupes budgétaires pouvant aller jusqu'à 100 milliards d'euros l'année prochaine. Avec dans le poste de pilotage la commission, mais aussi les gouvernements nationaux, c’est une casse sociale énorme qui se prépare. Les règles seront à certains égards plus strictes encore que les critères de Maastricht. Pour les pays qui ne respectent pas les objectifs, une réduction du déficit structurel à 1,5 % est envisagé. Maastricht parlait de 3 %. Il s'agit d'une attaque contre les conquêtes sociales, dont on exigera des baisses de salaires ou une hausse ultérieure de l’âge de la retraite. En Belgique, par exemple, le système d’indexation automatique des salaires est en ligne de mire de l’Union européenne.
La fédération de syndicats européens de l’industrie Industriall regrette : « Après la crise Covid 19 et la crise du coût de la vie, les citoyens européens attendaient une réforme différente qui aurait plutôt assuré la solidarité européenne et mis les finances publiques au service de la création d'emplois de qualité, de services publics forts, de la protection des personnes et d'une convergence sociale vers le haut. »
Ces règles représentent également un grave problème au niveau démocratique, car elles enferment les futurs gouvernements aux différents niveaux dans un carcan budgétaire intenable pour les années à venir.

Des alternatives mises sur la table
La gauche au Parlement européen s’est systématiquement opposée au retour de ces règles. Avec les syndicats, nous avons alerté sur les conséquences et montré que leur adoption n’était pas du tout une fatalité. Au conseil un seul pays pouvait bloquer, puisque le bras correctif du pacte requiert une approbation à l’unanimité.
L’austérité est un choix. Le choix de la destruction sociale. Le choix d’offrir nos services sociaux au secteur privé, pour le profit.
Nous avons mis sur la table des alternatives. La mise en œuvre d'une politique fiscale équitable ciblant les grandes entreprises et les milliardaires peut faire partie des solutions de financement. Parallèlement, un vaste programme d'investissement public européen, soutenu par la Banque centrale européenne et la Banque d'investissement, dans leurs capacités respectives, peut aider à surmonter les inégalités structurelles entre les États membres et les régions grâce à une spirale vers le haut. Nous avons souligné le besoin de rompre avec la politique autodestructrice de la BCE qui rend tout emprunt collectif plus cher par la hausse des taux d’intérêt.
Mais, surtout, nous avons été dans la rue avec les travailleurs et leurs syndicats. Parce qu’il est clair que la seule façon d’arrêter le bain de sang social ce sera la mobilisation. Des travailleurs. En Europe. Et comme les travailleurs des plateformes, ceux de RyanAir, ceux d’Amazon, nous ne lâcherons rien face à cette union du capital. 

Marc Botenga est député européen du Parti du travail de Belgique (PTB).

Cause commune n° 38 • mars/avril/mai 2024