Souvent baptisée « la décennie révolutionnaire », les années 1970 sont une période contradictoire, marquée par un esprit fortement contestataire, mais amorçant aussi un basculement vers le néolibéralisme. Pour le PCF, trois mots résument cette séquence : renouvellement, espoirs et désillusion.
La décennie 1970 est portée par le souffle de 1968, une contestation systématique dans tous les domaines de la vie économique, sociale, culturelle, une volonté de libération des mœurs, des aspirations féministes, écologistes, une démarche antiautoritaire discutant toutes les conventions sociales.
Un souffle contradictoire après 1968
En même temps, derrière cette spectaculaire effervescence, on peut observer les premiers signes d’une crise durable du système (Georges Marchais pointe la crise dans un article fameux de 1971), crise qui va charrier des idées régressives. L’opinion bouge, mais pas toujours dans le sens de l’émancipation. Des notions progressistes sont attaquées, des valeurs collectives se voient concurrencées par une idéologie libérale qui s’affirme. La demande de nationalisations par exemple commence à perdre de son crédit. Il n’est pas évident dans le tumulte ambiant d’identifier ce début de retournement de l’opinion, mais une enquête (1983), à initiative de la direction du PCF, et conduite par des sociologues communistes, montrera que les idées de fatalité de la crise, voire d’acceptation des sacrifices, s’installent peu à peu.
« Le XXIIe congrès rejette la notion de dictature du prolétariat et il marque un véritable aggiornamento en partie acquis, il est vrai, à la hussarde. »
Le défi démocratique
C’est dans cet environnement contradictoire que le PCF va mener deux grands chantiers : rénovation idéologique et démarche unitaire. 1968 bouscule la direction du PCF. Le puissant mouvement de contestation sociale, politique et idéologique en France mais aussi (et tout autant) la crise tchécoslovaque (et l’intervention des « pays frères » à Prague) stimulent la réflexion communiste. Cette double crise, française et internationale, conduit le PCF à préciser sa stratégie, sa doctrine et sa conception du socialisme. À approfondir sa démarche démocratique. D’où le « Manifeste de Champigny » (décembre 1968) avec ses nouveautés (sur socialisme et démocratie) et ses limites (la notion de dictature du prolétariat y est préservée). Ce travail sur la doctrine et les valeurs est relancé avec la publication du livre de Georges Marchais, Le Défi démocratique (Grasset, 1973). Depuis la disparition tragique de Waldeck Rochet en 1969 (pour maladie), c’est lui qui va incarner le PCF durant toute cette période. L’idée de l’ouvrage est de répondre à un air du temps selon lequel le PCF serait un parti hostile aux libertés. Ce thème, entretenu autant par la droite que par le PS, est nourri par l’actualité des pays de l’Est (dissidence, droits de l’homme, bientôt la crise polonaise). Il s’agit pour Georges Marchais de signifier l’engagement démocratique du parti, de marquer aussi une forte innovation idéologique. L’ouvrage assure que « l’alternance fonctionnera en toutes circonstances et pour tous ». Dans le socialisme, « les partis d’opposition auront toute leur place », de même qu’aura sa place, dans la France socialiste, « la propriété privée. C’est évident, qu’il s’agisse de l’appartement, de la voiture, de la résidence secondaire et de tout ce qui est nécessaire et agréable à la vie ». Le livre est l’occasion d’une prise de distance avec les pays socialistes. « Parce que l’expérience soviétique s’inscrit dans un contexte historique bien déterminé, il serait absurde de prétendre en faire un modèle impératif. » L’essai parle de Staline « et des dramatiques violations de la légalité socialiste commises sous sa responsabilité » (la formule est prudente ; il faut attendre 1975 pour une condamnation plus catégorique). Bref, « le socialisme que nous voulons chez nous aura les couleurs de la France ».
Le XXIIe Congrès
Ce travail se confirme en avril 1975 avec la présentation d’un projet de déclaration des libertés que le PCF propose de faire figurer en préambule de la Constitution. Mais l’acte politique fort, solennel, de cette rénovation sera le XXIIe congrès du PCF de 1976, une date majeure dans l’histoire communiste. « Il faut ouvrir en France, dit Georges Marchais, une ère nouvelle de démocratie et de liberté. La démocratie, la liberté, c’est aujourd’hui le terrain principal du combat de classe, du combat révolutionnaire. » Le congrès rejette la notion de dictature du prolétariat et il marque un véritable aggiornamento en partie acquis, il est vrai, à la hussarde.
« Le puissant mouvement de contestation sociale, politique et idéologique en France mais aussi (et tout autant) la crise tchécoslovaque (et l’intervention des “pays frères” à Prague) stimulent la réflexion communiste. »
Durant les dernières années de cette décennie, cette recherche semble un moment s’amplifier avec le positionnement nouveau du PCF dans le mouvement communiste international. Les relations avec les Soviétiques sont devenues franchement exécrables, alors même que de nombreux partis communistes du monde capitaliste convergent sur une même analyse de la crise, de la sortie de crise et d’un socialisme réconcilié avec la démocratie. Des relations nouvelles se tissent entre le PCF et le PC d’Italie, une similitude qui est vite appelée (par les média) « eurocommunisme ». « Nous (PC d’Europe) avons des situations analogues auxquelles nous apportons des réponses convergentes. [...] Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis 1917 et les conditions existent aujourd’hui pour utiliser une voie démocratique pour aller vers une société socialiste qui élargira toutes les libertés individuelles et collectives. Si c’est cela que l’on appelle l’eurocommunisme, eh bien nous sommes d’accord », note Georges Marchais. L’eurocommunisme prend ses distances avec l’Est, constatant qu’entre « eux » et « nous », ce n’est désormais plus seulement des différences d’appréciation politique, mais une différence de « conception » du socialisme.
« Il s’agit pour Georges Marchais de signifier l’engagement démocratique du parti, de marquer aussi une forte innovation idéologique. »
Pourtant, ce travail de rénovation, à peine lancé, est interrompu (résistances de toutes sortes, problèmes de calendrier électoral, crise italienne aggravée, etc.). Bref, l’eurocommunisme est mort-né.
Et le « Programme commun » ?
Second grand chantier communiste de cette décennie : la recherche d’une solution alternative au pouvoir. Elle passe par l’élaboration d’un programme communiste de sortie de crise (« Changer de cap », 1971), conçu comme une étape vers un programme commun de la gauche (printemps 1972). Cette idée de programme commun avait été formulée dès le XVIIe congrès, en 1964.
On constate assez vite cependant que cette signature de programme commun, électoralement, profite d’abord à la social-démocratie ; la présence de François Mitterrand comme candidat unique de la gauche dès le premier tour de la présidentielle de 1974 (il y eut le précédent de 1965) ne fait qu’accentuer ce « rééquilibrage » que réclame le PS. Les municipales de 1977 (des villes comme Béziers, Le Mans, Reims, Saint-Étienne, Bourges, Tarbes se donnent un maire communiste), les législatives de 1978, puis les premières élections européennes de 1979 créent sans doute des illusions dans les milieux communistes sur l’état réel du rapport des forces à gauche. Rude retour à la réalité avec le premier tour de la présidentielle de 1981 où le Parti communiste, en dépit d’une campagne militante remarquée, perd un quart de son électorat, une tendance à l’effritement qui était déjà à l’œuvre tout au long de la décennie 1970 et qui ne fera que s’amplifier ensuite.
Gérard Streiff est historien. Il est docteur en histoire contemporaine de Sciences-Po.
Choquée par le résultat du premier tour de la présidentielle de 1981, la perte d’un électeur sur quatre, la direction communiste veut comprendre qui sont ces « partants ». A l’automne 1982, Georges Marchais demande à Michel Simon, un sociologue communiste de l’université de Lille, de mener une enquête avec la Sofres . Les résultats sont présentés le 17 mai 1983 au bureau politique par Georges Marchais. Pour ces ex-électeurs, le PCF a l’image d’un parti sectaire, qui en demanderait trop, trop lié aux pays de l’Est, eux-mêmes devenus un repoussoir. Et, surtout, cette étude permet de vérifier une certaine dérive à droite de l’opinion, sur les nationalisations, l’austérité, la fatalité de la crise, etc.
Voir Marchais, Arcanes 17, p. 56-60.
Cause commune n° 14/15 • janvier/février 2020