Par

En 1944, le Parti communiste français participe au gouvernement pour la première fois de son histoire. Alors qu’en 1936, le parti avait préféré représenter le « ministère des masses » plutôt que de siéger au sein du gouvernement du Front populaire, il accepte au contraire en 1944 la proposition du général de Gaulle de faire partie du Comité français de libération nationale (CFLN). Il faut dire qu’entre temps la guerre a changé les équilibres politiques, autant que les mentalités.

Le Parti communiste, interdit depuis le 26 septembre 1939, condamné à la clandestinité, joue un rôle majeur dans la Résistance intérieure. De Gaulle ne peut donc pas imposer son hégémonie sur l’ensemble des composantes de la Résistance sans obtenir le soutien des communistes. Ces derniers attendent de leur côté la reconnaissance de leur caractère national et de leurs sacrifices pour la libération de la France.
L’idée de la participation des communistes au gouvernement s’impose progressivement comme nécessaire. Dès l’été 1943, de Gaulle en fait la proposition à la délégation du comité central en Afrique du Nord. Fin août, un accord de principe y est apporté, complété le 3 octobre par des instructions détaillées. Les communistes acceptent de participer à condition que le chef du gouvernement s’engage à ce que tous les moyens soient mis en œuvre pour la poursuite de la guerre et le châtiment des traîtres, à mener une politique démocratique et sociale apte à galvaniser le peuple résistant, à une politique d’union envers les colonies et, enfin, à l’accroissement du rôle de la France dans le bloc des Nations unies pour restaurer sa grandeur.

Parti de gouvernement et de rassemblement
Se pose encore la question du choix des ministres. Une trentaine d’années plus tard, dans Quand nous étions ministres, François Billoux rappelle que de Gaulle, en tant que président du CFLN, « voulait choisir lui-même les communistes appelés à faire partie du gouvernement, tandis que [les communistes] entend[aient] y désigner [leurs] représentants ». Le PCF se présente alors comme un parti de gouvernement et de rassemblement, celui de l’ensemble du peuple français. Il entend ainsi apparaître comme le plus fervent défenseur du programme du Conseil national de la Résistance, adopté le 15 mars 1944. Finalement, le 4 avril 1944, François Billoux est nommé commissaire d’État et Fernand Grenier commissaire à l’Air du CFLN, qui devient gouvernement provisoire de la République française (GRPF) en juin. En septembre, Charles Tillon remplace Fernand Grenier à l’Air, tandis que Billoux récupère le portefeuille de la Santé publique. Cette nomination « parachève l’intégration symbolique du PCF dans la communauté nationale », comme le note Julian Mischi dans Le Parti des communistes. Histoire du Parti communiste francais de 1920 à nos jours (Hors d'atteinte, 2020).

« En novembre 1946, le PCF obtient le plus grand succès électoral de son histoire, avec 28,3 % des suffrages. »

Son influence politique ne cesse de croître et se traduit électoralement : premier parti de France aux élections législatives d’octobre 1945 avec 26,2% des suffrages, le PCF revendique la direction du gouvernement. Le général de Gaulle refuse mais consent à céder en novembre cinq postes ministériels aux communistes : Maurice Thorez en tant que ministre d’État chargé de la Fonction publique, Marcel Paul à la Production industrielle, Ambroise Croizat au Travail, François Billoux à l’Économie nationale et Charles Tillon à l’Armement. La création de ce dernier ministère illustre bien les tensions persistantes entre de Gaulle et les communistes. Le chef du gouvernement refuse en effet de confier aux communistes l’un des grands ministères qu’ils convoitent, à savoir ceux des Affaires étrangères, de la Défense nationale et de l’Intérieur. Ils reçoivent alors un ministère de circonstance, dit de l’Armement.
Après la démission du général de Gaulle en janvier 1946, la présence des communistes s’affirme. Dans le cadre du tripartisme qui les associe aux socialistes de la SFIO et aux démocrates-chrétiens du Mouvement républicain populaire (MRP), ils sont à la tête de huit ministères et sous-secrétariats d’État, Maurice Thorez devenant dans le même temps vice-président du Conseil. Le parti compte par la suite neuf ministres et sous-secrétaires d’État en juin, et jusqu’à dix en août.

« Engagés dans la “bataille de la production”, les communistes ont joué un rôle décisif dans la réussite de la reconstruction d’une France dévastée par la guerre. »

En novembre 1946, le PCF obtient même le plus grand succès électoral de son histoire, avec 28,3 % des suffrages. Maurice Thorez revendique alors la présidence du Conseil. Le 18 novembre, il donne un entretien au Times dans lequel il met en avant la possibilité d’une « voie française au socialisme ». Plutôt que de se référer à la dictature du prolétariat, il estime que la culture politique française, la lutte antifasciste et la défense des intérêts de la nation justifient l’édification d’une « démocratie populaire » en France. Toutefois, seuls 261 parlementaires sur 579 votants se prononcent en faveur de sa candidature, de telle sorte que cette tentative n’aboutit pas. Après un gouvernement socialiste homogène mais provisoire mené par Léon Blum du 16 décembre 1946 au 16 janvier 1947, le gouvernement Ramadier composé le 22 janvier ne comprend plus que cinq membres du PCF.

Un bilan considérable
Le bilan des ministres communistes est considérable. Engagés dans la « bataille de la production », les communistes ont joué un rôle décisif dans la réussite de la reconstruction d’une France dévastée par la guerre. Leur bilan fait également écho à de nombreuses mesures emblématiques du programme du CNR qui, après avoir été pressenties par des ordonnances, ont été traduites dans la loi et concrétisées dans leur application sous l’autorité de ministres communistes. C’est le cas du régime général de la Sécurité sociale, qui fut mis en œuvre par le ministre du Travail et de la Sécurité sociale Ambroise Croizat, par ailleurs secrétaire de la Fédération des métaux de la CGT. Celui-ci est également responsable de nombreuses autres réalisations sociales de la Libération, comme le système de retraites, les comités d’entreprise, les conventions collectives, le statut des délégués du personnel, la médecine du travail ou encore la suppression de l’abattement sur les salaires féminins. En tant que ministre de la Production industrielle, Marcel Paul est quant à lui à l’origine de la création d’EDF-GDF et du statut des électriciens et gaziers, tandis que Maurice Thorez joue un rôle central dans la création du statut de la fonction publique et de l’ENA (école nationale d'administration).
Néanmoins, à l’aube de la guerre froide, les tensions entre les communistes et leurs partenaires de gouvernement se multiplient. Si la question coloniale, avec le début de la guerre de l’Indochine et la répression à Madagascar, a bien failli entraîner la fin de la participation des communistes au gouvernement, c’est finalement la question des salaires qui suscite un point de non-retour. En effet, les ministres communistes soutenant les revendications de la CGT, dans un contexte de grève massive des ouvriers de Renault-Billancourt, le socialiste Paul Ramadier exige un vote de confiance à l’Assemblée nationale. Les communistes se prononcent contre, et sont donc évincés du gouvernement le 4 mai 1947.

*Léo Rosell est historien. Il est agrégé d'histoire et doctorant à l'université de Bourgogne.

Cause commune 37 • janvier/février 2024