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© Photo : Rajak Ohanian, avec son aimable autorisation.

Ce poème, qu’on intitule généralement « Marchons pour la paix ! », ne figure pas dans la pourtant excellente Pléiade établie par notre camarade Olivier Barbarant. Après recherches, il se trouve qu’il a été publié dans L’Humanité le 21 juin 1982 (puis repris sous forme d’affiches, avec la colombe de Picasso), quelques mois seulement avant la mort du poète, le 24 décembre. Il s’agirait en fait de l’un des tout derniers poèmes d’Aragon, probablement l’avant-dernier ; celui qui est généralement admis comme le dernier figurant dans la Pléiade sous le titre « Louis Aragon, “Sous la lumière des jours perdus” » et datant d’octobre. « Marchons pour la paix ! » partage avec ce dernier une tonalité crépusculaire, une beauté nue et simple. Qu’on lise, par exemple : « Choisissez sur le papier le chant perdu / Le chant sans ventre et le matin / Le temps se passe sans pouvoir et le temple / Dans l’ennui des fleurs et la peur du matin… / Oh les nouveaux pays à couleur d’ombre / Et le souvenir des temps matins… » Mais notre poème est aussi plus optimiste (peut-être est-ce dû à la commande dont il fait probablement l’objet). Au soir de sa vie, Aragon écrit un poème humain et militant, alors que la guerre aux Malouines se termine à peine et que celle au Liban menée par Israël commence tout juste. « Et ce jour-là sera ma patrie » : c’est finalement la leçon d’Aragon, sa vision du réalisme « du point de vue de l’avenir » qui s’exprime encore ici. Et, si l’on peut douter de l’état dans lequel le poème nous est parvenu (Aragon, suivant Apollinaire, avait abandonné la ponctuation, hors points d’exclamation et de suspension : cette ponctuation est peut-être due aux correcteurs de L’Huma), il parvient à trouver une force, un écho à nos oreilles qui le rendent toujours, hélas, d’une pressante actualité.

Victor Blanc

 

J’ai fini de vivre et de mourir
L’un avec l’autre,
Colombe cruellement...
Quelle nuit porte ce jour splendide,
Les gens sont oiseaux d’égarement !
Le monde est le chemin
D’aimer
Comme de mourir
Il faudra vivre encore,
Même dans les jours noirs
Au-delà des larmes et du sang...
Vivre, voisin, sur une seule terre
Il faudra bien aimer
Comme encore jamais
Et ce jour-là sera ma patrie
Semblable à l’enfant retrouvé
Parmi les ruines abandonnées,
Marchons pour la paix !

Cause commune n° 34 • mai/juin 2023