Nancy Morejón est certainement la poétesse cubaine la plus connue en Amérique latine et dans le monde. Née à la Havane, en 1944, dans une famille ouvrière, d’ascendance africaine, ses ancêtres ont connu l’esclavage. Elle avait quinze ans quand la révolution a triomphé. Aujourd’hui, face à ses détracteurs qui lui reprochent son engagement, elle n’hésite pas à répondre qu’elle est « une créature de la révolution cubaine ».*
Après des études de langues, elle a enseigné le français et s’est lancée dans l’activité littéraire, comme poète, essayiste et traductrice. Elle fut très proche du grand poète Nicolas Guillen, qui a introduit le thème noir dans la littérature de langue espagnole. En 2001, elle a reçu le Prix national de littérature de Cuba, attribué pour la première fois à une femme noire. Depuis 2008, elle préside la section écrivains de l’UNEAC, et dirigé la Revista Union. Elle a aussi été faite « couronne d’or » du festival de Struga en Macédoine. Elle a donné de nombreuses conférences dans des universités américaines et est en contact avec des autrices féministes et noires aux Etats-Unis. Elle a traduit en espagnol plusieurs auteurs des Caraïbes : les Haïtiens Jacques Roumain et René Depestre ; ainsi que les Martiniquais Aimé Césaire et Edouard Glissant. En 2010, la France lui a remis les insignes d’officier des Arts et des Lettres, pour avoir notamment oeuvré à faire connaître les poésies francophones aux lecteurs hispaniques. Un beau choix de ses poèmes, Le Temps des l’iguane, vient de paraître en France, en version bilingue, aux édition Ombu, de Toulouse.
Ses poèmes, qui conjuguent histoire et intimité, abordent les thèmes de l’esclavage, du rôle des femmes noires, de l’amour, de la révolution. Ils expriment l’attachement à son pays, à sa nature, à ses habitants, la naissance d’une nouvelle identité, afro-cubaine. Il n’y a pas de créole à Cuba, mais avec elle, le castillan se faisant « langage d’oiseau » accueille des cubanismes et des mots venus d’Afrique. Dans sa poésie, se lit la dignité conquise et défendue, comme dans son célèbre poème « Mujer Negra » : « Maintenant je suis ; maintenant nous possédons et créons / Rien ne nous est étranger / La terre est nôtre / nôtres sont la mer et le ciel ». Elle est et reste solidaire de son peuple, même dans les difficultés. Dans son bref poème, « Rose », elle écrit :
Nous l’avons dit
Ses épines
Sont nôtres.
Francis Combes
La clarté
À la manière d’un poète romantique…
Pour Roberto Fernández Retamar
Chante pour moi, oiseau qui voles
dans l’espace austral
que je ne connais pas. Enfonce-toi
dans ma soif des gens
et pose-toi sur les doigts
qui forment ma main.
Nous irons à la forêt
après que la pluie
aura déposé sa fatigue
sur le soir. Après que
le soleil aura élevé
sa tête dorée
à travers les feuilles
vertes et sonores.
Le soir est le même
à Greenwood ou Almendares.
La porte blanche de ma chambre
s’entrouvre déjà.
Seuls les rayons de la lumière
viennent se pendre ici,
atteignant mes pieds qui se reposent.
Quelle humidité, celle de l’averse
En été !
Ce midi, qui vient de nous quitter
dans le chant d’un oiseau
disparaît avec le temps.
Tu nais et tu meurs, clarté.
Nous naissons et mourrons
sur cette île de bourrasques.
Viens à moi,
Ay!, chante pour moi,
oiseau de Cuba
dans la fraîcheur de la patrie.
(traduction Francis Combes)
Cause commune n° 35 • septembre/octobre 2023