Par

RevueLaurenceCohen.jpg

En pleine crise sanitaire, Cause commune a interrogé Laurence Cohen, sénatrice (PCF) du Val-de-Marne, sur la dégradation de notre système hospitalier, le Ségur de la santé, les causes de la défiance à propos au vaccin et les différentes propositions portées par les communistes dans le domaine de la santé, en particulier la création d’un pôle public du médicament.

Propos recueillis par Léo Purguette

Vous avez fait partie des parlementaires communistes qui ont fait le tour des hôpitaux de France avant le déclenchement de la pandémie. Un an après le début de la crise sanitaire, dans quel état est notre système hospitalier ?
Sénatrice depuis 2011, je dénonce depuis près de dix ans l’asphyxie dans laquelle se trouvent les hôpitaux publics. Alors que notre système hospitalier était souvent cité en modèle, pour le nombre d’établissements présents sur le territoire et pour l’excellence de notre recherche, nous assistons, année après année, à un délitement de ses atouts.
Cette situation s’explique par les réformes successives : T2A (tarification à l’activité), pôles puis en 2009 la loi HPST (hôpital, patients, santé, territoires), qui ont profondément transformé le fonctionnement des hôpitaux. La droite au pouvoir à l’époque, dans une vision libérale et marchande, a calqué le modèle des entreprises privées sur les hôpitaux publics avec un nouveau mode d’organisation du travail très managérial. De l’avis de toutes et tous, aujourd’hui, la T2A est l’un des principaux maux des hôpitaux qui conduit à la situation dramatique actuelle. La course à la rentabilité, à laquelle s’ajoutent des réductions budgétaires imposées aux établissements et l’existence du numerus clausus, ont mis à bout les soignantes et les soignants.
C’est pour leur donner la parole, les écouter, et démontrer combien ce n’était pas une situation isolée propre à un hôpital mais bien une situation générale, liée aux politiques menées, que nous avons décidé, en janvier 2018, avec les députés communistes de mener ce tour de France des hôpitaux et des EHPAD. Pendant dix-huit mois, nous avons visité plus de cent-soixante établissements. Nous avons rencontré les organisations syndicales, les usagers et les directions. Et si, bien évidemment, il existe plusieurs exemples montrant des initiatives innovantes pour mieux prendre en charge les patients, ce qui nous a marqué et qui est commun à toutes nos visites, c’est la souffrance des personnels, épuisés par le manque de moyens, par la perte de sens de ce métier relationnel.
à l’issue de ce tour de France, nous avons déposé, au Sénat et à l’Assemblée nationale, une proposition de loi, comprenant plus de quarante mesures d’urgence. Nous les avons remises à l’ancienne ministre Agnès Buzyn, sans qu’elle en tienne compte, pas plus qu’Olivier Véran. Ces propositions étaient pourtant de nature à redresser le système qui, même sans pandémie, était à bout, d’où l’urgence d’agir !

« Le pôle public a pour objectif de sortir les médicaments, les dispositifs médicaux et les vaccins du marché, de les considérer comme des biens essentiels, sur lesquels il ne peut être fait de profits. Il a également pour vocation de soutenir la recherche publique. »

Quel regard portez-vous sur le Ségur de la santé ?
Ce Ségur était inutile et a sonné comme une forme de provocation ! À quoi bon perdre du temps à refaire les mêmes diagnostics qui sont connus depuis des années ?
Sur les conclusions elles-mêmes, effectivement, plusieurs milliards d’euros ont été débloqués, plus que les gouvernements précédents ne l’avaient fait. Le ministre Olivier Véran ne cesse de s’en enorgueillir mais cet argent n’est qu’un rattrapage des coupes drastiques faites depuis des années… Et encore, le compte n’y est pas !
Sur la revalorisation salariale, par exemple, certes le gouvernement a accordé une augmentation de 183 euros pour le personnel, mais, d’une part, elle est largement en deçà des revendications portées par les syndicats et, d’autre part, de nombreuses catégories de professionnels ont été oubliées ou exclues du dispositif. Le gouvernement refuse d’admettre que la faiblesse des salaires est l’un des éléments clés du peu d’attractivité de ces professions difficiles. Cette absence de reconnaissance explique les difficultés de recrutement, le manque de personnel, et par conséquent, en bout de chaîne, les mauvaises conditions de travail.
Et puis ce Ségur, qui sert de vitrine au gouvernement, n’a absolument pas remis en cause le principe d’un ONDAM (objectif national de dépenses d’assurance maladie) beaucoup trop bas qui a engendré en dix ans plus de 7 milliards de restrictions budgétaires aux hôpitaux ! Le gouvernement n’a tiré aucun enseignement de la crise de la covid puisque, dans le budget de la Sécurité sociale pour 2021, plus de 4 milliards de réductions budgétaires vont être encore imposés au système de santé, dont 800 millions aux hôpitaux.

« Nous opposons la coopération à la mise en concurrence et proposons de vivifier la démocratie sanitaire pour que les politiques de santé soient élaborées à partir des besoins de la population et en concertation. »

Pourquoi selon vous, la France est-elle le pays le plus réticent au vaccin ?
Il est vrai qu’au pays de Pasteur, cette réticence ou plutôt cette méfiance peut paraître surprenante. La vaccination, d’une manière générale, est indispensable, c’est une question de santé publique et une avancée scientifique incontournable. C’est vrai pour le vaccin anti-covid qui est très attendu.
Mais la crainte française peut s’expliquer par différents scandales sanitaires. Si les plus marquants tels que le Médiator, la Dépakine, le Lévotyrox ne portaient pas sur des vaccins, je crois que ces scandales ont abimé la confiance des Françaises et des Français, en particulier à l’encontre des agences sanitaires chargées d’effectuer la pharmacovigilance. Pour ma part, je milite aussi pour l’utilisation d’adjuvants dans les vaccins, qui ne soient pas nocifs pour la santé. Dans ces scandales, il apparaît que très souvent ce sont les conflits d’intérêt et les profits de « Big Pharma » qui ont primé sur la santé de la population.
La non-transparence, le secret des affaires, brandi par les grands laboratoires pharmaceutiques, pour contrer le droit à l’information et à la santé contribuent à cette crise de confiance dans la population et sont un obstacle à la généralisation de la vaccination contre la covid. D’autant que cette campagne, beaucoup moins bien engagée que dans les pays voisins fait suite aux fiascos de la production des masques et de la réalisation des tests. La mauvaise gestion par le gouvernement, ses errements dans la communication ont semé le doute chez les Français dans la capacité de celui-ci à prendre les bonnes décisions et à réellement lutter contre le virus.

« Nous proposons de soumettre à cotisation les revenus financiers des entreprises, de supprimer la taxe sur les salaires dans les établissements publics de santé ou bien encore d’appliquer l’égalité salariale. »

Vous avez présenté une proposition de loi pour la création d’un pôle public du médicament. Quels seraient ses avantages ? Serait-il de nature à restaurer la confiance ?
En effet, le 9 décembre dernier, notre proposition de loi a été examinée mais elle a été rejetée par le Sénat, la droite ayant voté contre, les socialistes s’étant abstenus. C’est très dommage, car même si c’est une proposition que nous portons depuis longtemps, elle était particulièrement d’actualité avec la crise sanitaire. Elle était d’ailleurs soutenue syndicalement ainsi que par plusieurs associations de patients et d’usagers.
Tout d’abord, la création d’un pôle public aurait pu répondre aux pénuries récurrentes de médicaments auxquelles est confronté notre pays. L’Agence nationale de sécurité du médicament, dans les auditions que j’ai menées en tant que rapporteure, a révélé que plus de 1 500 médicaments ont été signalés en rupture ou en risque de rupture en 2019, contre 404 en 2013. Le nombre de signalements de médicaments en tension devrait ainsi doubler en 2020 et pourrait avoisiner les 3 200 signalements.
Ces pénuries s’expliquent par le fait que les grands groupes pharmaceutiques abandonnent la production de certains médicaments, jugés peu rentables, notamment ceux qui sont commercialisés depuis plusieurs années. Notre pôle public a, au contraire, pour objectif de sortir les médicaments, les dispositifs médicaux et les vaccins du marché, de les considérer comme des biens essentiels, sur lesquels il ne peut être fait de profits. Il a également pour vocation de soutenir la recherche publique. Et surtout, nous souhaitons que la France retrouve, avec ce pôle public, la maîtrise de sa production, sa souveraineté. La crise sanitaire a largement montré que la mondialisation a rendu notre pays dépendant puisque de nombreux médicaments sont fabriqués par exemple en Chine, en Inde, là où la main-d’œuvre est moins chère. Ce pôle public devrait être pour nous une occasion de relocaliser la production et de mieux couvrir les besoins. Il faut donc élargir notre mobilisation pour l’imposer.

« La mauvaise gestion par le gouvernement, ses errements dans la communication ont semé le doute chez les Français dans la capacité de celui-ci à prendre les bonnes décisions et à réellement lutter contre le virus. »

Le gouvernement a annoncé son intention de vacciner 26 millions de Français en six mois, mais les débuts de la campagne de vaccination sont chaotiques. Pour quelles raisons selon vous ?
Deux semaines après le début de la campagne de vaccination, il semble effectivement que cela soit chaotique malgré les discours volontaristes du gouvernement. Maxime Combes, économiste à Attac, a montré que si la France poursuivait sur ce rythme, il lui faudrait 1927 années pour parvenir à son objectif de vacciner 60 % de la population !
Là encore, comme nous l’avons montré dans la commission d’enquête, il existe en France certaines lourdeurs administratives et technocratiques qui empêchent la réactivité et l’effectivité des décisions. Le gouvernement a ses propres responsabilités : aucune anticipation, pas d’élargissement des personnels pouvant vacciner en dehors des médecins traitants, les élus locaux ne sont pas associés… Tout est décidé en exécutif, la démocratie est bafouée, les citoyennes et les citoyens, de même que la représentation parlementaire sont méprisés.
À ce jour, nous n’avons par ailleurs aucune garantie sur le nombre suffisant de doses ou si un risque de pénurie est probable. Si le gouvernement échoue sur cette étape essentielle pour lutter contre la propagation du virus, les conséquences seront dramatiques.

Pour aujourd’hui comme pour demain des menaces importantes pèsent sur l’équilibre de la Sécurité sociale. Quelles solutions de financement préconisez-vous ?
Cela fait des années que les gouvernements successifs et les médias sont obnubilés par le trou de la Sécurité sociale et veulent faire culpabiliser les Français qui « consommeraient » trop de soins. Mais il faut bien comprendre que ce déficit est totalement et artificiellement entretenu puisque les recettes sont réduites à peau de chagrin à grands coups d’exonération de cotisations patronales, sans aucune compensation. D’après la cour des comptes, ces exonérations, allégements ou niches sociales représentent un manque à gagner de 90 milliards d’euros pour la Sécurité sociale. Ces choix permettent au gouvernement de justifier, a posteriori, la réduction des dépenses, la recherche de nouvelles coupes budgétaires ou bien encore l’obligation de mener la réforme des retraites pour soi-disant équilibrer le système !
Nous proposons, au contraire, non pas de réduire les dépenses, mais de redonner de l’ampleur aux recettes, en mettant un terme, en premier lieu, à ces exonérations exponentielles. Nous proposons également de soumettre à cotisation les revenus financiers des entreprises, de supprimer la taxe sur les salaires dans les établissements publics de santé ou bien encore d’appliquer l’égalité salariale. Selon la fondation Concorde, respecter l’égalité des salaires entre les femmes et les hommes permettrait de réinsuffler 62 milliards dans l’économie française !
Nous venons de fêter les soixante-quinze ans de la Sécurité sociale, mise en place par le ministre communiste Ambroise Croizat, et la crise sanitaire que nous traversons a mis en lumière l’efficacité de ce système. Il faut donc le consolider en cessant notamment de fiscaliser et privatiser son financement, comme ce que vient de faire à nouveau le gouvernement avec la création d’une cinquième branche autonomie et qu’on lui accorde de vrais moyens pour mener à bien sa mission.

« Ce qui est commun à toutes nos visites, c’est la souffrance des personnels, épuisés par le manque de moyens, par la perte de sens de ce métier relationnel. »

Parmi les enseignements à tirer de la crise sanitaire, faut-il aller vers une refondation de notre système de santé et de protection sociale ? Si oui, à quoi ressemblerait le modèle que vous défendez ?
La principale refondation est d’abroger les réformes mises en place depuis près de vingt ans. Aucune d’entre elles, que ce soit la loi HPST, la loi Touraine ou la loi Buzyn, n’a conforté notre système public de santé, loin s’en faut ! Toutes ont justifié des réductions drastiques de moyens pour les hôpitaux publics et ont favorisé l’entrée du privé au nom de l’équité et de l’efficacité ! Toutes ont mis en avant l’urgence d’une réorganisation, d’une transformation en profondeur au nom de la modernisation. Or, pour répondre aux besoins en matière de santé pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire, il est indispensable d’y mettre des moyens considérables. Je pense notamment à la juste revendication des personnels qui réclament la création en urgence de 100 000 emplois dans les hôpitaux et de 300 000 dans les EHPAD en trois ans.
Et puis il faut prendre des mesures volontaristes pour combattre les déserts médicaux qui concernent les zones rurales comme urbaines. Nous demandons un moratoire sur les fermetures d’établissements, de lits, de services pour permettre un réel accès aux soins et une offre diversifiée sur l’ensemble du territoire. Il faut également mettre en place le tiers payant généralisé pour qu’il n’y ait plus un tiers des Français qui renoncent à des soins pour des raisons financières, chiffre qui va exploser avec la crise économique. Il faut renoncer à cet ONDAM famélique, véritable outil austéritaire pour assécher notre système public de santé et supprimer véritablement la T2A. Il faut aussi en finir avec les GHT (groupements hospitaliers de territoire), les conseils de surveillance des hôpitaux qui fonctionnent sans contre-pouvoir des personnels et de leurs syndicats, des élus ou des usagers. Nous opposons la coopération à la mise en concurrence et proposons de vivifier la démocratie sanitaire pour que les politiques de santé soient élaborées à partir des besoins de la population et en concertation.
À l’heure du développement de l’ambulatoire, nous refusons que ce soit un prétexte à la fermeture de lits d’hospitalisation (cent mille en vingt ans) et nous militons pour le développement de moyens en faveur d’une prise en charge multidisciplinaire à domicile avec des professionnels formés et en nombre suffisant. Enfin, pour mieux articuler la médecine de ville et la médecine à l’hôpital, désaturer les services des urgences, nous proposons de créer davantage de centres de santé publics. Ces structures pluridisciplinaires répondent aux attentes des jeunes professionnels, et offrent proximité et accessibilité des soins.
L’efficacité de ces propositions passe par un plan de formation et de recrutement de personnels du secteur de santé et du médicosocial avec notamment des moyens pour les universités afin de rendre opérant la suppression du numerus clausus en médecine, par exemple.
Pour en finir avec les inégalités de santé et pour répondre aux besoins, nous pouvons aussi nous appuyer sur de nombreuses propositions alternatives, portées par les personnels, les syndicalistes, les associations d’usagers. Ce sont les enseignements que nous tirons de notre tour de France et qui ont nourri notre proposition de loi, point d’appui d’un modèle innovant.

Cause commune n° 21 • janvier/février 2021